L’immense sculpture de ferraille tordue, tenant à bout de bras une colombe de métal, œuvre des manifestants de la ‘thawra’ (la révolution) qui protestent contre le gouvernement depuis octobre 2019 | © Jacques Berset
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Deux ans après l’explosion, la pauvreté afflige les chrétiens du Liban

La gigantesque explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a plongé un pays déjà fragile encore plus profondément dans le chaos. Témoignage de Georgette, une chrétienne de la capitale libanaise dont le monde a basculé après la catastrophe.

«À cette heure-là, j’avais l’habitude de faire la sieste, mais ce jour-là j’étais au téléphone quand j’ai entendu la première explosion, assez forte pour déplacer certains objets», explique Georgette. La Libanaise a raconté à une équipe de l’œuvre d’entraide Aide à l’Eglise en détresse (ACN/AED) son expérience, lors de ce funeste 4 août, où un entrepôt d’engrais chimique a explosé dans le port de Beyrouth. La déflagration a causé la mort de 215 personnes et blessé 6’500 autres. Les dégâts ont été estimés à près de quatre milliards d’euros par la Banque mondiale.

Le souffle de la terreur

La catastrophe s’est déroulée en deux temps. La première explosion a provoqué des dégâts relativement restreints. Mais la seconde est considérée comme la plus puissante déflagration non atomique de tous les temps.

L’église grecque-orthodoxe de St-Nicolas, dans le quartier d’Achrafieh, à Beyrouth, le jour de l’explosion | © AED/ACN

Georgette vit dans un modeste appartement d’un quartier pauvre d’Achrafieh, un secteur majoritairement chrétien de Beyrouth. Le port se trouve à environ 20 minutes à pied. La chrétienne se souvient avec terreur de la deuxième explosion. Le souffle brisa les fenêtres de sa maison et l’envoya voler à travers la pièce, brisant toutes ses dents du bas. «J’ai commencé à prier, j’ai pensé que c’était peut-être un tremblement de terre. J’étais sûre que j’allais mourir».

Lorsque le choc initial fut passé, elle commença à s’inquiéter pour son fils. Il travaillait dans un magasin de téléphonie cellulaire très proche du port. Heureusement, après la première explosion, il a eu la présence d’esprit de dire à son unique client du moment, une femme âgée, de s’allonger sur le sol, et il a dû se réfugier dans la salle de bain, parce que la place dans le magasin était trop petite. L’explosion a rasé le bâtiment, mais ils ont tous deux survécu.

Des structures familiales abîmées

L’explosion du port n’a cependant été que la dernière d’une série de tragédies qui ont frappé le Liban. Quelques années plus tôt, une crise financière a fait chuter la livre libanaise, divisant par vingt sa valeur par rapport au dollar. La situation économique, aggravée par les restrictions et les confinements liés au Covid au cours des dernières années, a eu des effets négatifs sur les structures familiales.

Georgette a 60 ans et est divorcée. L’une de ses deux filles a également divorcé récemment et a emménagé avec elle. Les emplois sont rares, mais Georgette a récemment trouvé du travail, elle sert le café dans un bureau. «Ils me traitent bien, mais ne me paient pas beaucoup», explique-t-elle. «Je gagne 67 dollars par mois, mais il me faut 50 dollars par mois pour me rendre au travail. Que puis-je faire?».

Son salaire n’est même pas suffisant pour couvrir son loyer mensuel, sans parler des autres besoins de base. Pourtant, elle prie et affirme que tout finit toujours par s’arranger. «Parfois, le propriétaire me laisse payer le loyer avec du retard, parfois des gens m’aident. Je ne sais pas toujours d’où vient l’aide, mais il y a toujours quelqu’un pour aider», dit-elle en faisant son signe de croix tout en cherchant à retenir ses larmes.

Georgette a gardé le sourire et l’espoir, malgré l’adversité qu’elle subit | © ACN/AED

Rester debout

Après l’explosion du port, des bénévoles du service pastoral universitaire, soutenu par l’ACN/AED, ont fait du porte-à-porte pour savoir ce dont les gens avaient besoin. L’œuvre pontificale soutient l’Église au Liban depuis des décennies, mais a considérablement augmenté son financement depuis la crise.

L’une des assistantes spirituelles de la chapellenie, Sœur Raymunda, a aidé Georgette à se trouver un dentiste qui a soigné ses dents gratuitement, et un colis alimentaire lui a été livré tous les deux mois pour la soutenir. Ça l’aide beaucoup, dit-elle, mais même ainsi, lorsque la nourriture s’épuise, elle en est souvent réduite à manger du pain avec un peu d’huile d’olive. Il est loin le temps où la viande et la volaille figuraient régulièrement à son menu.

Pourtant, elle garde espoir. «Je suis forte. Même quand je tombe malade, je ne m’arrête pas pour me reposer, je reste debout. Je ne veux pas me montrer faible et je reste toujours positive», dit-elle. «Sans espoir, il n’y a pas de vie. Les choses finiront par s’améliorer», s’autorise-t-elle à penser. (cath.ch/com/rz)

L’immense sculpture de ferraille tordue, tenant à bout de bras une colombe de métal, œuvre des manifestants de la ›thawra’ (la révolution) qui protestent contre le gouvernement depuis octobre 2019 | © Jacques Berset
4 août 2022 | 17:25
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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