Brigitte de Suède: une mystique au cœur des puissants
La laïque sainte Brigitte de Suède a marqué l’Europe du 14ème siècle. Sa fête, le 23 juillet, est l’occasion de revenir sur une figure méconnue au tempérament et au destin exceptionnels. Fondatrice de l’ordre du Très Saint-Sauveur dit «des Brigittines», surnommée la «Sybille du Nord» pour ses nombreuses visions, sa vie a été à l’image de sa personnalité: résiliente et profondément mystique.
En 1303, alors que Birgitta Birgersdotter vient au monde, rien ne laisse présager que son destin la mènera à voir et révéler, sous l’inspiration divine, celui des grands de son temps. Née au sein d’une famille pieuse de la haute aristocratie suédoise, Brigitte de Suède deviendra une prophétesse et mystique influente. Elle œuvrera notamment pour le retour du siège pontifical à Rome, du temps de la Papauté d’Avignon.
Une pieuse pédagogue
Sa biographie est le plus souvent abordée en deux temps: celui de l’épouse pieuse, et celui de la veuve prophétesse. Mariée et mère de huit enfants, dont la future sainte Catherine de Suède, elle se consacre d’abord pleinement à l’étude de l’Écriture Sainte et à l’éducation de son foyer: «Après la lecture de la Bible, répétait-elle à ses enfants, n’ayez rien de plus cher que la Vie des Saints».
«La forme révélée des Révélations célestes n’aura guère suffi pour influencer la politique européenne ou même l’éducation des dirigeants contemporains»
Camille Bataille
Ayant adopté la Règle des Tertiaires franciscains avec son époux, le sénéchal Ulf Gudmarsson, tous deux pratiquent au quotidien des œuvres de charité, et créent un hôpital, où ils soignent eux-mêmes les malades. En 1335, de par sa culture, sa connaissance des langues et sa «sagesse pédagogique», le roi de Suède, Magnus Eriksson, l’appelle à la cour royale pour l’inviter à exercer la tâche de gouvernante auprès de sa jeune épouse, Blanche de Namur.
Une mystique à la cour
C’est à Stockholm, à la cour de Suède, que s’esquissent les premières lueurs de la destinée mystique et politique de Sainte Brigitte de Suède. «Cette proximité avec le couple royal la conduit à produire des révélations prophétiques qui leur sont spécifiquement destinées, parfois pour les soutenir, parfois pour les réprimander. Brigitte aspire à éduquer le couple royal pour les mener sur la voie du souverain chrétien idéal», analyse l’historien Camille Bataille, dans son article Un miroir aux princes révélé: Brigitte de Suède, mystique et conseillère des rois (Revue Française d’Histoire des Idées Politiques-2021).
Cette vie laïque et pieuse au cœur de la famille et de la cour royale bascule en 1341, lorsque Brigitte devient veuve, alors que le couple venait d’effectuer un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.
Au service de révélations prophétiques
Après avoir fait don de ses biens, Brigitte de Suède s’installe au monastère cistercien d’Alvastra, tout en restant laïque. C’est là que débute pour elle une nouvelle vie mystique, guidée par des prophéties et révélations divines successives. Jusqu’à la fin de ses jours, celles-ci seront consignées et traduites du suédois au latin par ses confesseurs dans un corpus de huit livres: les Revelationes (Révélations).
Ces visions, qui peuvent prendre la forme de pamphlets ou d’exhortations plus ou moins véhémentes, concernent autant la gouvernance des cours de Suède, de France et d’Angleterre que celle du haut-clergé et des papes. Parce qu’elle appelle à une réforme de l’Eglise et qu’elle pointe les faiblesses morales des puissants de son temps, Brigitte de Suède ne sera pas toujours la bienvenue. «La forme révélée des Révélations célestes n’aura guère suffi pour influencer la politique européenne ou même l’éducation des dirigeants contemporains», conclut Camille Bataille.
Une dernière station à Rome
En 1349, trois ans après avoir fondé l’ordre du Très Saint-Sauveur à Vadstena, en Suède, Brigitte part à Rome. Après le refus du pape Clément VI d’approuver la création d’un monastère double, hommes et femmes, sous l’autorité d’une abbesse, comme une révélation le lui avait ordonnée, elle veut profiter du jubilé de 1350 pour rencontrer le pape à Rome.
C’est là qu’elle passera ses dernières années, menant une vie de prière, d’apostolat, d’oeuvres charitables et de nombreux pèlerinages en Italie. Après Milan, Pavie, Assise, Ortona, Bari, Benevento, Pozzuoli, Naples, Salerne, Amalfi, et le Sanctuaire de saint Michel Archange sur le Mont Gargano, c’est une dernière révélation qui la poussera à réaliser le pèlerinage ultime en 1371: celui en Terre Sainte. Le 23 juillet 1373, sainte Brigitte de Suède meurt à l’âge de 70 ans, et le pape Grégoire XI n’est toujours pas retourné à Rome.
Défenseuse de l’unité chrétienne
Canonisée en 1391 par le pape Boniface IX, sainte Brigitte de Suède a également rejoint la famille des saints patrons d’Europe. En 1999, c’est aux côtés de sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix que Jean Paul II l’a proclamée co-patronne pour «faire en sorte que la sentent proche d’eux non seulement ceux qui ont reçu la vocation à une vie de consécration spéciale, mais aussi ceux qui sont appelés aux occupations ordinaires de la vie laïque dans le monde et surtout à la haute et exigeante vocation de former une famille chrétienne». Saint Benoît (1964), saint Cyrille et saint Méthode (1980) complètent le tableau des saints patrons de l’Europe. (cath.ch/jsdv)