L'Eglise a-t-elle célébré des mariages homosexuels?
Dans les années 1990, le livre d’un historien américain prétendant que des mariages homosexuels ont été célébrés dans l’Eglise du premier millénaire, provoquait une intense polémique. L’ouvrage a été décrié à la fois par les milieux conservateurs et libéraux.
Au Musée d’art de Kiev, il est possible de voir une singulière icône provenant du monastère Ste-Catherine, dans le Sinaï. Elle développe l’imagerie traditionnelle du mariage dans la culture romaine. Le Christ y est représenté comme le ‘témoin’ de cette union. Sur l’icône, ne figurent cependant pas un homme et une femme, mais bien deux hommes.
Il s’agit des saints Serge et Bacchus. Ces deux officiers de l’armée romaine ont été martyrisés au début du 4e siècle pour avoir refusé d’entrer dans un temple païen. Cette union est relatée dans plusieurs autres textes anciens. Dans un récit de leur vie écrit au 10e siècle, saint Serge est présenté comme le «gentil compagnon et amant» de saint Bacchus.
Un rejet de l’homosexualité récent?
Il s’agit là de l’un des exemples les plus frappants contenus dans le livre Unions du même sexe dans l’Europe antique et médiévale (Same Sex Unions in Pre-Modern Europe, Villard Books, 1994). L’auteur, John Boswell, était professeur d’histoire à l’Université de Yale (Connecticut). Il décéda des complications dues au VIH quelques mois après la parution du livre, qui engendra une intense polémique aux Etats-Unis et dans le monde.
Dans son dernier ouvrage, il prétendait ainsi démontrer que les unions homosexuelles étaient, au premier millénaire, non seulement tolérées par l’Eglise, mais aussi fréquemment célébrées. Elles l’auraient même été à l’intérieur des églises (car il s’agissait d’une question d’amour), contrairement aux unions hétérosexuelles qui se déroulaient à l’extérieur (car il s’agissait d’une question de famille).
Ce n’était pas la première controverse de John Boswell sur l’homosexualité et l’Eglise. Un de ses ouvrages antérieurs, publié en 1980, intitulé Christianisme, tolérance sociale et homosexualité (Christianity, Social Tolerance, and Homosexuality) avait déjà fait couler beaucoup d’encre. L’historien y soutenait que le rejet de l’homosexualité était un phénomène assez récent, et qu’avant le 13e siècle, elle n’était pas considérée comme plus grave que certains défauts de caractère tels que l’hypocrisie.
Sodome et Antioche?
Dans son ouvrage de 1980, John Boswell évoquait notamment un récit de saint Jean Chrysostome, en séjour dans l’Antioche du 4e siècle, parfois appelée «le berceau du christianisme». Le saint explique sa surprise de voir que, sur place, les hommes n’ont pas de rapports avec des prostituées, mais se satisfont entre eux, dans une complète acceptation sociale.
Dans Christianisme, tolérance sociale et homosexualité – qui reçut le National Book Award en 1981, l’une des plus prestigieuses distinctions littéraires aux Etats-Unis – John Boswell procure des données sur plus de mille ans d’histoire de l’Europe pour expliquer que les pratiques homosexuelles étaient plutôt bien tolérées, dans la société comme dans l’Eglise. Sous le pape Grégoire II, notamment, les rapports lesbiens étaient punis de 160 jours de jeûne, alors qu’un prêtre attrapé en train de s’adonner à la chasse était menacé d’une peine comparable de trois ans.
Dans la même ligne d’idées, l’historien de Yale soutenait, dans Unions de même sexe dans l’Europe antique et médiévale, que contrairement au mythe répandu, le concept de mariage chrétien n’a pas été fixé depuis l’époque christique, mais a subi, à travers les siècles, une constante évolution. Pour John Boswell, les unions de même sexe ont ainsi été largement acceptées par l’Eglise jusqu’au Concile de Latran IV de 1215, qui a érigé le mariage hétérosexuel en sacrement.
Accueil enthousiaste
Des thèses qui n’ont évidemment pas manqué de provoquer de vives réactions et critiques. Les attaques sont venues principalement des milieux chrétiens conservateurs, mais aussi de défense des homosexuels.
Ces premiers reprochaient à John Boswell un manque d’objectivité. L’historien, décédé à l’âge de 47 ans, était en effet à la fois catholique pratiquant et ouvertement homosexuel. Des observateurs ont considéré qu’il avait ainsi interprété les données historiques de façon à «réconcilier» les deux aspects de sa personnalité.
Les milieux «libertaires» ont au contraire reproché à John Boswell de minimiser la persécution «immémoriale» des homosexuels par l’Eglise.
Il existe, chez les commentateurs des deux ouvrages, des avis très divergents.
Une partie des spécialistes a accueilli les travaux de John Boswell avec grand enthousiasme. Dans le quotidien Irish Times, en 1998, l’écrivain et historien irlandais John Duffy exprimait sa conviction absolue des thèses contenues dans Unions de même sexe. «Les recherches académiques de Boswell sont si bien réalisées et sourcées qu’elles ne peuvent que poser des questions fondamentales aux dirigeants de l’Eglise moderne et aux chrétiens hétérosexuels sur leur attitude envers l’homosexualité», concluait ainsi John Duffy.
Défauts méthodologiques?
De l’autre côté de la balance, l’essayiste et critique américain Daniel Mendelsohn, lui-même ouvertement gay, a qualifié Unions de même sexe de «mauvais livre». Il a estimé que les arguments de John Boswell étaient «faibles, ses méthodes peu solides, ses conclusions très discutables».
Pour Daniel Mendelsohn comme pour d’autres critiques, l’historien de Yale n’est en effet pas parvenu à démontrer que les «unions de même sexe» dont il parle étaient autre chose que des rituels traditionnels, ressemblant aux cérémonies de «frères de sang», que l’on peut encore trouver aujourd’hui dans certains milieux, par exemple les mafias ou les gangs. Ils auraient notamment servi à réconcilier entre eux des chefs de famille. John Boswell échouerait en outre à démontrer que ces unions avaient un caractère sexuel.
Troisième voie
Face à ces interrogations, de nombreux analystes ont pris une position modérée. En 2016, le professeur d’histoire médiévale de l’Université de Leicester (Royaume-Uni) David Clark, soulignait effectivement l’aspect «anachronique» de certains termes utilisés par John Boswell – tels qu’homosexuel – en référence aux textes du premier millénaire. Il relevait toutefois «qu’aucun choix terminologique est non-problématique» dans le domaine de l’histoire.
L’historienne Joanne Cadden du Kenyon College (Ohio), bien qu’elle ait fait une critique largement positive de l’œuvre de John Boswell, a aussi regretté certains de ses choix terminologiques, notamment le terme «union homosexuelle», que l’historien associerait trop promptement à «mariage homosexuel». Elle déplore aussi que, dans dans Unions de même sexe, les aspects sociologiques aient été négligés.
Joan Cadden estime que le livre a toutefois eu le mérite de contribuer de façon très large au débat continu sur la question de l’homosexualité dans l’Eglise. (cath.ch/arch/rz)
Le peuple suisse votera le 26 septembre 2021 sur le «mariage pour tous». Les premiers sondages donnent une large majorité de ‘oui’. Parmi les opposants, on trouve certains milieux religieux. Chez les protestants, alors que l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) s’est déclarée en faveur du mariage pour tous, le Réseau évangélique suisse (RES) défend son opposition au projet de loi par «les conséquences négatives pour l’enfant s’il grandit sans mère ou sans père».
La Conférence des évêques suisses (CES) a elle aussi exprimé sa perplexité. En décembre 2020, elle a assuré «ne pas pouvoir accepter sous cette forme» le projet de «mariage pour tous» adopté par le Parlement. La CES estime que le débat n’est pas envisagé comme il se doit, étant donné les conséquences éthiques liées à la procréation médicalement assistée (PMA). RZ