Chypre: François, dans les pas du voyage de Benoît XVI en 2010
Le pape François séjournera à Chypre du 2 au 4 décembre 2021, avant de s’envoler pour la Grèce. Il sera le deuxième pontife à séjourner sur l’île, onze ans après le voyage de Benoît XVI du 4 au 6 juin 2010. Analyse et rappel historique.
Benoît XVI est le premier pape à s’être rendu sur l’île de Chypre. De l’assassinat et des tensions interreligieuses qui avait perturbé son voyage, le pape émérite y avait opposé des appels à la paix et à l’harmonie.
Une étape synodale
Au départ, le voyage à Chypre avait été pensé par le pape Benoît XVI dans le cadre de la remise de l’Instrumentum Laboris du premier Synode des évêques sur la situation des chrétiens au Moyen-Orient. En annonçant en septembre 2009, devant les patriarches des Églises orientales catholiques, la tenue de l’événement du 10 au 24 octobre 2010 à Rome, le pontife avait insisté sur l’importance de la collégialité, de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux.
Le synode devait aborder la situation des chrétiens au Moyen-Orient, souvent victimes de persécutions dans cette région du monde. La Chypre incarnant à elle seule les problématiques du Moyen-Orient, elle avait finalement été choisie pour la remise de ce document qui devait servir de base au synode, avait expliqué le nonce apostolique à Nicosie et en Israël de l’époque, Mgr Antonio Franco, à L’Osservatore Romano.
Un assassinat tragique
Chypre est divisée depuis 1974 par une zone démilitarisée, qu’on appelle aussi la «Ligne verte». Au Sud, les Chypriotes, orthodoxes principalement; au nord, les Turcs, musulmans, soutenus exclusivement par Ankara.
Une situation géopolitique complexe qui avait joué un rôle perturbateur pendant la visite du pontife. La veille de l’arrivée du pape allemand, le 3 juin 2010, Mgr Luigi Padovese, président de la Conférence épiscopale turque et vicaire apostolique d’Anatolie, avait été assassiné par son chauffeur devant sa résidence à Alexandrette, dans le sud de la Turquie.
À ce jour, les motivations de l’attaque ne sont pas claires, mais les rapports de l’époque indiquent que le meurtrier était mentalement instable et qu’il aurait identifié Mgr Padovese comme l’Antéchrist. L’événement, qui n’était pas directement lié à Chypre, avait néanmoins subitement ravivé les tensions entre les communautés turques et chypriotes.
Informé de la terrible nouvelle, Benoît XVI s’était dit «profondément peiné» mais avait veillé à ne pas envenimer une situation politique explosive. Dans l’avion qui le conduisait à Chypre, il avait déclaré: «cette ombre n’a rien à voir avec les thèmes mêmes de la réalité du voyage car nous ne devons pas l’attribuer à la Turquie et aux Turcs». Il avait ajouté que cette situation ne devait pas «entacher» le dialogue interreligieux qui était «l’objectif de ce voyage».
Les dénonciations des officiels chypriotes
À peine après avoir atterri à Chypre, Benoît XVI avait dit son souhait, dans un premier discours, que «l’amour» des Chypriotes envers leur patrie et leurs familles et leur «désir de vivre en harmonie avec [leurs] voisins» les inspire dans leurs «efforts patients pour résoudre les problèmes» de l’île.
Cependant, lors de la célébration œcuménique présidée avec Benoît XVI l’après-midi de son arrivée, le patriarche chypriote Chrysostome II avait condamné les «attaques barbares» des occupants Turcs et dénoncé leur politique de «purification ethnique» contre les chrétiens.
Le lendemain, le 5 juin 2010, le président chypriote Demetris Christofias, pendant une rencontre avec Benoît XVI, avait pour sa part affirmé que la destruction du «patrimoine culturel et religieux dans les zones occupées» était «particulièrement inquiétante».
Les gestes d’ouverture du pontife
Benoît XVI n’avait pas réagi aux condamnations des chefs religieux et politiques mais avait souligné l’importance de la coopération entre catholiques et orthodoxes lors de la célébration œcuménique et de sa rencontre avec la petite communauté catholique de l’île le jour après.
Simultanément, le 5 juin, une brève rencontre hors-programme avait eu lieu avec un leader musulman chypriote de la partie turque de l’île, le cheikh Nazim Mehmet Nâzim Adil. Les deux hommes s’étaient échangé des cadeaux et avaient terminé la rencontre par une accolade.
«Je suis heureux de venir ici pour rendre visite à un grand homme […] qu’Allah lui accorde une bonne vie ici et dans l’au-delà», avait déclaré le cheikh à des journalistes lors de la rencontre, comme rapporté dans un article de Reuters.
La voie du dialogue
Le pape Benoît XVI avait maintenu sa ligne diplomatique et pacifique le lendemain, le 6 juin 2010, pendant une messe célébrée à l’occasion de la publication et de la remise de l’Instrumentum Laboris. Lors de l’homélie, il avait appelé «à dépasser nos différences» et «à porter la paix et la réconciliation partout où il y a des conflits, pour offrir au monde un message d’espérance».
Au moment de la remise du document, Benoît XVI avait aussi pris le soin d’évoquer la mémoire de l’évêque assassiné, Mgr Padovese, soulignant son engagement «dans la compréhension interreligieuse et culturelle et dans le dialogue entre les Églises».
Ses mots ne s’étaient pas arrêtés avec la fin du voyage. Lors de l’audience générale du 9 juin 2010 à Rome, où il avait fait le bilan de son déplacement à Chypre, il avait lancé un nouvel appel au peuple chypriote et aux autres nations du Moyen-Orient, les incitant à «construire ensemble un avenir de paix, d’amitié et de collaboration fraternelle». (cath.ch/imedia/ic/gr)