Les mêmes droits pour toutes les personnes en quête de protection
Le statut de protection S permet d’accueillir rapidement en Suisse les personnes ayant fui l’Ukraine. L’inégalité de traitement avec les autres catégories de réfugiées est cependant flagrante, constate Lea Hungerbühler, fondatrice et présidente de l’association AsyLex.
La lauréate du Prix Caritas 2022 s’engage pour les droits des personnes en fuite et, avec de nouvelles approches. Malheureusement, le respect des droits de l’homme à l’égard des personnes qui ont fui leur pays ne va pas encore de soi. Il faut dans de nombreux cas se battre de toutes ses forces, constate-t-elle.
Que vous inspire la différence de traitement en Suisse entre réfugiés ukrainiens et les autres personnes en quête de protection, qui arrivent aussi de pays en guerre où leur vie est directement en danger ?
Lea Hungerbühler: L’application du statut S, avec tous les avantages qui en découlent, montre qu’il est possible de faire autrement: par exemple, travailler dès le début, être hébergé par des connaissances ou de la famille ou encore par des étrangers qui ouvrent leur porte aux personnes en fuite, avoir la possibilité de déménager ou de voyager à l’étranger pour des voyages scolaires, des visites à la famille, des voyages d’affaires ou même des vacances. Tout cela facilite l’intégration et l’installation en Suisse et je ne vois aucun motif raisonnable de ne pas appliquer ces principes à l’avenir à toutes les personnes en quête de protection.
Avec l’AsyLex Detention Project, vous avez constaté que les conditions légales de détention de personnes devant être expulsées n’étaient parfois pas remplies. Pouvez-vous préciser ?
Le projet a mis en lumière de nombreux cas critiques et a mis le doigt sur un point sensible. Il est évident que dans les cas où aucune représentation juridique ne consulte jamais les dossiers, les erreurs sont plus nombreuses, car elles n’ont généralement pas de conséquences négatives pour les autorités. Il en va désormais autrement: dans les cas de détention administrative illégale, nous déposons également des plaintes en responsabilité contre de l’Etat, de sorte que la personne injustement détenue obtienne une indemnisation. Nous remarquons que la qualité des décisions de détention a augmenté de manière significative dans de nombreux cantons depuis le lancement de notre projet. Même si certains offices des migrations ou tribunaux cantonaux ne connaissent (ou ne veulent pas connaître) encore aujourd’hui les différents types et procédures de détention administrative.
Vous dites qu’en Suisse, dans le domaine de l’asile, les voies de recours sont insuffisantes. Pourquoi ?
Il n’existe malheureusement qu’une seule instance de recours dans le domaine de l’asile : le Tribunal administratif fédéral. Et cette jurisprudence ne correspond pas vraiment à notre conception du droit, du droit d’asile, du droit des réfugiés et de la protection des droits humains. Nous nous voyons donc souvent contraints de faire remonter les décisions négatives du Tribunal administratif fédéral aux différentes instances de l’ONU.
Pour quelles raisons?
Les autorités et les tribunaux suisses se basent souvent sur les obligations théoriques d’un autre Etat selon le droit international, par exemple les obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais on ne regarde pas, au cas par cas ce qu’il en est de l’application réelles des droits humains. Les autorités et les tribunaux ferment plutôt les yeux sur les conditions réelles sur place. Bien que la menace de se retrouver sans abri, d’être livré sans protection à la violence sexuelle ou autre, de subir des renvois forcés (push-backs) ou de manquer de soins médicaux soit évidente, des personnes vulnérables sont expulsées de force par la police vers ces pays. Ce qui est contraire au droit international.
Comment voyez-vous l’avenir d’AsyLex?
Nous allons probablement continuer à agrandir nos équipes et à garantir la plus haute qualité de notre travail bénévole grâce à notre programme de formation, l’AsyLex Academy. Face à la criminalisation croissante de la fuite, nous nous défendrons de plus en plus sur le plan juridique tout en nous engageant pour des voies de fuite légales, car toute personne menacée dans sa vie et son intégrité physique doit avoir la possibilité de chercher protection sans risquer sa vie en Méditerranée, en mer Égée ou sur d’autres routes dangereuses. (cath.ch/com/mp)
Pour Caritas Suisse, il faut remplacer le permis F
Dans une prise de position « Droits et perspectives pour toutes les personnes en quête de protection », Caritas-Suisse met en évidence les points faibles de la politique d’asile suisse, qui apparaissent encore plus clairement avec l’introduction du statut de protection S.
Pour que les personnes en fuite puissent mener une vie autonome dans des conditions de dignité et de sécurité, des changements sont nécessaires. Caritas Suisse demande l’introduction d’un nouveau statut de protection en lieu et place de l’actuelle admission provisoire (permis F).
Pour l’oeuvre d’entraide catholique, un nouveau statut de protection doit être appliqué tant pour la procédure d’asile ordinaire qu’en cas d’accueil collectif rapide. Ce statut devrait reconnaître le besoin de protection des personnes issues de situations de guerre et de violence et leur accorder les mêmes droits que les réfugiés reconnus. Si un retour dans le pays d’origine s’avère impossible après deux ans, une autorisation de séjour (permis B) devrait être délivrée.
Caritas demande en outre d’harmoniser le calcul de l’aide sociale d’asile dans le nouveau statut de protection et de l’adapter aux normes de la CSIAS (Conférence suisse des institutions d’action sociale) relatives à la couverture des besoins vitaux. Pour faciliter l’intégration des personnes réfugiées, il faut également des formes de logement appropriées, incluant une sphère privée, que le droit à la vie de famille soit garanti et que la possibilité de déplacement soit rétablie, au moins dans l’espace Schengen. MP