La multinationale prospère et éthique de l'archidiocèse de Bologne
L’archidiocèse de Bologne, en Italie, est depuis 10 ans propriétaire de la multinationale FAAC, qui fabrique des portails électriques. Sous la gestion de l’archevêché, l’entreprise a prospéré tout en respectant les principes de la doctrine sociale de l’Eglise.
Emilie-Romagne, mars 2012. Alors que le printemps fait fleurir la campagne italienne, une nouvelle «miraculeuse» parvient à l’archevêché de Bologne: l’institution se retrouve unique héritière de Michelangelo Manini.
Tous, à l’archevêché, connaissent le richissime propriétaire de «Fabbrica Automatismi Apertura Cancelli» (FAAC), une entreprise spécialisée dans les portails électriques, qui a son siège à Zola Predosa, sur le territoire de l’archidiocèse. Il s’agit de l’une des entreprises les plus prospères d’Emilie-Romagne.
Contestation de testament
L’annonce surprend dans un premier temps, car les Manini sont perçus comme une famille qui a toujours pratiqué sa foi de façon «discrète». La mère de Michelangelo aurait suggéré à son fils de faire un testament en faveur de l’institution. Ce qu’il a fait en 1992. Décédé à l’âge de 50 ans de maladie, il n’était pas marié et n’avait pas d’enfant.
L’ensemble de biens de l’homme d’affaires est évalué à 1,7 milliard d’euros. Outre les 66% de parts de la FAAC, le legs inclut des propriétés immobilières, des participations dans d’autres entreprises et près de 140 millions d’euros de liquidités.
Le résultat d’une «success story» à l’italienne. La FAAC a été fondée par Giuseppe Manini, le père de Michelangelo, en 1965. L’entrepreneur en bâtiment avait commencé en commercialisant des portails pour voitures à ouverture et fermeture automatique. Grâce, notamment à un dynamique esprit d’innovation, la FAAC réalisait en 2012 un chiffre d’affaires de 284 millions d’euros et employait un millier de personnes.
Mais ce «gâteau» attise bien sûr les convoitises. Dans les premières années, l’archidiocèse doit faire face à des actions en justice d’oncles et de cousins de Michelangelo Manini, qui contestent le testament. Le différend se solde en 2014 avec le versement par l’archidiocèse aux demandeurs de 60 millions d’euros.
L’archidiocèse ne veut pas vendre
La société française SOMFY, qui détient 34% des actions de la FAAC, veut également l’acheter pour un montant d’un milliard d’euros. Mais le diocèse refuse. Fermement décidé à tenir les rênes de l’entreprise, l’archevêché rachète même ses parts à SOMFY et détient, en mai 2015, la totalité de la FAAC. Elle devient ainsi la première grande entreprise entièrement en mains d’une entité ecclésiale.
L’évêque de l’époque, Mgr Carlo Caffarra, décédé en 2017, est motivé à poursuivre le développement de l’entreprise. Il confie sa gestion à un «triumvirat» de professionnels.
Mgr Caffarra n’a pourtant pas le temps d’accompagner le destin de la FAAC. Il est remplacé fin 2015 par le cardinal Matteo Zuppi, jusque-là évêque auxiliaire de Rome. Ce dernier confirme le triumvirat dans ses fonctions. Il assigne en outre des directives très précises pour la gestion du personnel de l’entreprise et le réinvestissement des bénéfices.
Gestion «chrétienne»
Le cardinal met un accent particulier sur le bien-être des employés. Tous les collaborateurs de la FAAC bénéficient d’une assurance maladie complémentaire et les enfants des employés peuvent profiter chaque année de trois semaines de camp d’été aux frais de l’entreprise.
La gestion inspirée des principes de la doctrine sociale de l’Eglise est aussi visible dans le réinvestissement des bénéfices. Une grande partie de l’argent reste en effet au sein de l’entreprise: les resources sont utilisées pour la recherche et le développement, ainsi que pour de nouvelles acquisitions. Les ressources investies dans la recherche et le développement représentent 4 à 5% du chiffre d’affaires, soit environ le double de la moyenne du secteur. La FAAC a ainsi déposé, depuis son acquisition par l’archidiocèse de Bologne, 43 brevets innovants.
Projets sociaux
Au-delà, le diocèse conserve une partie des bénéfices pour lui-même. Il s’agit d’un montant d’environ cinq millions d’euros par an. Depuis 2015, l’entièreté de cet argent est affectée à des projets sociaux, notamment par l’intermédiaire de l’œuvre d’entraide catholique Caritas.
Un million des bénéfices de la FAAC est également dépensé en collaboration avec la municipalité de Bologne pour des projets sociaux, qui sont souvent des soutiens aux familles, des bourses d’études ou des fonds de démarrage d’entreprises.
L’argent est aussi alloué ponctuellement à des projets spécifiques. L’établissement d’un dortoir pour les sans-abri, à Bologne, en a notamment bénéficié. En 2015, trois millions d’euros ont également été dépensés pour restaurer les églises abîmées par le tremblement de terre dans la province de Modène.
L’héritage des moines médiévaux?
Une gestion éthique assumée qui ne nuit nullement, bien au contraire, aux résultats de l’entreprise. Depuis sa reprise par l’archidiocèse, l’entreprise a en effet prospéré au-delà des espérances. En 2017, le chiffre d’affaires était passé de 284 millions (en 2012) à 427 millions d’euros, avec 2’500 employés. Le bénéfice net était alors de près de 43 millions d’euros. En 2020, son chiffre d’affaires atteignait 620 millions. FAAC contrôle actuellement 42 sociétés dans le monde, et a des succursales dans 16 pays dont la Suisse.
C’est par ce biais que l’Eglise italienne devrait faire ses premiers pas en bourse. Selon le magazine économique Challenges, les experts estiment que l’entreprise pourrait atteindre les 2 ou 3 milliards d’euros de valorisation, soit la plus grosse IPO de la Bourse milanaise depuis deux ans.
Dans le quotidien italien Corriere della Sera, en novembre 2018, Milena Gabanelli ironisait en suggérant de donner la gestion de la compagnie aérienne italienne Alitalia, en difficulté, à l’archidiocèse de Bologne. Pour la journaliste économique, il ne faut cependant voir dans ces résultats aucune intervention des pouvoirs célestes. Tout cela est seulement «le fruit d’une éthique entrepreneuriale saine» qui participe au bien-être de la communauté. Milena Gabanelli y voit «l’héritage de l’Eglise, notamment celui des moines du Moyen Age, qui ont construit l’Europe en fondant des hôpitaux, des universités et des centres d’activité économique.» (cath.ch/ag/arch/rz)