Procès de Londres: le cardinal Becciu donne sa version des faits
La 14e audience du procès de l’immeuble de Londres, s’est tenue le 5 mai 2022. Elle a été l’occasion pour le cardinal Angelo Becciu de donner pendant plus de deux heures de donner sa version des faits. Il a vivement protesté de son innocence tout en livrant de nombreux détails rocambolesques sur Mgr Alberto Perlasca alors chef du bureau de la section des affaires financières de la Secrétairie d’Etat.
Désormais libéré du secret pontifical, le cardinal Becciu a pu livrer son point de vue complet sur cette affaire. Entre confidences intimes, tentative de suicide, mystérieuse dame, menaces plus ou moins feutrées et écoutes illicites, la cour a pu suivre un long récit d’aventures plus ou moins rocambolesques.
Avant cela, l’avocat Alessandro Sanmarco avait opportunément annoncé qu’il souhaitait se constituer partie civile pour représenter Mgr Perlasca dans le cadre de deux accusations.
La première concerne celle de subornation de témoin, portée contre le cardinal Becciu, qui aurait demandé à l’évêque du diocèse de Côme (Italie) de faire pression sur Mgr Perlasca pour qu’il retire ses déclarations accusatrices envers lui. La seconde concerne l’accusation de fraude à l’encontre de MM. Tirabassi, Crasso, Torzi et Squillace qui auraient incité Mgr Perlasca à signer un accord pour transférer à M. Torzi la propriété de l’immeuble de Londres dans des conditions défavorables au Saint-Siège.
Plusieurs avocats de la défense ont immédiatement exprimé leur opposition en invoquant, entre autres, la position unique de Mgr Perlasca en tant qu’ancien suspect et le timing tardif de la constitution de partie civile. Le président du tribunal a déclaré qu’il trancherait prochainement, autorisant l’avocat à assister à l’audience.
Une «confiance maximale» en Mgr Perlasca
Dans sa longue déclaration spontanée, le cardinal Becciu a d’abord expliqué que le Bureau administratif, dont Mgr Perlasca était le chef depuis 2009 était en charge des questions financières de la Secrétairerie d’État. Au moment de sa nomination en 2011, le cardinal Tarcisio Bertone, alors secrétaire d’État, lui avait présenté le bureau comme compétent et expérimenté. Ce qui avait rassuré le cardinal sarde qui s’est présenté comme «éloigné de toute formation économique et financière».
Selon le cardinal Becciu ce bureau était «le petit royaume» de Perlasca. En tant que substitut, il rencontrait chaque jour le chef du Bureau administratif qui lui présentait des notes, des rapports ou des documents sur les principales questions financières concernant la Secrétairerie d’État, afin qu’il puisse prendre une décision. Le cardinal a souligné que, n’étant pas un expert en matière financière, le «mens« – , c’est-à-dire la note écrite de Mgr Perlasca, était d’une importance capitale dans son processus de décision.
«Au cours de mon service, je n’ai jamais pris une décision en matière d’investissements financiers qui n’était pas conforme à ce qui m’était proposé» par Mgr Perlasca et son bureau, a-t-il affirmé. Au cours des sept ans de travail la «confiance maximale» qu’il avait en lui n’avait jamais eu «à être remise en question».
Le rôle de Mgr Perlasca dans l’acquisition de l’immeuble de Londres
Selon le cardinal, c’est Mgr Perlasca qui lui avait présenté l’immeuble du 60 Sloane Avenue de Londres comme un investissement de valeur. Et ce, plutôt que de fermer le fonds Athena, géré par Raffaele Mincione, qui gérait des actifs du Saint-Siège. »Je me demande encore aujourd’hui comment j’aurais pu agir différemment, à la lumière des informations portées à ma connaissance à l’époque, qui, […] ne laissaient aucune place à l’interprétation», s’est défendu le prélat. »Si, en conscience, je dois aujourd’hui attribuer une faute à Mgr Perlasca, c’est celle de ne pas m’avoir fait connaître des points critiques connus de lui (et seulement de lui) pendant mes années à la Secrétairerie d’État».
Le cardinal Becciu nie toute subornation de témoin
Le cardinal a ensuite déclaré qu’il trouvait «particulièrement douloureuse» l’accusation de subornation de témoin. Il est accusé d’avoir poussé l’évêque de Côme, Mgr Oscar Cantoni, à faire pression sur Mgr Perlasca – en tant que prêtre incardiné dans son diocèse – pour qu’il retire les déclarations accusatrices le concernant. L’ancien substitut a expliqué qu’il avait rencontré l’évêque italien parce qu’à l’époque, plusieurs médias italiens rapportaient que Mgr Perlasca avait fait des déclarations sur lui et qu’il avait même écrit des lettres au pontife pour appuyer sa version des faits.
«Cette perspective était pour moi – un cardinal qui a juré fidélité au pape – inqualifiable. […] Je ne tolérerais pas qu’on dise des faussetés sur moi, et encore moins qu’on mente au Saint-Père», a expliqué Becciu en ajoutant également qu’il ne voulait pas «faire du mal» à Mgr Perlasca qui «traversait une période de grand désespoir, poussé au bord du suicide».
Le cardinal a alors rencontré l’évêque de Côme pour lui confier son «chagrin» face à ce qui se passait et lui expliquer que si Mgr Perlasca avait vraiment dit ce qui était rapporté dans les médias, le cardinal serait obligé de protéger son honnêteté, et donc, malgré lui, de le dénoncer pour calomnie. Il pensait que l’évêque pourrait aider Mgr Perlasca.
Une tentative de suicide de Mgr Perlasca
Le cardinal a affirmé être resté proche de Mgr Perlasca, même après avoir quitté son poste de substitut en 2018. Alors que les enquêtes sur les affaires concernant l’immeuble de Londres commençaient, Mgr Perlasca était tombé en «proie à une profonde solitude», a-t-il expliqué. Au point qu’il avait envisagé de se suicider. Le cardinal a ainsi lu un SMS envoyé par l’ancien chef de bureau dans lequel il déclarait : «En me jetant de ma chambre, je mourrais sur la chapelle» [de la résidence Ste Marthe NDLR].
Le cardinal aurait alors prévenu le secrétaire du pape, Mgr Yoannis Lahzi Gaïd, ainsi que le Commandant de la Gendarmerie. Il aurait retrouvé plus tard Mgr Perlasca «agité et parlant de façon incohérente» avant qu’un médecin ne lui administre un sédatif. Plus tard, il lui aurait signalé qu’il n’obtiendrait rien par un suicide sinon que les journaux jugent qu’il s’agissait d’un aveu de culpabilité.
Le cardinal a ensuite évoqué un dîner survenu deux mois plus tard dans un restaurant pendant lequel Mgr Perlasca lui a semblé «très étrange et susceptible» et lui aurait posé des questions sur sa personne et sur ses activités», notamment les «plus confidentielles». Mgr Beccieu a alors évoqué la possibilité d’avoir été enregistré à son insu pendant cette discussion, parlant de trahison. Il n’aurait plus revu Mgr Perlasca depuis.
Les menaces d’une dame «inquiétante»
Le cardinal a déclaré ensuite avoir été approché «à l’improviste» en mai 2020 par une personne «inquiétante» nommée Genoveffa Ciferri Putignani. Se présentant comme une proche de Mgr Perlasca, elle lui aurait demandé d’aider l’ancien chef de bureau, fraîchement licencié, lui demandant notamment d’intercéder auprès du pape. Plus tard, elle l’aurait rappelé pour mettre en doute «l’efficacité» de son intervention en faveur de son protégé.
Finalement, le cardinal aurait reçue cette dame le 10 juillet 2020 dans la soirée. Il se souvient d’une personne «froide et insolente» qui lui aurait encore reproché son inaction, puis qui avait critiqué le pape. Alors qu’il essayait de l’interrompre, elle l’avait accusé d’avoir tenter d’»éliminer» Mgr Perlasca avec le sédatif lors de sa ›tentative de suicide’ et d’avoir voulu l’éloigner du Vatican.
«N’oubliez pas : si vous ne faites pas tout pour redonner honneur et emploi à Mgr Perlasca, vous perdrez votre barrette de cardinal et son chapeau ne sera pour vous qu’un souvenir ignominieux !», l’aurait-elle menacé. Evoquant sa proximité avec des journalistes anglais et italiens capable de le «détruire», elle avait déclaré être une ex-agente des services secrets italiens. Puis changeant de ton, lui aurait proposé de se rendre dans sa villa.
Le prélat l’aurait fait sortir, mais aurait eu de ses nouvelles par messages, la personne insistant pour qu’il sauve Mgr Perlasca, puis lui signalant qu’il allait avoir «besoin d’avocats». Elle aurait aussi appelé son frère pour le menacer. Le cardinal Becciu aurait alors bloqué son numéro sur son téléphone.
Selon les recherches des avocats du cardinal Becciu, Mme Putignani aurait légué à Mgr Perlasca des propriétés immobilières à condition qu’il lui fournisse une «assistance morale et spirituelle» et qu’il célèbre ou fasse célébrer des «Saintes Messes Grégoriennes» pendant les cinq ans suivant sa mort. (cath.ch/imedia/ic/cd/mp)