Dans son dernier livre, le philosophe Denis Moreau donne les raisons de son attachement à la foi catholique | DR
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Denis Moreau: Benoît XVI offre un modèle de «charité intellectuelle»    

Denis Moreau, professeur de philosophie moderne et de philosophie de la religion à l’Université de Nantes, a publié le 18 mars 2022 le livre «Résurrections» aux éditions du Seuil. Connu pour ses ouvrages sur l’articulation entre foi et raison, le philosophe français explique que Benoît XVI a clairement été à l’origine de la réorientation de sa carrière.

Denis Moreau apporte dans cet ouvrage une lecture de la Résurrection du Christ à la lumière des crises, des deuils et des rebonds que chacun peut connaître dans son existence.

A quand remonte votre attachement à Benoît XVI ?

J’ai été invité à un congrès des universitaires européens organisé au Vatican en 2007, sur le thème de l’humanisme en Europe. Nous étions une quinzaine de participants français, pour un total de 300 ou 400 personnes. J’avais les yeux «tout clignotants» devant les merveilles de Rome, et face à des personnalités de très haut niveau qui participaient à ce congrès, telles que Leszek Kolakowski (1927-2009, philosophe polonais spécialiste de la critique du marxisme, ndlr).

Le Vatican avait consulté un vieux moine de Fontgombault pour identifier les personnalités «importantes» dans la pensée chrétienne en France. Il se trouve qu’il avait lu une traduction de saint Thomas d’Aquin que j’avais publiée quelques années auparavant, et il avait donc signalé mon nom.

Lorsqu’il nous a reçu, Benoît XVI a fait comprendre qu’il comptait sur nous, les universitaires, pour défendre le christianisme, et qu’il fallait oser se lancer. Dans l’avion du retour, je me suis dit que j’avais eu un clin d’œil de la Providence, et j’ai commencé à écrire une première page sur le Salut. Benoît XVI a clairement été à l’origine de la réorientation de ma carrière. J’écrivais des livres confidentiels, sur la pensée de Descartes par exemple, et je me suis lancé dans l’apologétique chrétienne, avec des livres comme «Comment peut-on être catholique ?», qui ont touché un plus large public.

Vous définissez-vous aujourd’hui comme un intellectuel «ratzinguérien» ?

Je pourrais me définir comme un «ratzinguérien de gauche», si cette catégorie a un sens ! J’ai été nourri par les textes de Benoît XVI, ses homélies, son discours de Ratisbonne, son discours des Bernardins, et «Deus Caritas est», qui est une encyclique extraordinaire.

Ce que j’aimais beaucoup durant le pontificat de Benoît XVI, c’était sa clarté d’intellectuel allemand, mais aussi sa façon de toujours rechercher ce qu’il y avait de bien dans les thèses avec lesquelles il n’était pas d’accord. Face à des pensées adverses, il cherchait toujours à identifier le point intéressant qui pouvait constituer une base de discussion. C’est très beau et rare comme attitude, c’est un modèle de charité intellectuelle.

Contrairement à l’image qui lui était attribuée, il avait donc une forme d’ouverture d’esprit, par sa façon de s’installer sur le terrain de l’adversaire, plutôt que de le dénigrer. J’ai ainsi pu conseiller à une étudiante de citer «Spe Salvi» pour une thèse sur Theodor Adorno (1903-1969, philosophe allemand, ndlr), car Benoît XVI, dans son encyclique, faisait référence à ce penseur.

L’encyclique «Foi et Raison» de Jean Paul II porte aussi la marque de Joseph Ratzinger. En refermant cette encyclique, je me suis dit que j’avais de la chance d’être «catho», et d’être encouragé, en tant que philosophe, par le Vatican. Ça fait plaisir à lire, des expressions comme «la philosophie est l’une des activités les plus importantes de l’humanité» !

Actuellement, sous le pontificat du pape François, la place de la sensibilité et de l’image semble plus souvent mise en avant que les débats intellectuels. Avez-vous la nostalgie du pontificat précédent ?

Non, je ne suis pas nostalgique car j’ai une conviction très forte: «il y a de nombreuses demeures dans la maison du Père !» Le pontificat de Benoît XVI a été une fête pour l’esprit, mais c’était peut-être aussi un pontificat pour universitaires… Alors, quand Benoît XVI a renoncé, j’étais très triste, mais en même temps, quand François a été élu, je me suis dit que ce changement de style était nécessaire.

Le pape François n’a peut-être pas la même densité philosophique, mais il ne faut pas le sous-estimer. Par exemple, il utilise souvent des expressions comme «le temps est supérieur à l’espace». A première vue, cela peut sembler superficiel, mais en y réfléchissant, c’est très profond. Cela signifie que toute pensée doit se situer dans un processus, et non pas dans l’instantanéité.

«Son style est très fleuri, métaphorique»

Son style est très fleuri, métaphorique, avec des aspects répétitifs mais aussi des points saillants. «Amoris Laetitia», par exemple, c’est un très beau texte. Pour moi qui suis en couple, ça me parle, cette réflexion sur la joie de l’amour.

Je remarque que dans mon groupe d’amis de jeunesse, presque tous sont divorcés. Le divorce qui se passe bien et lors duquel tout le monde rigole, ça n’existe que dans les séries Netflix. En réalité, il y a beaucoup de situations de misère psychologique et matérielle, notamment pour les femmes seules après une séparation. Le coût social du divorce est énorme et sous-estimé.  Le pape François en est très conscient, et dans un contexte de grand pessimisme, voire de détresse, particulièrement pour de nombreux jeunes, il a raison de remettre la joie au centre.

Et puis moi, je n’aime pas le conflit, j’essaie de prendre les choses avec bonne humeur. Alors j’ai été heureux de lire que dans «Gaudete et Exsultate», le pape François parle du sens de l’humour comme un trait distinctif de la sainteté ! La joie et le sens de l’humour sont des notions essentielles en philosophie.

Dans le monde académique, le fait d’être un philosophe chrétien connu vous vaut-il quelques ennuis ?

Parfois, les collègues se fichent un peu de moi à la cantine ! Mais en réalité, je n’ai jamais eu le sentiment que ça ait freiné ma carrière. L’antichristianisme est beaucoup plus marqué dans d’autres disciplines, par exemple la biologie, les lettres, mais dans la discipline que j’enseigne, la philosophie, on parle de Dieu.

Il y a une connivence qui s’est établie entre le christianisme et la philosophie: la spécificité intellectuelle du christianisme, ce sont les noces d’une source sémite, la Bible, et d’une source grecque, la philosophie. Ce n’était pas gagné d’avance mais ça a marché. Mes collègues athées ont donc passé leur temps à étudier des philosophes chrétiens, dont ils savent que ce n’étaient pas des imbéciles: saint Augustin, saint Thomas d’Aquin mais aussi Kant, Descartes, Pascal…

Mes livres sont le fruit de mon travail de recherche, et je suis donc payé par la République pour traduire du saint Thomas d’Aquin. Au programme de l’agrégation de philosophie, on peut trouver saint Augustin, Blaise Pascal… En France beaucoup de catholiques se sentent un peu persécutés, mais ce n’est pas mon cas.

Votre dernier ouvrage, Résurrections, vise-t-il à remettre le thème de la rédemption au centre de la pensée contemporaine ?

Plutôt que la catégorie de «rédemption», je préfère m’intéresser à la question du «Salut». C’est une porte d’entrée dans le christianisme, alors que le mot «rédemption» traduit une théologie de la souffrance rédemptrice, comme le chant «Minuit, chrétiens», qui me semble repoussante. On la retrouve aussi dans le film de Mel Gibson, «La Passion du Christ».

Le christianisme, une idée forte qui peut aider à traverser les catastrophes

Mais on n’échappe pas à la croix, et ce n’est pas seulement un slogan catho. On ne traverse pas l’existence sans souffrance. Elle n’est pas à rechercher pour elle-même, mais la question c’est de savoir comment on s’en sort, comment on survit. Le christianisme est en ce sens une construction métaphysique performante, pour obtenir le bonheur, à travers l’idée du Paradis.

Mais le pari pascalien de tout parier sur l’autre vie n’est pas attrayant. Il faut oser présenter le christianisme comme une réponse chrétienne à la question de la «vie bonne», pour aujourd’hui, comme la posaient les philosophes grecs. Et je pense que le chrétien doit d’abord être bienveillant. Les chrétiens ne sont pas forcément meilleurs que les autres dans leur relation aux autres, mais ils doivent être bienveillants.

Le message chrétien est-il d’abord de montrer que la souffrance n’a pas le dernier mot, qu’il y a autre chose derrière, une perspective de vie renouvelée ?

En effet, la vie est une suite de Pâques et de résurrections. Un croyant en dépression peut lui aussi crier «mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné !» C’est un mystère pour un chrétien d’être frappé par le malheur, mais l’horizon de la Résurrection nous donne la conviction que les forces de mort et de destruction n’auront pas le dernier mot.

Cela ne résout pas tous les problèmes mais cela aide à survivre, à se relever des ruptures amicales et amoureuses, des problèmes de santé, des différents deuils qui nous frappent. Il ne s’agit pas de rechercher la souffrance mais de savoir comment l’affronter, par exemple en faisant un «bon usage des maladies», comme l’écrivait Blaise Pascal.

Le christianisme ne doit pas être réduit à une simple morale, mais le message chrétien, avec sa fine pointe qu’est la Résurrection, avec l’idée que la mort n’a pas le dernier mot, c’est une idée forte qui peut aider à traverser les catastrophes. (cath.ch/imedia/cv/be)

Dans son dernier livre, le philosophe Denis Moreau donne les raisons de son attachement à la foi catholique | DR
20 mars 2022 | 14:34
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 6  min.
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