François: «Je ne suis pas pro-Poutine»
Le pape François a reçu le 19 mai 2022 les directeurs des revues jésuites européennes. Lors de cette rencontre, le pape a abordé plusieurs sujets, dont la guerre en Ukraine, le journalisme, le traditionalisme ou encore le synode allemand.
Le pape François a accordé un entretien prolongé aux responsables des revues culturelles européennes dans la Bibliothèque privée du Palais apostolique. Lucienne Bittar, rédactrice en chef de la revue choisir, basée à Genève était notamment présente. Les médias ont choisi la date du 14 juin 2022 pour diffuser en même temps le contenu de l’entretien. cath.ch a pu bénéficier en avance de la lecture du verbatim et en livrer les passages les plus significatifs.
La présence à Rome de Pawel Kosinski, responsable de la revue polonaise Deon, a naturellement amené la conversation vers la tragédie ukrainienne. Notamment du fait que l’Ukraine fait partie de la province de Pologne méridionale. A la question de savoir comment les jésuites locaux devaient communiquer sur cette situation, le pape a conseillé de «s’éloigner du schéma habituel du Petit Chaperon rouge».
Pour le pontife, il n’y a en effet pas, dans cette guerre «de bons et de méchants métaphysiques». Ce que nous voyons, a continué le pape, «c’est la brutalité et la férocité avec lesquelles cette guerre est menée par les troupes utilisées par les Russes, généralement des mercenaires […] Le danger est que nous ne voyons que cela – qui est monstrueux – et non le drame intérieur qui se déroule à l’arrière-plan de cette guerre, qui a peut-être été, d’une certaine manière, soit provoquée, soit non empêchée. Je vois bien qu’il y a là un intérêt à tester et à vendre des armes.»
Les Ukrainiens, un peuple courageux
Le Saint-Père s’est ainsi défendu d’une vision manichéenne. «Quelqu’un peut me dire à ce stade: mais vous êtes pro-Poutine! Non, je ne le suis pas. Il serait simpliste et erroné de dire une telle chose. Je suis simplement contre la réduction de la complexité à la distinction entre les bons et les méchants […] Il est certes vrai que les Russes pensaient que tout serait terminé en une semaine, mais ils ont fait un mauvais calcul. Ils ont trouvé un peuple courageux, un peuple qui se bat pour survivre et qui a une histoire de lutte».
«Il est vrai qu’il faut un siècle pour qu’un Concile prenne racine»
Pape François
Le pontife a également parlé de sa conversation en visio-conférence avec Cyrille Ier, le chef de l’Eglise orthodoxe russe. Ce dernier lui a «lu une déclaration dans laquelle il donnait des raisons pour justifier la guerre». Le pape assure que «lorsqu’il a terminé, je suis intervenu et lui ai dit: ›Frère, nous ne sommes pas des clercs d’Etat (chieri di Stato), nous sommes pasteurs du peuple’».
Communiquer «l’expérience humaine»
Le pontife a en outre appelé à ne pas oublier les autres conflits qui ensanglantent le monde. Des guerres desquelles les revues jésuites ont été appelées à présenter «le côté humain». «Faites vos réflexions géopolitiques, mais ne négligez pas la réflexion humaine sur la guerre», a lancé le pontife. Il a appelé la Compagnie de Jésus à s’intéresser prioritairement à «la communication des expériences humaines à travers les idées et le raisonnement» et à éviter les «idées abstraites». «La mission d’une publication jésuite ne peut pas être seulement de discuter, mais elle doit surtout aider au discernement qui mène à l’action».
Interrogations sur le synode allemand
Le pontife a également répondu à une question concernant le synode allemand. Il a révélé avoir écrit une lettre au sujet du processus dans ce pays. «Au président de la Conférence épiscopale allemande, Mgr Georg Bätzing, j’ai dit: ›Il y a une très bonne Eglise évangélique [ndlr, protestante] en Allemagne. Nous n’avons pas besoin d’une deuxième’. Le problème se pose lorsque la voie synodale vient des élites intellectuelles, théologiques et qu’elle est très influencée par des pressions extérieures. Il y a des diocèses où le chemin synodal se fait avec les fidèles, avec les gens, lentement.»
A la question «Quels signes de renouveau spirituel voyez-vous dans l’Eglise?», le pape a invité à «renouveler notre façon de voir la réalité, de l’évaluer». Il a salué les «nouveaux évêques qui se souviennent qu’il y a un Concile [le Concile Vatican II] derrière eux». Le pontife a ainsi réservé une pique au «restaurationnisme, qui, fondamentalement, n’a pas accepté le Concile […] Il est vrai qu’il faut un siècle pour qu’un Concile prenne racine. Nous avons encore quarante ans pour lui faire prendre racine!». (cath.ch/com/rz)