L’Azerbaïdjan demande au pape d’arbitrer son différend avec l’Arménie
L’Azerbaïdjan est «intéressé» par une médiation du pape François dans la gestion des différends qui l’opposent à l’Arménie, a affirmé Rahman Mustafàyev, ambassadeur azéri près le Saint-Siège, le 17 janvier 2022.
S’exprimant lors d’un point presse organisé à Rome en conclusion d’un voyage interreligieux emmené par le cheikh Allahshükür Hummat Pashazade, grand mufti du Caucase, le diplomate a expliqué que le fait que le Saint-Siège ait des «bonnes relations avec les deux parties» justifiait cette demande.
Le 10 novembre 2020, la seconde guerre du Haut-Karabagh s’achevait, l’Azerbaïdjan reprenant le contrôle d’une partie de la région montagneuse peuplée d’Arméniens. Celle-ci dénonce une invasion. Si le conflit est officiellement terminé depuis l’armistice, les tensions et affrontements à la frontière se sont multipliés depuis.
Pendant cette période, l’Azerbaïdjan musulman a renforcé sa présence diplomatique auprès du Saint-Siège, qui est aussi un interlocuteur régulier de l’Arménie. Le Saint-Siège a ainsi récemment inauguré sa nonciature à Erevan. L’Azerbaïdjan va pour sa part ouvrir les bureaux de son ambassade vaticane d’ici quelques mois, une décision de Bakou qui intervient alors que les deux États vont célébrer cette année 30 ans de relations diplomatiques.
Le modèle de la médiation russe
Pour expliquer ce qu’attend l’Azerbaïdjan du Saint-Siège, l’ambassadeur Mustafàyev a donné en exemple la médiation effectuée par le patriarche Cyrille de Moscou en octobre 2021.
À Moscou, le chef de l’Église orthodoxe russe avait réuni le cheikh Pashazade et le Catholicos de tous les Arméniens Karékine II. Une déclaration signée par les trois parties défendaient le respect des lieux de cultes – un des points les plus sensibles –, des sentiments religieux et des sépultures, et invitait à «éviter le langage de la haine» à l’avenir.
L’Azerbaïdjan se dit aligné sur les principes de Fratelli tutti
«Ce n’est pas un conflit religieux», a assuré le cheikh Pashazade lors de la conférence de presse, mais politique. «Tous les représentants religieux vivent en paix en Azerbaïdjan», a-t-il assuré.
Venu pendant cinq jours à Rome à la tête d’une délégation interreligieuse de son pays – comportant le préfet apostolique de l’Azerbaïdjan, Mgr Vladimír Fekete, et l’Archimandrite Alexei Nikorov, de l’Église orthodoxe russe –, le représentant musulman a rencontré le pontife lors d’une audience au Vatican le 13 janvier.
«Je remercie le pape François de nous avoir reçus», a déclaré le cheikh azéri, évoquant une rencontre fraternelle et se félicitant de la longue relation d’amitié unissant l’Azerbaïdjan et le Saint-Siège.
Il a aussi vanté les mérites du Document sur la fraternité humaine – un texte co-signé par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb en 2019 qui défend les principes d’une coexistence pacifique des religions – et de l’encyclique Fratelli tutti.
Dénonciation du «vandalisme« arménien
Le chef religieux musulman a dénoncé auprès du pontife le comportement des Arméniens, évoquant le «vandalisme» observé dans les lieux de culte musulmans du Haut-Karabagh, mais aussi contre les bâtiments chrétiens n’appartenant pas à l’Église locale. Lors de la conférence de presse, l’archimandrite Alexei s’est d’ailleurs ému, photos à l’appui, de la destruction d’une église russe orthodoxe sur le sol arménien. Des déclarations qui s’opposent à celles du gouvernement d’Arménie qui dénonce lui aussi la destruction du patrimoine religieux arménien par les Azéris.
Au cours de ces derniers jours, la délégation azérie a défendu son point de vue en rencontrant plusieurs personnalités importantes de la Curie, à commencer par le cardinal-secrétaire d’État Pietro Parolin et le secrétaire pour les relations avec les États Mgr Paul Richard Gallagher. Ils «suivent de près la situation dans notre pays», a assuré l’ambassadeur azéri.
Les représentants ont aussi été reçus par le président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le cardinal Miguel Ángel Ayuso Guixot, décrit par l’ambassadeur comme leur «principal partenaire» lors de ce déplacement.
Diplomatie de la restauration d’art
Pendant ce séjour, la délégation a effectué deux autres rencontres importantes, la première avec le cardinal Mauro Gambetti, archiprêtre de la basilique Saint-Pierre, et la seconde avec le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture. Ces deux hauts prélats sont des interlocuteurs privilégiés pour l’Azerbaïdjan du fait de son importante politique de mécénat à Rome.
Depuis 2012, le gouvernement du président Ilham Aliyev a en effet financé de très nombreux travaux de restaurations de plusieurs monuments des premiers temps de l’Église dans la Ville Éternelle. C’est le cas de fresques des catacombes des Santi Marcellino e Pietro et des sarcophages de celles de San Sebastiano – lieux qu’ont d’ailleurs visités les Azéris lors de leur séjour.
En mars dernier, un nouvel accord a été passé entre l’Azerbaïdjan et la Commission pontificale d’archéologie sacrée pour restaurer des fresques des catacombes de Commodilla, dont une sur laquelle se trouve «une des premières représentations de Jésus», a expliqué l’ambassadeur azéri. Son pays, a-t-il souligné, finance un autre projet dans la Basilique Saint-Pierre : la restauration de l’autel de Saint-Léon le grand, un imposant relief baroque en marbre blanc créé par Alessandro Algardi rappelant la rencontre entre l’ancien pontife et le chef des Huns Attila.
Une politique de restauration des édifices religieux non-musulmans que les responsables azéris affirment poursuivre aussi dans sur son territoire, notamment les lieux de culte arméniens dans la partie reconquise en 2020 à l’issue de la guerre avec l’Arménie.
Ces dernières années, le pape François s’est à de nombreuses reprises exprimé en faveur de la paix dans le Caucase. Il s’est par ailleurs rendu en Arménie puis en Azerbaïdjan en 2016, voyages pendant lesquels il avait défendu une coexistence pacifique entre les deux pays voisins. (cath.ch/imedia/mp)