L'évêque des Inuits: «La réconciliation n'est pas terminée»
«La force et la foi des peuples de l’Arctique sont immenses», affirme Mgr Anthony Krótki, évêque de Churchill, au nord-est du Canada. Missionnaire des Oblats de Marie Immaculée – congrégation qui participa à l’évangélisation du Canada et qui géra la plupart des pensionnats catholiques pour autochtones – il décrit à l’agence I.MEDIA son diocèse polaire, que visitera le pape François le 29 juillet 2022, en s’arrêtant à Iqaluit, dans le Nuvanut, au dernier jour de son voyage.
Comment êtes-vous arrivé en mission en Arctique?
Anthony Krótki: Je suis originaire de Pologne, mais dès l’âge de 14 ans, j’ai commencé à m’intéresser à l’Arctique. J’ai fait mon séminaire en Pologne, j’y ai été ordonné, et en 1990, je suis arrivé au Canada avec une mission pastorale dans le diocèse de Churchill – Baie d’Hudson. J’y ai vécu 25 ans comme missionnaire en Arctique. Puis en 2013, j’ai été nommé évêque de ce diocèse. Aujourd’hui, je suis depuis 32 ans en mission dans les territoires arctiques.
Quelles sont les particularités de ces territoires?
Mon diocèse a une superficie de deux millions de kilomètres carrés. C’est l’un des plus vastes dans le monde. En revanche en termes de population, il n’y a que 38’000 habitants, dont 92-93 % sont des Inuits et le reste vient de différentes nationalités et origines. Notre diocèse compte environ 11’000 catholiques de baptême, même si la foi change. Certains quittent l’Église, se rapprochent d’autres croyances, comme partout dans le monde.
Dans l’Arctique, nous sommes éparpillés sur une immensité. Le seul moyen de transport est par les airs, et le déplacement est très long et très coûteux. Parfois, il nous faut voyager trois jours pour se voir. À cause des conditions climatiques, les missionnaires ne pouvaient voyager sur neige qu’en hiver. Ce sont des voyages toujours très dangereux. Pour ma part j’ai beaucoup voyagé par voie terrestre, j’ai fait tant de kilomètres que je ne saurais les compter.
«Même les Inuits font l’expérience d’hostilités et de discriminations»
Dans le diocèse, d’une certaine façon, nous sommes destinés à vivre seuls si nous voulons prendre soin de ceux qui sont confiés à notre ministère arctique.
Y a-t-il une inculturation inuite dans la liturgie catholique, au sein des communautés?
Oui, dans nos célébrations nous utilisons des symboles de la culture inuite, comme la lampe traditionnelle Kutliq. Pour beaucoup, elle représente la lumière du Christ, qui était avant toute chose, avant même que les indigènes et non-indigènes viennent à la vie. Nous essayons aussi d’utiliser les tambours traditionnels. Nous pouvons apporter ces symboles dans la liturgie, mais ce doit être bien compris, il doit y avoir une raison, une signification.
Le pape François va donc mettre le pied sur le sol de la région arctique. Est-ce la première fois qu’un pape y vient?
Jean Paul II a essayé de venir deux fois dans l’ouest de l’Arctique, dans le diocèse de Mackenzie Forth Smith. La première fois il n’a pas pu, puis il a essayé deux ans plus tard et il l’a fait. Il est alors allé visiter les peuples indigènes des Territoires du Nord-Ouest (à Fort Simpson en 1987, ndlr). Ce n’était pas sur la terre de l’Arctique*. Ce voyage est donc un moment historique. Et c’est aussi la première fois qu’un pape vient visiter les Inuits. La délégation qui est allée à Rome en mars dernier l’a invité et il a accepté de venir en été. Nous en sommes très reconnaissants.
Comment sera cette halte de quelques heures du pape à Iqaluit? Qui vient-il rencontrer?
Le pape se rendra dans un établissement d’enseignement secondaire. Ce lieu a été choisi car il pouvait accueillir les anciens élèves d’écoles résidentielles qui viendront le voir. Je précise qu’il s’agit d’une école territoriale du gouvernement, pas une école résidentielle du passé. Il y avait une école fédérale de jour auparavant, mais elle n’existe plus. À Iqaluit, les catholiques ont une seule paroisse très petite, multiculturelle, où de nombreuses nations se côtoient, sans discrimination.
«Pour un vrai processus de réconciliation, il faut aussi pouvoir parler du bien qui a été fait»
De nombreuses personnes se sont impliquées dans la préparation de cet événement. La grande majorité des personnes cherchent la bénédiction, sont ouvertes, pleines d’espérance. Mais là où il y a du bien, un esprit négatif aussi se répand. Il y a aussi beaucoup de tensions dans la préparation. Même les Inuits font l’expérience d’hostilités et de discriminations, notamment de la part de certains médias qui publient de fausses informations, utilisant des histoires pour semer le trouble. La mission que le peuple demande, c’est la réconciliation. Et elle est remise en question. Mais nous gardons l’espoir que la bonté gagne.
Où en est le chemin de vérité et de réconciliation sur les terres inuites?
Il y a eu des rencontres de chefs indigènes et de représentants du gouvernement, auxquelles j’ai participé. Mais je tiens à souligner que la réconciliation n’est pas quelque chose qui a lieu «aujourd’hui». C’est un processus. Mes 32 ans de ministère en Arctique étaient consacrés à la réconciliation, au pardon. Il ne suffit pas de participer à un événement d’une journée, et la réconciliation est faite. Non, la réconciliation n’est pas terminée. Et elle n’a rien à voir avec l’argent. Il faut des énormes efforts pour y parvenir.
Si quelqu’un comprend un peu ce qu’est la réconciliation, il fera tout ce qu’il peut de bon pour y parvenir. Nous espérons que la visite du pape permettra cela, que l’on pourra passer de l’obscurité à la lumière, de la souffrance à l’espoir. La force et la foi des peuples de l’Arctique sont immenses. Beaucoup ont attendu et essayé de pardonner, de tourner la page, mais certaines histoires reviennent et les blessures se rouvrent. Pour un vrai processus de réconciliation, il faut aussi pouvoir parler du bien qui a été fait, pas seulement regarder le passé en termes négatifs. (cath.ch/imedia/ak/rz)
*Jean Paul II s’est aussi rendu à Fairbanks, en Alaska, aux portes de l’Arctique en 1984. Cette visite avait été vue comme un message pour cette région du globe, même si géographiquement Fairbanks n’appartient pas au territoire polaire en tant que tel.