Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix, est décédé à l'âge de 90 ans | © Keystone/AP Photo/J. Pat Carter
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Afrique du Sud: Desmond Tutu est décédé

L’archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu, icône de la lutte contre l’apartheid et prix Nobel de la Paix, est décédé au Cap, le 26 décembre 2021, à l’âge de 90 ans, a annoncé le président Cyril Ramaphosa.

«The Arch», comme était surnommé Desmind Tutu par les Sud-Africains, était affaibli depuis plusieurs mois. Il ne parlait plus en public, mais saluait toujours les caméras présentes à chacun de ses déplacements, sourire ou regard malicieux, lors de son vaccin contre le Covid dans un hôpital ou lors de l’office au Cap pour célébrer ses 90 ans en octobre.

«Le décès de l’archevêque émérite Desmond Tutu est un nouveau chapitre de deuil dans l’adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée», a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa.

Pas de carrière politique

Lorsque Nelson Mandela a été libéré de prison en 1990, il a tenu sa première conférence de presse au domicile de l’archevêque anglican Desmond Tutu, au Cap. De nombreuses personnes s’attendaient à ce que l’archevêque s’engage dans une carrière politique, comme d’autres responsables d’Église qui avaient énergiquement combattu l’apartheid.

Cette grande figure du combat contre l’apartheid s’était pourtant tenu à l’écart de la conférence de presse et des photos officielles. «C’était leur jour, pas le sien», a écrit John Allen, journaliste sud-africain, attaché de presse de l’archevêque, auteur de la biographie officielle du responsable anglican: «Rabble Rouser for Peace» (Agitateur pour la paix), parue en octobre 2006.

Un leader politique intérimaire

Plusieurs semaines après la libération de Nelson Mandela, Desmond Tutu a déclaré à un journaliste qu’il ne prendrait pas part aux négociations pour la démocratie. «Il estimait qu’il avait été un leader politique intérimaire, assurant le remplacement des vrais leaders. Il avait rempli son rôle. C’était un pasteur, pas un politicien, et il n’avait pas du tout l’intention de s’engager dans la politique partisane», expliquait John Allen.

Desmond Tutu a toutefois continué à critiquer les nouveaux dirigeants de son pays lorsqu’il estimait que c’était nécessaire. Il était devenu le pourfendeur des dérives du gouvernement de l’ANC, critiquant les errements de l’ancien président Thabo Mbeki dans la lutte contre le sida mais aussi la corruption. Même son ami Nelson Mandela n’a pas échappé à ses foudres. À son arrivée au pouvoir en 1994, Tutu a reproché à son Congrès national africain (ANC) une mentalité de «profiteur».

Issu d’un milieu modeste

Desmond Npilo Tutu naît le 7 octobre 1931, dans un milieu modeste à Klerksdorp, dans la province du Transvaal, à l’ouest de Johannesburg.

Il suit d’abord une formation d’enseignant et obtient diplôme d’enseignement à Pretoria, mais il poursuit des études de théologie à Londres, avant de devenir prêtre anglican en 1960. Marié le 2 juillet 1955 avec Leah Nomalizo Tutu, ils ont ensemble quatre enfants.

En 1975, il est le premier doyen noir de la cathédrale anglicane de Johannesburg, poste qu’il occupe pendant un an avant de devenir évêque du Lesotho.

Il devient, en 1978, le premier noir à occuper le poste de secrétaire général du Conseil des Églises d’Afrique du Sud. Évêque de Johannesbourg, il est nommé finalement archevêque du Cap (1984-1996).

Desmond Tutu est l’auteur d’une théologie ubuntu de la réconciliation (le mot «ubuntu», issu de langues bantoues du sud de l’Afrique, désigne une notion proche des concepts d’humanité et de fraternité).

Prix Nobel de la Paix

Son courage et son engagement dans la lutte contre l’apartheid lui ont valu le prix Nobel de la Paix en 1984. Mandela l’a nommé en 1996 président de la Commission «Vérité et Réconciliation» (TRC) – d’avril 1996 à octobre 1998 – pour recenser toutes les violations des droits de l’homme commises depuis le massacre de Sharpeville en 1960, en plein apogée de la politique d’apartheid initiée en 1948 par le gouvernement sud-africain, afin de permettre une réconciliation nationale entre les victimes et les auteurs d’exactions.

Après trois ans d’enquêtes et des milliers d’auditions, il rend publiques les conclusions de la Commission en 1998. Ce dossier est aujourd’hui considéré comme l’une des pierres angulaires de la réconciliation sud-africaine.

Décembre 2003. Desmond Tutu, à gauche, est aux côtés de deux autres prix Nobel de la Paix et anciens présidents d’Afrique du Sud: Nelson Mandela et Frederik de Klerk | © Keystone/AFP

Malgré sa fervente opposition à l’apartheid, Desmond Tutu était également contre la violence employée dans la lutte contre le régime, notamment le «necklacing», qui consistait à placer des pneus en feu autour du cou des victimes, souvent désignées sans preuve comme étant des informateurs de police. Desmond Tutu a un jour sauvé de justesse une personne condamnée au «necklacing» en se précipitant à travers la foule pour jeter ses bras autour de l’homme, qui a finalement été libéré par la foule.

Retrait de la vie publique

En 2010, âgé de 78 ans, l’archevêque anglican a annoncé son retrait de la vie publique, à l’exception de son travail pour le groupe de sages The Elders. «Je pense que j’ai fait tout ce que je pouvais et que j’ai vraiment besoin de temps pour toutes les autres choses que j’ai toujours souhaité faire». Si la lutte contre l’apartheid fut le grand combat de sa vie, «The Arch» connut de nombreux autres engagements tout au long de sa vie.

Luttant contre l’homophobie, l’archevêque anglican avait vivement critiqué son Eglise en 2007, estimant qu’elle fait de la fixation sur l’homosexualité. Il s’était dit «indigné par l’attitude de son Eglise vis-à-vis des homosexuels» et s’était également élevé contre l’archevêque de Canterbury, Mgr Rowan Williams, chef de l’Eglise anglicane universelle, lui reprochant de n’avoir pas montré l’image du «Dieu accueillant».

Pour une initiative suisse

En 2009, Desmond Tutu avait exprimé sa sympathie pour l’initiative populaire suisse visant à interdire l’exportation de matériel de guerre. Dans une lettre datée du 28 octobre au Groupe pour une Suisse sans armée (GSSA), l’archevêque sud-africain avait estimé que l’acceptation de cette initiative par le peuple suisse, le 29 novembre 2009, serait «une contribution unique au développement pacifique et durable de la planète.»

L’archevêque anglican s’est aussi fermement opposé au camp de Guantanamo. Il a en effet joué dans la pièce de théâtre «Guantanamo: Honor Bound to Defend Freedom» au Culture Project, un petit théâtre new yorkais. La pièce entendait soulever des questions sur la détention de ceux qui, suspectés d’être des membres ou des sympathisants d’Al Quaida, sont détenus dans la base américaine à Cuba.

L’évêque y a joué le rôle de Lord Steyn, un juge britannique qui a dénoncé le traitement des détenus à Guantanamo. La performance du Prix Nobel y avait été unanimement saluée. Sur ce sujet, Mgr Desmond Tutu a déclaré: «C’est inhumain et c’est un coup porté à la réputation de l’Occident, qui affirme avoir des critères élevés de justice et d’équité». Il a également rappelé que «la justification de la ‘sécurité d’Etat’ a autrefois aussi été avancée en Afrique du Sud pour envoyer les gens en détention».

Desmond Tutu s’est aussi engagé pour le climat, en appelant, à l’approche du Sommet de l’ONU sur le climat de New York en 2014, les entreprises et les organisations religieuses à se désinvestir des énergies fossiles. L’homme d’Eglise estimait qu’il fallait un «boycott comme celui qui a été mis en place contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud», pour sauver la planète.

Le pape François a exprimé sa tristesse après le décès de l’archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, qui s’est éteint le 26 décembre 2021 à l’âge de 90 ans.

Dans un télégramme en anglais publié le même jour par le Bureau de presse du Saint-Siège, et signé par le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, le pape assure la famille et les proches de l’archevêque anglican de ses condoléances.

Le chef de l’Église catholique rend hommage à « son service à l’Évangile à travers la promotion de l’égalité entre les races et de la réconciliation dans son pays », peut-on lire dans le message adressé au nonce apostolique en Afrique du Sud.

Souhaitant à toutes les personnes endeuillées « des bénédictions divines de paix et de consolation », l’évêque de Rome confie l’âme du défunt « à la miséricorde aimante de Dieu Tout-puissant ».

Dans un télégramme publié le 26 décembre par le Bureau de presse du Saint-Siège, et signé par le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, le pape François assure la famille et les proches de l’archevêque anglican de ses condoléances.

Le pape rend hommage à «son service à l’Évangile à travers la promotion de l’égalité entre les races et de la réconciliation dans son pays», peut-on lire dans le message adressé au nonce apostolique en Afrique du Sud. Le pape argentin le cite parmi les «frères qui ne sont pas catholiques» et qui l’ont aidé à nourrir sa réflexion sur la fraternité universelle. (cath.ch/ag/bh)

Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix, est décédé à l'âge de 90 ans | © Keystone/AP Photo/J. Pat Carter
26 décembre 2021 | 12:58
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 6  min.
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