L'abbé Joseph Sinh s'apprête à revenir en Suisse après 11 ans passés au Vietnam comme prêtre fidei donum.  | © Joseph Sinh
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«Au Vietnam, nous vivons un lent dégel»

L’abbé Joseph Sinh est né au Vietnam, mais il est devenu prêtre en Suisse. Cela fait 11 ans qu’il est retourné dans son pays d’origine pour une mission qui touche à sa fin. A la veille de son retour en Suisse, et à quelques jours du Dimanche de la mission universelle, le 24 octobre 2021, il évoque la réalité de l’Eglise au Vietnam.

Il est 14h30 heure suisse, 19h30 au Vietnam quand le téléphone sonne. L’abbé Joseph Sinh enclenche sa vidéo: souriant, il prend des nouvelles de la Suisse, qu’il s’apprête à rejoindre quand la situation sanitaire le permettra. Pour l’instant, la circulation entre les provinces est impossible au Vietnam, le Covid faisant des ravages. Mais le prêtre reste paisible. «Je suis assez souple. En Suisse, on me disait que j’étais très vaudois. Je vois les choses avec philosophie. C’est ça qui me sauve!»

Bientôt de retour dans le diocèse Lausanne, Genève et Fribourg après 11 ans passés en tant que prêtre fidei donum («prêté» par son diocèse d’origine) dans son pays natal, Joseph Sinh évoque pour nous la situation de l’Église au Vietnam. Un pays officiellement athée qui reconnaît la liberté religieuse, mais qui l’encadre fortement. Et que la branche suisse des Œuvres pontificales missionnaires, Missio, met à l’honneur cette année à l’occasion du Dimanche de la mission.

Aujourd’hui, un catholique vietnamien peut-il aller à la messe le dimanche sans difficulté?
Actuellement, oui. Après la réunification du pays sous l’égide du régime communiste, en 1975, les chrétiens ont connu des années très difficiles. C’est à cette époque que j’ai demandé le statut de réfugié en Suisse (voir encadré). Mais à partir des années 1980, avec la perestroika et le glasnot de Gorbatchev dans l’ancienne Union soviétique, un mouvement de changement a commencé aussi au Vietnam. Les cadres communistes ont voyagé, ils ont noué des contacts avec l’extérieur, ça a fait tomber beaucoup de préjugés, même si l’Eglise est restée suspecte.

La conférence des évêques a écrit sa première lettre pastorale en 1980. Et elle n’avait pas de siège jusqu’en 2014! A cette date, un bâtiment flambant neuf a été inauguré à Ho Chi Minh –l’ancienne Saigon. Je me suis occupé d’équiper cette toute nouvelle maison des évêques et de gérer son fonctionnement les quatre premières années.

«J’ai dû attendre trois ans que le bureau des Affaires religieuses me donne l’autorisation de travailler comme prêtre.»

Vous êtes à la fois suisse et vietnamien, vous êtes prêtre… comment les autorités vietnamiennes ont-elles perçu votre retour en 2010?
A mon arrivée, j’ai dû attendre trois ans que le bureau des Affaires religieuses me donne l’autorisation de travailler comme prêtre. Une manière de m’observer, de voir si j’allais faire de la subversion politique… J’en ai profité pour donner des cours de français aux pré-séminaristes du diocèse de Dalat, où je réside actuellement, car le français s’est beaucoup perdu au profit de l’anglais.

Comment se porte l’Église au Vietnam? Y a-t-il des jeunes?
Les églises sont encore très fréquentées. Dans la paroisse de ma mère, il y a facilement 400 personnes à la messe en semaine. L’église compte mille places, et le dimanche, matin et soir, elle est bondée.

Il y a plus de jeunes qu’en Suisse, mais petit à petit, on sent aussi leur diminution. La vie moderne les pousse à travailler même le dimanche. Beaucoup s’en vont vivre dans les villes, où il y a plus d’opportunités économiques. Ça vide les campagnes de leurs jeunes.

Qu’en est-il des vocations?
Il y a encore pas mal de vocations sacerdotales et religieuses. Actuellement, il y 120 séminaristes en formation pour le seul diocèse de Dalat. Même s’il y a une légère diminution: le séminaire a rouvert ses portes en 2014, après trente ans de fermeture en raison des circonstances politiques, et au début, pour chaque volée, on avait quarante à cinquante candidats, et on n’en prenait que vingt. Cette année, seuls trente candidats se sont présentés à la porte du séminaire…

L’abbé Joseph Sinh avec des enfants d’un orphelinat du diocèse de Dalat | © Joseph Sinh

Est-ce facile de s’afficher chrétien dans la société vietnamienne?
Tout dépend de votre statut. Dans la vie civile, cela ne pose pas tellement problème… Mais dans l’armée et dans l’appareil étatique, c’est autre chose. Il faut être athée pour devenir membre du parti communiste et surtout pour occuper des places à responsabilité. Sans doute y a-t-il un certain nombre de communistes «opportunistes», qui font profession d’athéisme pour favoriser leur carrière. Certains membres du Parti demandent le baptême après leur retraite! Parfois, eux se disent athées, mais leur femme et leurs enfants sont catholiques.

Comment l’Église a-t-elle traversé la crise du Covid?
La situation sanitaire s’est nettement améliorée à partir du 10 octobre, mais en ce moment, à Dalat, nous n’avons toujours pas le droit de célébrer des messes publiques. À Ho Chi Minh ville, ça recommence avec une jauge de soixante personnes, mais c’est tellement peu par rapport à la demande! Un prêtre que je connais préfère continuer les messes retransmises en ligne pour ne pas avoir à refuser des gens.

Le Covid a aussi été l’occasion de très beaux gestes de charité. En réponse à l’appel des évêques, les communautés chrétiennes ont lancé des collectes d’argent, de biens matériels et de nourriture pour les envoyer à la population de Ho Chi Minh Ville, la plus touchée par la pandémie. A Dalat, région très fertile, la Caritas a envoyé 600 tonnes de légumes à Ho Chi Minh ville pour les nécessiteux. Beaucoup de prêtres et des religieuses se sont aussi engagés pour soigner les malades dans les hôpitaux.

«A Ho Chi Minh ville, les cadres locaux m’ont fait un cadeau pour l’anniversaire de mon ordination sacerdotale.»

En août, le gouvernement vietnamien a écrit aux principaux responsables religieux du pays pour les remercier de leur aide pendant la pandémie. Cet engagement a-t-il changé quelque chose aux rapports des catholiques avec l’Etat?
À Ho Chi Minh ville, je crois que nous sommes estimés par les malades du covid et même par les cadres locaux pour notre aide. Cet engagement montre que les catholiques sont prêts à collaborer pour le bien de la population. Nous attendons la possibilité d’ouvrir des écoles, des hôpitaux, des centres sociaux dans un avenir plus ou moins proche. Au niveau local, l’atmosphère est de plus en plus respirable. Depuis quelques temps, l’administration locale vient nous présenter des vœux à Noël et au Nouvel An. On m’a fait un cadeau même pour l’anniversaire de mon ordination sacerdotale. Certains disent qu’ils jouent la comédie, qu’ils suivent simplement la stratégie du gouvernement. Mais au niveau humain, ça crée quand même un climat amical.

Quelles relations les catholiques entretiennent-ils avec les autres religions?
Un jour, alors que je discutais avec un cadre communiste, je lui ai dit que les religions devraient travailler ensemble pour le bien du peuple. Mais je sentais bien qu’il n’était pas de cet avis! Le parti soupçonne les mouvements qui tentent d’unir leurs forces. Et de fait, nous avons très peu de liens avec les bouddhistes et avec les protestants. Je crois que pour l’instant, chaque groupe se considère comme une minorité qui doit d’abord s’occuper d’elle-même. Un peu comme catholiques et protestants en Suisse par le passé… Mais il n’y a pas d’hostilité entre nous, et c’est déjà pas mal.

Le gouvernement est officiellement athée: jusqu’où, à votre avis, cet athéisme imprègne-t-il la société vietnamienne?
En fait, l’athéisme officiel est assez dilué. Les cadres du parti communiste sont très superstitieux. Par exemple, certains donnent de l’argent aux autorités bouddhistes pour construire des pagodes. On ne sait jamais ce qui pourrait se passer après la mort… Malheureusement, il ne le font pas encore pour construire des églises! (rire) (cath.ch/cmc)

Vous-même, vous êtes né au Vietnam?
Oui, au nord de Hanoi, à l’époque coloniale. J’avais six ans quand les Français ont quitté le pays. En 1954, un accord signé à Genève a séparé le Vietnam entre le Nord communiste et le Sud nationaliste. Les gens avaient le droit de changer de zone s’ils le souhaitaient. Il y a eu environ un million de déplacés vers le Sud! La plupart étaient des catholiques. Je faisais partie de cette foule avec mes parents… J’ai été réfugié dans mon pays natal avant de l’être en Suisse!
J’ai vécu dans le Sud, à Dalat, jusqu’en 1969. J’y ai fait mon petit séminaire, puis j’ai étudié à Rome et à Fribourg, où j’ai demandé le statut de réfugié en 1975 quand le pays a été réunifié sous l’égide des communistes.
Après mon stage à la paroisse Saint-François, à Genève, je n’ai pas tout de suite demandé l’ordination. J’ai sollicité un temps de réflexion durant laquelle j’ai suivi une formation de cafetier-restaurateur. Mais l’appel du Seigneur m’a rattrapé: à cette époque, près de 10’000 Vietnamiens sont arrivés en Suisse et les Alémaniques avaient besoin de traducteurs. Travailler auprès des réfugiés m’a redonné le courage et la motivation de devenir prêtre! CMC

L’Eglise catholique au Vietnam
Le Vietnam est unifié en 1802 sous le sceptre de l’empereur Gia Long, qui a conquis le pouvoir avec l’aide des missionnaires français. En remerciement, il tolère leur activité. Mais à sa mort en 1820, c’est un empereur confucéen qui reprend le pouvoir. Des troupes catholiques vietnamiennes tentent de le renverser, ce qui déclenche une vague de persécutions.
La situation change dans la seconde partie du 19e siècle lorsque la France s’empare du territoire et l’intègre à sa colonie d’Indochine. Soupçonné d’être lié au colonisateur, le catholicisme est vu comme une force réactionnaire à mettre au pas par les communistes qui prennent le pouvoir à partir de 1954. Beaucoup de catholiques émigrent à l’étranger.
Aujourd’hui, les catholiques vietnamiens représentent 6,7% de la population, majoritairement bouddhiste ou sans religion, soit sept millions de catholiques sur 98 millions d’habitants. (Source: Missio/cmc)

L'abbé Joseph Sinh s'apprête à revenir en Suisse après 11 ans passés au Vietnam comme prêtre fidei donum. | © Joseph Sinh
17 octobre 2021 | 17:00
par Christine Mo Costabella
Temps de lecture : env. 7  min.
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