Mgr Paul Gallagher (à g.), le "ministre des Affaires étrangères" du Saint-Siège, a effectué un voyage au Liban du 31 janvier au 4 février 2022 | photo d'illustration © Ministère des Affaires étrangères slovaque
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Voyage du pape au Liban, une perspective réaliste?

Mgr Paul Richard Gallagher a annoncé qu’un voyage du pape François au Liban est à l’étude entre le mois de mai et le mois de décembre 2022, a confié à I.MEDIA un diplomate près le Saint-Siège. Pour Mgr Mounir Khairallah, évêque maronite de Batroun, une telle visite demeurera toutefois «une illusion» tant que la classe politique ne changera pas de comportement.

La confidence de Mgr Gallagher, secrétaire pour les relations avec les États de la Secrétairerie d’État, sur une possible visite du pape au Liban a été faite à des représentants du corps diplomatique lors d’une réunion organisée au Vatican le 9 février 2022.

Ce n’est pas la première fois que le prélat britannique évoque la perspective de ce déplacement, que le pontife souhaite ardemment effectuer. Le 25 juin dernier, le diplomate vatican avait déjà fait part du désir du pape de s’y rendre dès la fin de 2021.

Des conditions encore à réunir

Le Saint-Siège conditionne cependant ce voyage à la présence d’un gouvernement stable. Ce qui fait qu’il ne peut avoir lieu avant les prochaines élections législatives prévues en mai prochain. Le «ministre des Affaires étrangères» du pape François décrit la tenue de ces scrutins comme une «étape indispensable» pour restaurer la stabilité du pays, souligne d’ailleurs un communiqué officiel publié par le Bureau de presse du Saint-Siège.

Mgr Gallagher a aussi confié aux diplomates que, pour l’heure, aucune date ni même créneau n’avait été fixé et que le Saint-Siège attendait toujours que «les conditions soient réunies» – en matière de sécurité notamment – pour avancer.

La présentation de ce projet de voyage au cours d’une réunion rassemblant tout le corps diplomatique près le Saint-Siège au Vatican n’est pas anodine. Un format «pas inhabituel», sans être «systématique» non plus, qui soulignerait l’importance accordée par le Saint-Siège à la situation dans le petit pays du Levant, commente un diplomate.

Situation difficile

Le Britannique s’exprimait devant les diplomates au retour d’un voyage de cinq jours dans le pays du Cèdre, du 31 janvier au 4 février. Si celui-ci était en partie lié aux 75 ans de relations entre le Liban et le Saint-Siège, il en a profité pour rencontrer les principales autorités politiques et religieuses locales ainsi que des représentants de la société civile.

Une expérience qui lui aurait permis de «toucher du doigt la réalité du Liban», et de constater une absence de consensus sur les solutions aux problèmes, a souligné le Saint-Siège. Selon un diplomate, Mgr Gallagher aurait aussi évoqué la «dégradation de la situation» au Liban et insisté sur l’état d’urgence humanitaire qui y règne. Il a néanmoins témoigné du «fort désir, en particulier des autorités libanaises» d’accueillir le pape.

Le pontife a à plusieurs reprises fait part de sa volonté de se rendre au Liban. Pour l’heure, aucun voyage pontifical hors d’Italie n’est officiellement prévu en 2022. Des journaux locaux ont annoncé que le pape se rendrait à Malte en avril, mais sans confirmation du Saint-Siège. (cath.ch/imedia/cd/rz)

Pas de visite sans changement politique

Mgr Mounir Khairallah salue le «bilan plutôt positif» de la visite au Liban de Mgr Paul Richard Gallagher. L’évêque maronite de Batroun confie néanmoins à I.MEDIA que la perspective d’une visite du pape François demeurera «une illusion» tant que la classe politique ne changera pas de comportement.

Venu au nom d’un pape François «préoccupé pour l’identité, le rôle et la mission du Liban», le responsable de la diplomatie du Saint-Siège l’a encouragé dans sa vocation de «pays-message», selon la célèbre formule de Jean Paul II prononcée lors de sa visite à Beyrouth en 1997. Mgr Gallagher a démontré que le pape compte beaucoup sur «l’efficacité de l’Église» pour promouvoir le «dialogue dans la charité, le respect et la vérité» entre toutes les communautés libanaises, explique l’évêque de Batroun, une ville portuaire entre Beyrouth et Tripoli.

«Notre vie quotidienne relève du miracle»

«Le Saint-Siège est toujours aux côtés du Liban dans ses contacts avec la communauté internationale», en encourageant tous les acteurs à se mobiliser pour le Pays du Cèdre. La population est en effet terrassée depuis plusieurs années par une série de maux et de crises, entre effondrement économique et financier, pandémie de Covid-19, paralysie institutionnelle, sans oublier l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, qui demeure un traumatisme profond.

Avec une chute de 96% de la valeur de la livre libanaise face au dollar, la population est fortement précarisée. «Notre vie quotidienne relève du miracle», témoigne Mgr Khairallah. «Personne ne peut expliquer comment les gens continuent à résister face à une telle dégradation». Une «solidarité extraordinaire» persiste néanmoins entre les Libanais, à l’intérieur du pays, tout comme au niveau de la diaspora, qui soutient massivement la population.

«Tous les jours, on se réveille en se demandant combien de temps nous allons résister, et pourtant nous sommes toujours là. Dieu ne nous abandonne pas!», se réjouit l’évêque de Batroun.

Il remarque quoiqu’il en soit la lassitude de la population face à une classe politique «inconsciente, irresponsable et corrompue». Les élections législatives du 15 mai 2022 seront un test décisif pour rétablir la confiance de la population dans ses institutions.

Le risque d’une instrumentalisation

«Le pape a envie de venir, mais il sait qu’avec la classe politique actuelle, il n’aboutira à rien», insiste le prélat libanais. Il risquerait d’être l’objet d’une «récupération» de la part des autorités, qui doivent absolument «prendre conscience de leur faute, de leur corruption», avant de pouvoir recevoir dignement le pape. Près de 10 ans après la visite de Benoît XVI au Liban, en septembre 2012, et 25 ans après celle de Jean Paul II, en 1997, une visite de François serait pourtant une source de «relèvement» pour l’Église et pour toute la population libanaise, explique Mgr Khairallah.

Il rappelle que «les Libanais gardent dans leur cœur le souvenir de l’amitié séculaire des papes pour leur pays». Mais pour que le pontife vienne, «le changement doit commencer ici», et venir des Libanais eux-mêmes. CV

Mgr Paul Gallagher (à g.), le «ministre des Affaires étrangères» du Saint-Siège, a effectué un voyage au Liban du 31 janvier au 4 février 2022 | photo d'illustration © Ministère des Affaires étrangères slovaque
10 février 2022 | 10:58
par I.MEDIA
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