Le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, Mgr Raymond Poisson, a accompagnée les représentations autochtones | I.MEDIA
International

Le chemin engagé cette semaine avec les autochtones va continuer 

Le pape François a rencontré une délégation de Métis et une délégation d’Inuits du Canada le 28 mars 2022. Le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, Mgr Raymond Poisson, qui accompagne les représentations autochtones, a souligné le rôle que joue le pontife et l’importance de cette rencontre, point de départ d’un chemin de guérison et de réconciliation pour l’Église catholique au Canada et les autochtones.

Hier, le pape François a reçu deux délégations pendant une heure chacune. Vous qui avez participé à ces rencontres, quel regard portez-vous sur ce moment préparé de longue date par l’Église catholique au Canada ?
Plus que de tout le reste, que les demandes, les excuses, les dédommagements, le but du temps de ce que nous avons vécu ensemble hier était de se rencontrer. Pendant ce moment, je dois dire que les délégués ont été très fidèles à leur engagement, à leur témoignage. C’était un moment très paisible, assez émouvant pour certains. Le pape s’est montré très écoutant, attentif. Il avait un petit mot à leur dire. Mais il s’agissait d’abord – comme souvent avec lui – d’un cœur à cœur. Il a pris le temps de les toucher, de les bénir, de les remercier. Cela a été, je pense, des moments très forts pour les délégués et pour nous. 

Pourquoi avoir voulu faire cette rencontre avec le pape ? 
Ce voyage a presque représenté trois années de travail. Nous voulions qu’il y ait cette rencontre pour placer notre démarche de réconciliation et de guérison au niveau de l’expérience vécue ; tant chez les survivants que chez les aînés et les jeunes qui n’ont jamais vécu dans les écoles résidentielles mais en ont entendu parler. Cette dynamique, pour moi, est un tout, une marche que nous avons commencée ensemble et qui ne se finira pas avec la rencontre d’hier. C’est pour cela qu’à l’automne, après avoir présenté nos excuses, nous avons lancé un fonds national afin d’aider des projets. Nous continuons et continuerons à participer localement à des cercles de discussion, à rencontrer les personnes sur le terrain. 

Quelle part joue le pape dans ce processus ?
Le pape a répondu «oui» à notre invitation de se rendre au Canada. Ce sera la continuation des rencontres que nous faisons cette semaine. Il viendra plus qu’informé parce qu’il aura entendu les délégués. C’est très différent de lire un témoignage sur un papier et d’entendre une personne qui nous parle dans un cœur à un cœur, qui exprime ses émotions, raconte son passé, celui de ses proches, ou la façon dont il vit aujourd’hui. Le pape a entendu tout cela, et, comme il l’a dit hier, les portera dans sa méditation et sa prière pour les jours à venir en vue de sa déclaration de vendredi mais aussi de sa visite.

On parle d’une visite en juillet ou en septembre. Quand est-ce que ce voyage attendu pourrait avoir lieu selon vous ?
Je ne vais pas aller à confesse ! Pour ce genre d’annonces, c’est le Vatican qui s’en charge et le Canada doit accepter. Évidemment, nous travaillons sur ce voyage depuis décembre dernier et nous avons une idée sur la question, nous pensons que cela ne se fera pas en janvier par exemple. Pour l’heure, nous avons ouvert trois «plages» : deux à la fin du mois de juillet et peut-être une à l’automne. Cependant, le Saint-Père est, comme les autochtones, sensible à la fête de sainte Anne (célébrée chaque 26 juillet, ndlr). Chez nous, au Canada c’est une fête importante (sainte Anne est patronne du Canada, ndlr), donc je pense qu’il s’agira d’une des deux «plages» de juillet. L’annonce officielle devrait sortir sous peu !

En écoutant les délégués, on prend conscience de leur grande diversité, notamment en matière de revendications, de positionnement vis-à-vis de l’Église ou de l’État. Comment voyez vous cette spécificité des communautés autochtones canadiennes ?
Le pape François a reçu deux groupes hier et il y en aura un troisième jeudi, celui des Premières nations. Entre eux, il n’y a pas tant de choses que cela en commun, si ce n’est le problème des écoles résidentielles qui les a touché plus ou moins selon les groupes. Et il n’y a pas non plus beaucoup de communications entre ces groupes. Je dirais même que nous avons permis, à travers ce voyage, des rencontres entre délégations nationales, entre chefs des trois groupes. Ce qui n’était pas le cas au début de notre cheminement.
Le territoire du Canada est immense, il y a des communautés un peu partout, chacune est une nation, et ce n’est donc pas évident. Au niveau national, nous avons des présidences, des gens élus qui ne sont pas les «chefs» et n’ont pas nécessairement un vrai pouvoir dans ces communautés. Je crois qu’on peut dire que la société canadienne ne connaît pas bien ses communautés. Nous ne nous connaissons pas. Ce n’est pas vrai seulement des catholiques mais de tout le monde. Les distances n’aident pas certes, mais ce n’est pas suffisant. Le but de notre fonds, et de l’opération que nous menons, c’est que nous puissions nous connaître davantage. Et leur permettre ainsi de se faire connaître, de se faire reconnaître et respecter, ce qui n’a pas été le cas et ce qui est encore très difficile. 
Au Canada, il existe une loi qu’on appelle «loi sur les indiens». Cette loi aurait besoin d’être révisée, mais c’est délicat parce que tous ne s’entendent pas. Mais cette loi fait des communautés autochtones des communautés dans la grande communauté.

Hier, les représentants des communautés ont déclaré qu’elles souhaitaient que l’Église joue un rôle d’allié dans certains cas pour l’aider à faire valoir ces droits auprès de l’État. Quel rôle peut jouer l’Église catholique au côté des autochtones ?
C’est le sens du travail que nous faisons actuellement, la pédagogie de l’Église qui n’est absolument pas celle du gouvernement. Il n’y a pas de jugement dans mon propos : ce sont deux approches très différentes. Nous ne sommes pas un gouvernement mais plus un service et un accompagnement, si je peux dire. Cette pédagogie que nous proposons sert à toute la société canadienne et elle sert aussi au gouvernement. C’est ce que j’ai observé ces derniers temps avec la délégation.
Nous préparons ce déplacement depuis longtemps – trois ans – et au départ il y a avait un peu de perplexité. Ensuite, on a dû reporter la visite à cause du Covid à deux reprises. Petit à petit, même l’État s’est mis à s’intéresser à la chose. Les délégués s’y sont tellement intéressés qu’une seconde délégation beaucoup plus nombreuse est venue à ses frais cette semaine. C’est le fruit de cette pédagogie, avec laquelle nous proposons de marcher ensemble.
Ce que nous faisons et que nous décidons de faire, nous le décidons avec eux. Jamais sans eux. Cela, je pense que c’est peut-être quelque chose que l’État est en train d’apprendre aussi. Du moins c’est ce que j’ai entendu. Je souhaite qu’on puisse employer nos énergies tous ensemble – les organisations nationales autochtones, le gouvernement et nous-mêmes – parce que ce que nous faisons comme travail, je pense, doit être bénéfique pour toute la société, pas juste pour l’Église catholique.

Considérez-vous que toutes les revendications portées par les délégations puissent trouver une réponse de votre part ?
Une réponse oui, mais cela ne sera peut-être pas la réponse que chacun veut avoir. Cela dépend aussi des perspectives qu’on a. Je pense qu’il y a des considérations qui ne sont pas toujours mises en avant,  il y a des contextes historiques. Il ne faut pas regarder avec les yeux d’aujourd’hui ce qui s’est passé hier, ce qui a pu se passer de négatif. Il n’y a pas eu que du négatif.
Dans le passé, il y a eu un premier agreement avec l’État et la Cour qui s’est réglé et les institutions catholiques ont payé presque 29 millions de dollars en dédommagement (en 2013, ndlr). On a raté notre coup à l’époque, alors on s’y est repris une nouvelle fois (en 2021, ndlr) avec un fond de 30 millions, plus important que la somme demandée au départ. Mais tout cela ne correspond pas toujours au regard que chacun porte sur cette affaire. Nous faisons notre possible, nous sommes avec eux et nous sommes très heureux d’avoir les délégués avec nous aujourd’hui.

Et de la part du pape François, pensez-vous qu’il puisse répondre à leurs attentes ?
Je fais confiance au pape : il ne nous a pas accordé quatre heures d’audience pour rien. Tout comme il a commencé à le faire lundi, il saura s’adresser avec les mots appropriés à toute la délégation vendredi. Ensuite, ce qui sera dans son discours, ses propositions, ses décisions, il va les apporter avec lui quand il viendra au Canada, et notre chemin va continuer. Selon moi, il ne faut pas oublier le passé, mais en même temps il ne faut pas nous arrêter dessus. Regardons-le, devenons-en responsables, reconnaissons-le, et à partir des leçons de l’histoire, faisons mieux. Nous travaillons pour aujourd’hui et pour demain. Comme l’ont dit les délégués lors de la conférence de presse, c’est aussi pour leurs enfants, pour l’avenir. Parce qu’il faut arrêter de leur transmettre des «mauvaises nouvelles», des «mauvaises expériences».

S’agit-il de répondre à ce que les délégués ont dénoncé comme un « trauma intergénérationnel » ?
C’est ce que connaissent des personnes devenues adultes qui ont vécu un traumatisme important dans leur enfance. Par exemple quand un père bat ses enfants, le jeune qui devient père à son tour éprouve de la difficulté à assumer sa responsabilité de père avec ses enfants dans un sens. Le modèle dont il dispose est négatif. Avec ce trauma, c’est un peu pareil. Il se transmet de générations en générations, et concerne le rapport à l’Église, aux institutions ou, plus généralement, au «monde des blancs», comme on disait dans le temps, c’est-à-dire le monde ou «style» européen ou colonial. (cath.ch/imedia/cd/mp)

Le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, Mgr Raymond Poisson, a accompagnée les représentations autochtones | I.MEDIA
29 mars 2022 | 17:16
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 7  min.
Partagez!