En une semaine, la basilique a reçu des dons provenant de toute l’Italie et du Vatican | © Isabella H. de Carvallo
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À Rome, la formidable mobilisation d'une paroisse ukrainienne

Depuis l’invasion russe en Ukraine, la paroisse gréco-catholique ukrainienne de Santa Sofia, à Rome, est devenue le lieu d’une collecte impressionnante de vivres et de médicaments qui partent pour l’Ukraine. C’est aussi un lieu de recueillement où s’est rendu le Président de la République italienne. Reportage au cœur d’une communauté sur le pont.

Isabella H. de Carvalho/I.MEDIA

À la périphérie-est de Rome, depuis un carrefour routier très fréquenté, on distingue le dôme doré d’une église blanche surplombant des pins et des palmiers. Passé le portail, le visiteur ordinaire se retrouverait en temps normal au milieu d’une place paisible qui entoure la basilique de Santa Sofia, une des trois églises gréco-catholiques ukrainiennes de Rome. Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, c’est l’agitation qui règne. La paroisse est devenue la plaque tournante de la collecte pour l’Ukraine, où les bénévoles fourmillent pour trier les dons qui s’amoncellent en piles dont certaines atteignent jusqu’à deux mètres de haut.

48h après l’invasion russe en Ukraine, la paroisse a lancé un appel sur les réseaux sociaux et via des paroisses romaines pour demander du matériel afin de soutenir en urgence les personnes touchées par le conflit. La mobilisation a dépassé les espérances. En une semaine, la basilique a reçu des dons provenant de toute l’Italie et du Vatican.

«Jusqu’à aujourd’hui, nous avons envoyé douze gros camions en Ukraine avec de la nourriture, huit minibus avec divers produits de première nécessité, et quatre camionnettes avec des médicaments», confie le Père Marco Yaroslav Semehen, Ukrainien, et recteur de la basilique depuis 2013. Les yeux bleus du prêtre sont fatigués. Débordé, il se plie en quatre pour coordonner l’action des volontaires qui répartissent les conserves et les médicaments et comptabilisent les dons en argent.

La paroisse est devenue la plaque tournante de la collecte pour l’Ukraine, où les bénévoles fourmillent pour trier les dons qui s’amoncellent en piles | © Isabella H. de Carvallo

Le Père Marco explique que l’argent est le plus utile ici. Car il aide à couvrir les frais de transport des marchandises mais il peut aussi servir à l’achat de produits dans des pays plus proches de l’Ukraine. «Par exemple, nous avons acheté des sacs de couchage chez Décathlon en Pologne avec les sommes reçues. Ils sont arrivés en Ukraine beaucoup plus rapidement que s’ils étaient venus d’ici», raconte-t-il, précisant que ces dons proviennent de particuliers, de paroisses, de chaînes de restaurants, d’associations d’avocats ou encore de médecins et d’hôpitaux.

Des dons sont également venus du plus petit État du monde. Le 7 mars, deux camions en provenance du Vatican ont apporté une quantité importante de médicaments, ces produits de première nécessité que le gouvernement ukrainien a spécialement demandés.

Le Père Marco est touché par cette solidarité du pape François manifestée notamment par l’action du cardinal polonais Konrad Krajeswki, aumônier apostolique. Ce dernier vient de partir pour la Pologne et l’Ukraine afin d’apporter un soutien humanitaire aux centaines de milliers de déplacés. «Je l’accompagne dans la prière, car c’est un voyage très important», confie le prêtre ukrainien.

«Les voitures n’arrêtent pas d’arriver»

Un peu plus loin, un flot ininterrompu de voitures continue de s’arrêter dans l’enceinte de la paroisse. Des dizaines de personnes viennent déposer des paquets de couches, des couvertures, des haricots en conserve, des pâtes… Des bénévoles récupèrent les colis et courent dans toutes les directions pour les acheminer aux différents comptoirs, criant dans un mélange d’ukrainien et d’italien.

Une fois déposées les marchandises, d’autres les ouvrent, trient les produits, puis referment les sacs avec du scotch en écrivant en hâte ce qu’ils contiennent. Ils déposent enfin un autocollant sur lequel on peut voir les drapeaux ukrainien et italien ainsi que le nom et l’adresse mail de la paroisse en alphabet latine et cyrillique.

Un autocollant sur lequel on peut voir les drapeaux ukrainien et italien est collé sur les cartons dont le contenu a été trié | © Isabella H. de Carvallo/I.Média

«Les voitures n’arrêtent pas d’arriver et nous remercions Dieu pour cela. Il y a tellement d’aide… Nous ne pouvons qu’espérer apporter les choses le plus rapidement possible, car la situation est très critique», confie pour sa part Nazar, un Ukrainien de 26 ans qui coordonne les bénévoles. Fidèle de cette église ukrainienne, il vit en Italie depuis 2004.

Le jeune homme raconte avoir été submergé par les réponses. «Un de mes amis italiens a pris l’initiative de louer une camionnette pour aller en Pologne apporter des médicaments, s’exclame-t-il. Je vois de jeunes garçons qui arrivent ici dans leurs «voiturettes» (véhicules pouvant être conduits à partir de 14 ans en Italie, ndlr), avec des sacs remplis de choses. C’est touchant», glisse-t-il.

Une partie de la famille de Nazar est en Ukraine et le jeune homme a hésité à la rejoindre. «Mais ce que nous faisons ici avec les dons m’a beaucoup ragaillardi. Il y a quelques jours encore, je pensais partir en Ukraine parce que rester ici et regarder la télévision à la maison, en voyant tout ce qui se passe, c’est vraiment lourd, explique-t-il. Cependant, depuis que nous avons commencé à trier les dons, nous sommes très occupés, ce qui fait que d’une part, vous ne pensez pas aux mauvaises choses qui se passent et d’autre part, vous vous sentez soulagé parce que vous aidez».

C’est ainsi qu’après chaque journée de travail, il se rend ici. «Je ne me sens ni fatigué ni accablé. Nous ne nous connaissons pas tous, mais vous pouvez voir qu’il y a de l’amour tout autour de nous, car les gens sourient, tout le monde est prêt à aider, personne n’est inactif. Cela m’a ouvert un monde», témoigne-t-il.

Un camion de la Croix-Rouge arrive. Les volontaires commencent à sortir des provisions, des lingettes hygiéniques et du savon. Nazar part pour les aider à décharger.

Un camion d la Croix rouge italienne apporte des produits d’hygiène que les volontaires trient aussitôt | © Isabella H. de Carvallo

À quelques mètres, on prie pour l’Ukraine

Au milieu de l’agitation des volontaires, il arrive que certains d’entre eux s’échappent quelques instants pour monter les quelques marches qui mènent à l’église. Là, l’atmosphère est calme et solennelle. Dans l’obscurité, on distingue les murs recouverts de mosaïques. Au fond, deux prêtres sont en train de prier.

«Évidemment, nous continuons à prier… Le sacrement de la confession est également très important», explique le Père Marco. «Nous essayons aussi de prier avec les volontaires. Hier nous avons tous récité un chapelet à la Divine miséricorde à 15h pour apporter un sens spirituel au travail que nous faisons. Le travail est une bonne chose, mais la prière est la chose la plus importante», souffle-t-il. Il en est convaincu: la première chose dont son pays a besoin aujourd’hui, «ce sont des prières, afin que Dieu puisse éclairer les dirigeants pour qu’ils trouvent une solution et arrêtent cette guerre inutile».

Dans cette église, le Président de la République italienne, Sergio Mattarella, est venu en personne manifester son soutien à la communauté ukrainienne et prier lors de la messe du 6 février. «Nous ne nous y attendions pas du tout, ce fut une énorme surprise», confie le Père Marco. Et poursuit: «À travers son président, nous nous sommes sentis embrassés par le peuple italien». (cath.ch/imedia/ic/bh)

En une semaine, la basilique a reçu des dons provenant de toute l’Italie et du Vatican | © Isabella H. de Carvallo
9 mars 2022 | 15:09
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 5  min.
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