Visite du pape au Kazakhstan: une manière de soutenir la liberté religieuse
Le projet d’un voyage du pape François au Kazakhstan a pris de l’épaisseur suite à une vidéoconférence tenue entre le président Kassym-Jomart Tokaïev et le pontife , le 11 avril 2022. Selon la présidence de cet État d’Asie centrale, le pape aurait exprimé son désir de s’y rendre à l’occasion d’un sommet interreligieux qui doit se tenir dans la capitale Nur-Sultan les 14 et 15 septembre prochains.
Le Père Pierre Dumoulin, prêtre français cofondateur du premier et seulséminaire au Kazakhstan après l’effondrement du régime soviétique, a récemment confié à I.MEDIA pourquoi un tel voyage a du sens aujourd’hui. Il dresse aussi un panorama de la situation de l’Église catholique dans ce pays.
Qui sont les catholiques du Kazakhstan?
Les catholiques du Kazakhstan représentent entre 2 et 2,5% d’une population de 16 millions d’habitants à majorité musulmane (70%). Ils sont pour la plupart d’origine étrangère – russe, allemande, polonaise. Ce sont en effet les déportations qui ont implanté la foi au cœur de l’Asie centrale. La langue de l’Église locale est surtout le russe, considéré comme une des deux langues officielles avec le kazakh aujourd’hui.
Que signifierait un voyage du pape auprès de cette petite communauté?
Tout d’abord, ce serait une manière de soutenir la liberté religieuse, car le Kazakhstan est l’un des rares pays d’Asie centrale où les religions bénéficient vraiment de cette liberté. Il assure une certaine stabilité dans la région. La venue du pape pourrait être une occasion de dialogue, aussi bien avec l’islam modéré – très différent de celui des pays du Maghreb ou des pays du Proche-Orient – qu’avec les autres confessions chrétiennes.
Ce serait aussi un geste pour l’unité des chrétiens, le Kazakhstan étant une terre qui favorise l’œcuménisme. Le dialogue avec les orthodoxes russes (20% de la population) y est plus facile, car nos Églises sont toutes deux en minorité. Au Kazakhstan on est tous des pauvres, on se soutient, on s’aime, on prie ensemble.
Pour vous donner un exemple, en 1999, quand est mort Karékine Ier, le catholicos de l’Église apostolique arménienne, une délégation arménienne est venue frapper à notre porte en nous demandant de faire une célébration en sa mémoire. Nous les avons accueillis, nous avons fait une liturgie avec eux, en chantant, en leur distribuant des bougies au lieu de la communion. Ils étaient très touchés et nous ont fait une offrande généreuse en argent.
Quand Jean Paul II est venu en 2001, lors d’une émission télévisée le nouveau catholicos a rappelé cette anecdote, en disant que la seule célébration qu’ils avaient pu faire en terre kazakhe était chez nous les catholiques. J’étais bouleversé.
Vingt ans après cette visite de Jean Paul II en 2001 – à laquelle vous avez participé -, François trouvera-t-il une Église différente?
La venue de Jean Paul II a été un moment magnifique. Il a reçu un très bon accueil, avec des immenses affiches sur des immeubles entiers, des drapeaux du Vatican partout, des paroles de bienvenue. C’était incroyable. Des catholiques sont venus à pied, de très loin, ou avec de vieux bus brinquebalants, et ont rempli une des places centrales de Noursultan.
À l’époque nous étions un peu plus nombreux : beaucoup d’Allemands et de Polonais sont depuis rentrés dans leurs pays. Aujourd’hui, le pape serait reçu dans une Église plus organisée, plus structurelle. Il n’y aurait peut-être pas autant de monde ni autant de ferveur, mais davantage de gens curieux venus d’autres sphères s’intéresseraient à cette visite.
Comment l’Église catholique est-elle vue par le gouvernement kazakh?
Le gouvernement veut à tout prix éviter le fanatisme, en particulier islamique. Il s’appuie pour cela sur la force de stabilité de l’Église catholique, conviant sa hiérarchie à des réunions organisées dans cette approche, pour faire du pays une vitrine de tolérance entre les religions. En revanche sur le terrain, au niveau de l’administration locale, généralement athée, certains conservent une ancienne mentalité communiste, ce n’est pas toujours évident. Nous sommes confrontés à quelques tracasseries.
Comment se passe l’évangélisation ? Les musulmans kazakhs peuvent-ils se convertir?
Le régime n’est pas du tout intransigeant. Des personnes d’origine kazakhe peuvent devenir chrétiennes. Au Kazakhstan, l’islam n’a pas été imposé de force, il a pénétré progressivement et le peuple a gardé une vision assez libre. Nombre de pratiques traditionnelles de la steppe demeurent, comme le tengrisme (ancienne religion turco-mongole), les mausolées, les marabouts.
Certains arrivent au catholicisme en passant par des sectes chrétiennes. Le Kazakhstan foisonne de sectes. On parle rien qu’à Karaganda de 80 sectes, qui sont souvent des groupes d’origine plus ou moins protestante évangélique. Beaucoup de jeunes sont attirés par leur côté festif, puis au terme d’une réflexion ils prennent conscience que ce n’est pas cela la véritable Église, et ils se tournent vers le catholicisme et l’orthodoxie.
Qu’aurait à dire l’Église du Kazakhstan à l’Église universelle?
Elle donne l’image d’une Église en minorité, qui tient sa place au milieu d’un monde très différent. L’Église catholique du Kazakhstan fait ce qu’elle peut pour exister, pour avoir un visage accueillant et bienveillant en animant des organismes caritatif. C’est une Église qui résiste et qui est missionnaire par son rayonnement, sans être prosélyte. Une Église qui n’est pas prétentieuse, qui vit en priant le chapelet, en lisant l’Évangile, qui vit par l’adoration.
C’est aussi une Église pauvre, qui vit dans des conditions difficiles. À moins 40 C° l’hiver, il faut enlever la neige, ramener le charbon, alimenter le feu… On y mène une vie de trappeur. On a sa vache, son cochon, parfois trois moutons, les fruits et légumes sont une denrée rare. Cela veut dire aussi une grande solidarité, un sens du partage très fort comme dans les premières communautés chrétiennes. Lorsqu’on reçoit des visiteurs, on donne sa chambre à coucher, on donne tout ce qu’on a.
Quand je rentrais en France ou en Suisse, le choc était tellement fort que je pleurais pendant des jours. Au milieu de la steppe on est dans l’essentiel, dans les choses toutes simples de la vie : ne pas avoir froid, se nourrir, ne pas mourir en somme ! En Occident, je me retrouvais dans le superflu.
Ce climat a une influence sur la foi?
L’immensité de la steppe donne une immense liberté. Dans ces contrées désertiques où l’on peut rouler sur des centaines de kilomètres sans rencontrer personne, on découvre qu’on a une âme, on découvre quelque chose de sa profondeur, de cette orientation vers le Ciel qui est au cœur de chacun. Les gens là-bas sont très religieux, ils ne vivent pas dans l’accessoire. Avec eux on peut parler de Dieu tout de suite, c’est une évidence. Notre pape s’y trouverait bien, sans aucun doute, lui qui aime les petits et les humbles… (cath.ch/imedia/ak/mp)