L'abbé Godfroy Kouégan est l'aîné au sein de la Fraternité sacerdotale togolaise | © Raphaël Zbinden
Suisse

LGF: les prêtres togolais se soutiennent en Fraternité

Les prêtres togolais fidei donum dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) ont créé il y a quelques années une Fraternité sacerdotale. Une structure qui leur permet de se soutenir mutuellement et de vivre au mieux leur mission, ainsi que leur intégration.

Il est 11h du matin, le 14 juin 2021 à la cure d’Echallens (VD). Après la prière d’ouverture et le mot de bienvenue par le Père Joël Akagbo, les prêtres du Togo débutent leur tour de table. Grandes joies à la suite de la célébration d’un baptême ou au retour ému d’une fidèle sur une homélie, petits soucis relationnels avec d’autres membres de la paroisse, défis d’organisation face à la pandémie… les membres de la Fraternité sacerdotale togolaise dans le diocèse de LGF partagent tous azimuts leurs expériences dans leurs pastorales respectives.

Ils sont sept du diocèse d’Aného, au sud du Togo, à accomplir actuellement leur mission au service de la foi dans divers lieux du diocèse de Suisse occidentale. Réunis depuis 2015 en Fraternité, ils se retrouvent régulièrement en faisant le tour de leurs paroisses.

Lors de leur dernier rassemblement, à Echallens, ils sont allés retrouver l’abbé Godfroy Kouégan. Arrivé dans le bourg du Gros-de-Vaud en septembre 2020, l’ancien recteur du Grand séminaire interdiocésain Saint Jean Paul II de Lomé joue au sein du groupe le rôle «d’aîné» et de «conseiller». Il raconte à cath.ch l’aventure de la petite Fraternité sacerdotale.

Les fruits de l’amitié Suisse-Togo

La présence des prêtres togolais remonte à la relation particulière que le diocèse de LGF a tissée avec celui d’Aného. Une histoire d’amitié liée à la visite de la Conférence des évêques suisses au Togo en 2009. Godfroy Kouégan se souvient d’une rencontre chaleureuse et amicale, à l’issue de laquelle les deux diocèses ont décidé de maintenir leur lien.

Un partenariat s’est peu à peu concrétisé dans ce contexte. L’abbé Pierre Chanel était venu en vacances à Lausanne pour effectuer un remplacement. A la fin de son ministère, il lui avait été demandé de rester pour poursuivre la pastorale. L’abbé Chanel ayant déjà pris des engagements au Togo, il en a parlé à son évêque, qui a décidé d’envoyer d’autres confrères.

«La vie en Suisse peut être déconcertante et déroutante pour un Togolais»

L’abbé Joël Akagbo s’est ainsi installé à Genève en août 2015, devenant le premier prêtre fidei donum du diocèse d’Aného à LGF. Les abbés Antoine Kankoe et Daniel Agbeti sont arrivés l’année suivante, respectivement à Estavayer-le-Lac et à Bulle. Antoine Kankoe est retourné au pays après trois ans de ministère en Suisse et l’abbé Bernard Alassane est venu à sa suite dans le chef-lieu staviacois. Puis sont arrivés les abbés Florent Koumako , Julien Toulassi et Flavien Adékpoé.

Ils ont finalement été neuf prêtres en tout du diocèse d’Aného à œuvrer «dans le don de la foi» à LGF. Un partenariat notamment rendu possible par l’abbé vaudois Claude Diday, qui maintient le lien entre les deux diocèses et s’occupe des démarches administratives.

Espace de soutien et d’échange

La Fraternité a vu le jour peu de temps après que les trois premiers abbés aient posé leurs valises, explique Godfroy Kouégan. Une démarche assez naturelle en somme, puisqu’une telle Fraternité existait déjà dans leur diocèse d’origine. De tels groupes ont également été créés dans d’autres pays où des prêtres togolais d’Aného sont en mission.

A LGF, la Fraternité tient généralement trois rencontres par an. «Ce sont des espaces d’échange et de soutien fraternel», indique l’abbé Kouégan. «Nous y voyons ensemble comment les uns et les autres vivent leur ministère. Nous parlons des joies, mais aussi des difficultés que nous rencontrons. Pour ces dernières, nous examinons ensemble les moyens de les surmonter».

Les joies en question sont surtout liées à la pastorale, note l’abbé d’Echallens. Il tient à raconter, dans ce registre, une expérience qui l’a beaucoup touché: «Récemment, dans le cadre de la préparation de la première communion, il fallait effectuer le sacrement de réconciliation. Certains enfants ont réagi négativement, pleurant même. Ils ne voulaient pas y aller, ne savaient pas que dire. Et je ne sais pas ce que j’ai pu leur raconter, mais j’ai senti qu’il s’était passé quelque chose en eux. Et certains qui pleuraient de devoir y aller en sont sortis également en pleurant. Mais, cette fois, parce qu’ils avaient été touchés par la grâce de Dieu». Pour l’abbé togolais, ce sont de tels moments qui ancrent solidement un prêtre dans sa mission.

Incompréhensions culturelles

Il admet cependant que tout ne se passe pas toujours bien dans la vie paroissiale. Si lui-même estime ne pas avoir de problèmes, des tensions se créent parfois entre des prêtres et d’autres membres de la paroisse. Si elles relèvent en partie des personnalités, les différences culturelles jouent aussi un rôle. «Nous n’avons pas la même manière d’apprécier les événements. Ce qui peut paraître grave pour l’un, peut ne pas l’être pour l’autre et réciproquement. Il y a aussi parfois des incompréhensions de part et d’autre liées à notre manière de nous exprimer, d’aborder l’autre. Il arrive que l’on puisse être choqué par des paroles qui n’étaient pas destinées à blesser».

«Il n’existe ainsi pas, en éwé, de mot spécifique pour dire ‘étranger’»

Au sein de la Fraternité, les prêtres peuvent échanger sur ces expériences, les confronter et tenter de trouver une bonne façon d’y faire face.

L’abbé Kouégan souligne le rôle de soutien psychologique jouée par la Fraternité. «Il y a certainement un mal du pays. La vie en Suisse peut être déconcertante et déroutante pour un Togolais. Sans parler du fait qu’il fait trop froid pour nous (rires), nous ne retrouvons souvent pas l’esprit de communauté qui est si présent dans notre pays. Ici, il y a beaucoup de réserve dans les relations. Le Covid n’a pas aidé, c’est vrai, mais au-delà, il est difficile pour nous de gérer cette distance». Si les abbés togolais comprennent et respectent cette attitude des fidèles suisses, ils essayent aussi d’insuffler dans leur ministère un peu de l’esprit communautaire et familial qui caractérise l’Eglise en Afrique.

Mais des obstacles existent néanmoins, notamment sur le plan théologique. «La théologie africaine est assez spécifique, remarque-t-il. Il est indiscutable que certaines de ses conceptions viennent se heurter à celles qui ont court en Occident, notamment en ce qui concerne le rôle de la famille».

La tolérance en valeur fondamentale

L’abbé Kouégan pense quoiqu’il en soit que les prêtres africains peuvent beaucoup apporter à leur pastorale d’adoption. Notamment grâce à une culture traditionnelle empreinte d’une grande sagesse, et qui utilise abondamment l’image. Plutôt que de se lancer dans de longues théories théologiques, Godfroy Kouégan préfère ainsi souvent évoquer des proverbes et dictons de son pays ou des anecdotes.

Ainsi, les prêtres togolais possèdent des atouts considérables pour s’acclimater à la Suisse.

La diversité religieuse n’est pas un obstacle pour un habitant du Togo, où coexistent de nombreuses communautés. L’abbé Kouégan lui-même souligne qu’il avait un oncle protestant et une tante pratiquant les religions traditionnelles avec lesquels il vivait sous le même toit lorsqu’il était enfant.

La tolérance est une valeur fondamentale dans la société togolaise, ainsi que le respect des autres cultures, l’hospitalité et l’intégration. «Nous avons un proverbe qui dit: ‘Si tu arrives dans un village où tout le monde marche à quatre pattes, toi aussi marche à quatre pattes’». Il n’existe ainsi pas, en éwé, la langue parlée à Aného, de mot spécifique pour dire «étranger». Pour parler de quelqu’un qui vient de l’extérieur, on utilise un terme qui signifie «désiré». «Rien que cela en dit long sur l’esprit d’ouverture des Togolais», s’amuse le prêtre d’Echallens.

La Fraternité sacerdotale est en outre en elle-même un exemple qu’en Suisse comme au Togo, on tend à se rassembler pour se parler et régler les problèmes. Autant d’éléments qui assureront sans nul doute pour longtemps encore aux fidei donum togolais un séjour harmonieux et enrichissant dans le diocèse de LGF. (cath.ch/rz)

L'abbé Godfroy Kouégan est l'aîné au sein de la Fraternité sacerdotale togolaise | © Raphaël Zbinden
14 octobre 2021 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 6  min.
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