Nicosie, capitale de Chypre où le pape prononcera son premier discours, juste après son arrivée sur l'île | © ChrisSavid/CC BY-SA 3.0/Wikimedia commons
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Chypre, «île frontière» et défi pour le pape François

Du 2 au 4 décembre 2021, le pape François se rendra à Chypre. Ce pays, le plus oriental de l’Union européenne, est perçu, du point de vue de Rome, comme une porte vers l’Orient. C’est probablement cette dimension d’«île-frontière», placée entre deux mondes depuis des siècles et aujourd’hui divisée, que le pape François devrait explorer pendant son périple. 

Le pontife, pour ce voyage, a annoncé vouloir se mettre dans les pas de saint Barnabé, patron de l’île. Ce juif d’origine chypriote a cheminé aux côtés de l’apôtre Paul lors d’un premier voyage missionnaire, pendant lequel les deux hommes ont foulé le sol de Chypre. Barnabé y est retourné, mais sans Paul, avec lequel il s’est fâché. Ce dernier à choisi de partir vers la Grèce. 

C’est à cette croisée des chemins que vient se placer symboliquement le pontife: Barnabé, selon la tradition chypriote, est ensuite mort en martyr sur l’île, permettant aux chrétiens locaux de revendiquer une tradition apostolique. Celle-ci a donné naissance à l’Église orthodoxe autocéphale actuelle.

Le pape François, lors de son voyage, doit rencontrer Sa Béatitude Chrysostome II. L’Église orthodoxe de Chypre qu’il dirige, représente 82% de la population de la partie sud de l’île – qui ne compte que 3% de catholiques. Contacté par I.MEDIA, un fin observateur présent sur place souligne que l’Église orthodoxe chypriote éprouve moins de ressentiment vis-à-vis de Rome que l’orthodoxie grecque, encore marquée par les suites du Grand Schisme.

Une situation qui devrait encourager le pape à mettre en avant la dimension œcuménique de ce voyage, mais pas uniquement. La devise de son pèlerinage à Chypre, «Consolez-vous mutuellement dans la foi» est inspirée de l’étymologie de Barnabé, dont le nom signifie »fils de consolation». Elle indique que le pontife pourrait prêcher plus généralement la voie de la fraternité dans cette île divisée depuis des siècles.

Une île possédée par les Byzantins, Arabes, Croisés, Italiens…

À partir du VIIe siècle et les premières incursions musulmanes – qui aboutissent pendant une trentaine d’années à une co-gouvernance musulmane et chrétienne de l’île – Chypre devient une terre convoitée qui ne va cesser de passer de mains en mains. Après le temps des intrigues byzantines vient celui des razzias arabes et enfin des rois croisés qui imposent le catholicisme sur l’île pendant trois siècles.

Au XVe siècle, des marchands génois puis la ville de Venise rachètent Chypre. La Sérénissime perd cependant son bien aux dépens des Ottomans en 1571, malgré la Sainte Ligue et la victoire éclatante de Lépante. La Grande Porte va ensuite contrôler et administrer l’île jusqu’en 1878. Après sa défaite cinglante contre la Russie impériale – qui soutient les soulèvements nationalistes grecs – l’Empire Ottoman perd Chypre qui tombe dans l’escarcelle britannique. L’île reste sous domination anglaise jusqu’à la fondation de la République indépendante de Chypre en 1960, et ce malgré une volonté d’une partie de la population d’être intégrée à la Grèce. 

Un pays coupé en deux

La forme originelle de cette jeune République assure constitutionnellement aux chypriotes musulmans – d’origine turcs – 30% des sièges au Parlement et le poste de vice-président, la présidence étant confiée à l’archevêque orthodoxe. Cependant, la situation s’envenime entre les deux communautés et des nationalistes grecs tentent un coup d’État pour permettre l’annexion de l’île (l’Énosis). La Turquie répond en envahissant le nord de Chypre. Sur ce bout de territoire, où stationnent depuis 30’000 soldats turcs, s’est construite la République turque de Chypre du Nord, un État reconnu uniquement par la Turquie.

Cependant, la situation n’a jamais dégénéré depuis plusieurs dizaines d’années entre les deux parties de l’île. Mieux, depuis 2004, des checkpoints permettent aux individus – mais pas aux biens – de passer la frontière. «Aujourd’hui, il y a une forme de statu quo qui semble convenir à tout le monde», explique à I.MEDIA une source chypriote. Mgr Selim Sfeir, archevêque de Chypre des maronites, confie pour sa part qu’il lui arrive d’aller célébrer la messe au nord de l’île: «Il n’y a pas de difficulté à passer du sud au nord et du nord au sud».

En ce qui concerne l’islam, la population locale « résiste » pour l’heure aux tentatives d’installation d’un islam politique sur l’île de Chypre par Ankara, estime un expert de la région. Les musulmans chypriotes, dont la tradition est proche de celle des alévis en Turquie ou des alaouites en Syrie, sont «peu pratiquants», «pas nationalistes», et «dépourvus de clergé».

Une réalité qui facilite in fine la cohabitation, mais qui pourrait paradoxalement rendre difficile une rencontre du pape avec des représentants musulmans pour incarner la fraternité universelle comme il l’avait fait en Irak. La seule interaction planifiée du pontife avec des musulmans à Chypre pourrait d’ailleurs se faire dans le cadre d’une rencontre avec des migrants. (cath.ch/imedia/cd/bh)

Nicosie, capitale de Chypre où le pape prononcera son premier discours, juste après son arrivée sur l'île | © ChrisSavid/CC BY-SA 3.0/Wikimedia commons
24 novembre 2021 | 10:13
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 3  min.
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