Successions: égalité et identité, difficile compromis
Avec l’annonce de l’initiative des jeunes socialistes, la récurrente question de l’imposition des successions est appelée à revenir dans le débat politique. Et cela, en laissant de côté la question de l’affectation de cet impôt proposée par l’initiative.
Par ailleurs, le 1er janvier prochain, entre en vigueur la nouvelle teneur de la loi sur les successions. La question des successions soulève des passions, au sens plénier du terme, parce qu’elle touche chacun d’entre nous dans notre rapport à la lignée, à ceux qui nous ont précédés et à ceux qui nous suivent. Plusieurs études montrent que la question est indépendante des éventuels montants en jeu et des situations personnelles.
Du point de vue éthique, il y a deux aspects à la question qu’il faut parvenir à combiner en dernière analyse: la dimension sociétale des «inégalités» et la dimension plus familiale ou personnelle que l’on peut qualifier «d’identitaire». Ensuite, au niveau plus pratique, se pose l’épineux problème de la transcription des principes en lettres de loi, avec le souci de limiter les éventuelles stratégies d’évitement que la loi pourrait inspirer.
Tout héritage est fait de deux composantes, l’une purement matérielle, réductible à une somme d’argent, l’autre sentimentale et personnelle. Ces deux composantes sont inextricablement liées, comme dans le cas d’une maison familiale, ou d’un tableau qui rappelle des souvenirs heureux. Dans d’autres cas, les choses sont plus simples, comme dans celui du journal intime ou d’un paquet de titres cotés en bourse.
Du point de vue des inégalités des chances (terme flou à dessein), seule la dimension matérielle est prise en compte. Toute «richesse» transmise entre les générations est porteuse d’inégalités. A l’extrême, l’impôt sur les successions devrait donc être confiscatoire et foncièrement redistributif.
«Comment déterminer quel composante – monétaire ou émotionnelle – doit avoir la primauté?»
Du point de vue identitaire, il y a une distinction à faire entre les biens et objets qui ont une valeur sentimentale et ceux qui en sont dépourvus. Les premiers sont qualifiés par certains économistes de «biens relationnels», les seconds sont de simples bien marchands. Les biens relationnels ne sont pas autonomes par rapport aux relations existantes entre les protagonistes, notamment, les ancêtres et les descendants. Ces relations sont constitutives des liens familiaux et ont des aspects identitaires forts, ce qui n’est pas sans importance pour l’équilibre personnel et donc social.
La question devient plus complexe dans le cas d’entreprises familiales dont la nouvelle loi facilite d’ailleurs la transmission, aussi dans le souci de préservation du tissu économique et des emplois. Or, selon certains, l’entreprise n’est pas assimilable à un objet appropriable parce que – au-delà de ses actifs – elle est un lieu de coopération entre le travail et le capital.
Le point de vue «identitaire» n’a pas d’avis tranché sur l’imposition des composantes purement matérielles de la succession, alors qu’il préconise une «sanctuarisation» par rapport à l’impôt d’un périmètre de biens relationnels. Si cette distinction apparait comme relativement aisée dans la majorité des cas, elle l’est moins pour des patrimoines hors nomes, où chaque babiole peut avoir une valeur extravagante. Comment déterminer quel composante – monétaire ou émotionnelle – doit avoir la primauté?
La réconciliation des deux préoccupations passe par la définition du niveau (montant total) à partir duquel l’argument identitaire n’a plus de prise. Les jeunes socialistes fixent la barre haut, trop haut pour certains tenants de la vision égalitaire de la société. Ceci étant, pour des raisons pratiques et d’application concrète, ainsi que pour éviter des injustices flagrantes, le seuil de l’impôt devrait être plutôt plus haut que trop bas. C’est le prix pour préserver la dimension relationnelle dont toute société a besoin.
Paul H. Dembinski
24 août 2022
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