La visite «ad limina», le marathon des évêques suisses
Les évêques suisses bouclent leur valise pour la prochaine visite ad limina à Rome, du 22 au 27 novembre 2021. Ils s’apprêtent à vivre une semaine chargée. Messe matinale, visite des congrégations de la curie et de différents dicastères et la rencontre avec le pape sont au programme d’un véritable marathon, suivi, exceptionnellement, d’une réunion ordinaire de la CES.
«Le rythme de la semaine à venir sera soutenu!», confie Mgr Jean-Marie Lovey à cath.ch. en évoquant la prochaine visite ad limina des évêques suisses à Rome. Une vingtaine de rendez-vous sont programmés avec les responsables des différents dicastères romains, la secrétairerie d’État et, point d’orgue de ce pèlerinage, la rencontre avec le pape François. L’assemblée ordinaire de la CES se tiendra à l’issue de cette semaine dense. Rien de traditionnel, «c’est simplement le hasard du calendrier. La visite était initialement prévue en janvier 2021, mais elle a été décalée à cause du covid».
Dans la tradition de ces visites «aux seuils» (voir encadré) qui est un pèlerinage, les évêques iront célébrer la messe dans les basiliques majeures de Rome. «Tôt le matin, pour éviter les encombrements de la Ville éternelle».
Des dicastères obligatoires et facultatifs
La rencontre avec les responsables de certaines congrégations est obligatoire, précise Mgr Lovey. Emmenés par Mgr Félix Gmür, l’actuel président de la Conférences des évêques suisses (CES), les évêques passeront par la Secrétairerie d’État, puis enchaîneront, entre autres, avec les congrégations pour la doctrine de la foi, pour le culte divin, la congrégation des évêques, pour les instituts de vie consacrée, ou encore la congrégation pour le clergé.
«D’autres dicastères sont facultatifs. Nous les répartissons selon notre domaine de responsabilité au sein de la CES. En tant que responsable de la commission de migration, j’ai rendez-vous avec Mgr Michael Czerny qui travaille à la section de la migration, un département du Dicastère du développement humain intégral», explique Mgr Lovey. Mgr Joseph Bonnemain se rendra à la commission pontificale de la protection des mineurs, ajoute l’évêque valaisan.
Pas de protocole
Le point culminant de la semaine se situe lors de la rencontre avec le pape. «C’est un souvenir marquant, se rappelle Mgr Lovey. Nous avions préparé une prise de parole et des notes, mais le pape nous a invités à les mettre de côté et à échanger très librement et en vérité avec lui. On l’avait dit très fatigué… Il était en fait en pleine forme. Nous avons passé deux heures ensemble».
Pas de préséance ni de protocole dans l’ordre des rendez-vous. «Cela dépend vraiment des disponibilités des services», précise Encarnación Berger-Lobato, porte-parole de la CES. C’est le travail du secrétaire général de la CES, Erwin Tanner (qui quittera son poste le 30 novembre) qui est la véritable cheville ouvrière de cette semaine romaine. Il met sur pied le programme en lien avec le secrétariat des visites ad limina.
Un laïc avec les évêques
Il est le seul à suivre les évêques et à passer la porte des dicastères. «Il est aussi admis en tant que secrétaire général de la CES, à la rencontre avec le pape, même si c’est un laïc», détaille Encarnación Berger-Lobato. Elle évoque un cas plutôt rare actuellement parmi les conférences épiscopales dans le monde.
Sa présence aux côtés des évêques est aussi justifiée par le fait qu’il rédige les procès-verbaux des différentes rencontres. Pour la mémoire interne de la conférence épiscopale: «Seuls les évêques ont le droit ensuite de consulter ces PV ainsi que leurs successeurs, s’ils en éprouvent le besoin».
Un véritable marathon attend donc les évêques pour ce séjour romain dont la préparation a commencé il y a quelques mois. En vue de cette visite quinquennale, les évêques doivent envoyer à Rome un document qui donne l’état de leur diocèse. «Pour cela, j’ai demandé aux responsables des différents services diocésains ainsi qu’à mes deux vicaires généraux, pour les parties francophone et alémanique du diocèse, de rédiger un rapport sur la marche de leur service». L’évêque valaisan en a ensuite envoyé une synthèse à Rome.
Des questions très concrètes
La liste des questions que les évêques souhaitent aborder avec le personnel des différents dicastères romains est en revanche élaborée en commun, lors des réunions de la CES. «Cette année, les évêques ont préparé une liste de 74 questions qu’ils poseront au personnel concerné», indique la porte-parole de le CES. Les thèmes récurrents concernent la place et le rôle des femmes dans l’Église, les abus sexuels et la question des réfugiés. «Ces thèmes sont abordés à plusieurs reprises, mais sous différents angles.»
Certes, il y a la courtoisie, mais les rencontres permettent aux évêques de poser des questions très concrètes. «J’avais été étonné, lors de ma première visite ad limina, par l’accueil et la disponibilité des personnes qui nous avaient reçues. Elles avaient le souci de pouvoir nous répondre sur des préoccupations très pratiques. Une offre qui valait également après notre passage à Rome».
Mgr Lovey évoque, par exemple, les très nombreuses demandes qu’il recevait des quatre coins du monde à propos des reliques du bienheureux Maurice Tornay. Que faire de ces sollicitations dont il ne percevait pas la finalité? La réponse du service du culte des reliques (de la congrégation du culte divin) fut formelle: l’évêque devait refuser, au risque, sinon, d’alimenter un trafic international de reliques.
L’évêque cite le cas d’un des prêtres de son diocèse qui a renoncé à son sacerdoce. Les indications des démarches à entreprendre données rapidement par la congrégation du clergé lui furent bien utiles.
Le passage à la maison Sainte Marthe est aussi l’occasion pour les évêques de revoir des connaissances, de nouer des contacts. «Au-delà des problèmes immédiats, c’est une manière de partager plus amplement avec des confrères du monde entier. Et c’est bon pour le réseau». (cath.ch/bh)
Une visite «aux seuils»
Ad limina est l’abréviation de l’expression latine Ad limina apostolorum – au seuil des apôtres – qui fait référence aux deux basiliques majeures Saint-Pierre et Saint-Paul. L’expression désigne la visite officielle au Saint-Siège que les évêques du monde entier effectuent tous les cinq ans. «Cette visite est inscrite dans le droit canon depuis 1917. C’est une obligation juridique, avec une certaine flexibilité, selon le contexte», explique Pierre-Fux, auteur du livre Parlez-vous le Vatican? (Ed. du Cerf) et ancien ambassadeur suisse près le Saint-Siège. L’origine de cette obligation pour les évêques actuels est symbolique: «Elle commémore la visite de l’apôtre Paul à Pierre à Jérusalem, évoquée dans le Nouveau Testament. Avec l’idée d’avoir des échanges entre le premier des évêques et les autres».
Difficile de dater précisément l’instauration officielle de ce qui est aussi considéré comme un pèlerinage, mais «on trouve des traces documentées de ces consultations entre l’évêque de Rome et ses confrères dès le 8e siècle», indique Pierre-Yves Fux. Plus rares et aléatoires à leurs débuts, ces visites ad limina se sont régularisées avec la modernisation des moyens de transport.
«En même temps que le développement de ces visites épiscopales, s’est tissé le réseau des nonciatures au gré des relations diplomatiques qu’a nouées le Saint-Siège avec les autres pays». L’idée de ne pas laisser le pape seul à Rome, coupé du monde, a favorisé ces deux mouvements. «Chaque semaine, des évêques du monde entier viennent en visite ad limina à Rome. C’est l’occasion pour le Saint-Père de prendre le pouls de ce qui se passe dans le monde, détaille l’ambassadeur, et au plus près du terrain». Les évêques ont l’avantage d’être nés dans le pays de leur épiscopat. Ils ont donc plus de recul sur l’histoire et l’évolution de la société par rapport à un nonce qui passe huit à dix ans dans un pays. Le pape trouve à travers ces évêques une source précieuse d’informations. BH