«Le gouvernement a raison de ne pas imposer la vaccination»
Le gouvernement doit-il forcer la population à se faire vacciner? Les personnes vaccinées doivent-elles bénéficier d’avantages? Autant de question éthiques qui secouent la société en ce moment. Stève Bobillier, collaborateur scientifique de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses (CES), répond à quelques unes.
Regula Pfeifer, kath.ch/traduction: Raphaël Zbinden
Sur le plan éthique, est-il correct que le Conseil fédéral ne contraigne pas à la vaccination?
Stève Bobillier: Oui, cela me semble juste. En effet, tout acte médical doit obtenir le consentement explicite du patient pour pouvoir être réalisé. La question de la liberté de choix et de la responsabilité individuelle est primordiale.
Pour bien comprendre, il faut distinguer la contrainte de l’obligation. La contrainte consiste à imposer un acte de manière violente à l’encontre de la volonté de quelqu’un. Il n’en a jamais été question et ce ne sera évidemment jamais le cas. La Suisse n’est pas un régime despotique. Les comparaisons que font ainsi certains avec des dictatures ne tiennent pas la route, puisqu’il n’y a pas de contrainte.
L’obligation relève plutôt d’un contrat par lequel les différentes parties sont tenues de faire quelque chose. Cette obligation peut être juridique. Dans ce cas, l’Etat pourrait par exemple imposer des sanctions si l’obligation n’est pas respectée. C’est ce qu’on nomme l’hétéronomie, à savoir lorsque l’obligation est assortie d’une contrainte extérieure.
Un deuxième type d’obligation relève de la morale. C’est une prescription morale qui s’impose au sujet comme devant éthiquement être respectée. C’est ce qu’on nomme proprement l’autonomie, c’est-à-dire une obligation morale librement consentie par le citoyen et qu’il choisit parce qu’il considère comme étant juste. Pour l’instant, la Suisse appelle plutôt à cette responsabilité individuelle.
Mais ce qui est obligatoire, que ce soit juridiquement ou moralement, peut ne pas être accompli. En ce sens, il n’y a pas d’obligation sans choix; pas d’obligation sans exercice de la liberté. Le gouvernement a donc raison de ne pas imposer d’obligation juridique, laissant la liberté et la responsabilité à chacun de choisir ce qui lui semble juste d’être fait.
Qu’est-ce que les employeurs – y compris religieux – sont autorisés ou non à faire en matière de vaccination?
Un employeur ne peut pas imposer la vaccination à tous ses collaborateurs. Il n’a aucune base légale pour le faire.
Toutefois, il existe quelques exceptions, notamment dans le domaine de la santé où le personnel serait en contact direct avec des personnes à risques. En droit, on parle «d’intérêt prépondérant de l’employeur» pour justifier cette obligation.
Mais si l’employeur est en mesure d’exiger que ses collaborateurs se vaccinent, l’employé qui s’y refuserait peut recevoir un avertissement, une mutation, voire en dernier recours une résiliation des rapports de travail.
De plus, si un employeur a le droit de demander si ses collaborateurs sont vaccinés, ceux-ci peuvent également refuser de répondre, à moins de nouveau que l’employeur soit en droit d’exiger la vaccination comme indiqué plus haut.
Les avantages, notamment l’accès à certains lieux, pour les personnes vaccinées sont-ils éthiquement justifiables?
A mon avis, il est faux de vouloir considérer l’accès à certains lieux comme un privilège ou comme une récompense.
Si certains se sont fait vacciner pour pouvoir se rendre dans certains lieux ou destinations de vacances, il me semble que le premier motif pour se faire vacciner doit plutôt être de se protéger ou de protéger les autres. Il s’agit d’un acte médical et non d’un passe-droit.
«Ce n’est pas parce qu’une ou l’autre situation est absurde que l’ensemble est mauvais»
Si le certificat Covid est imposé dans certains lieux, ce n’est pas pour marquer un privilège, mais par nécessité de protection dans des lieux où les mesures sanitaires ne peuvent être respectées ou s’il y a un trop grand danger de contamination. C’est la raison pour laquelle certains hôpitaux imposent le certificat Covid aux visiteurs, ce qui est une situation malheureuse, mais nécessaire pour la protection des malades.
Dans cette optique, il faut espérer que cette situation ne devienne pas la norme, mais que la solution du certificat de bonne santé ne soit que transitoire.
A l’inverse, désavantager les non-vaccinés est-il éthiquement correct?
Tout dépend de la situation spécifique. Pour les manifestations de plus de 1’000 personnes, le certificat Covid est actuellement obligatoire, ce qui se comprend pour des raisons de risque de contamination de masse.
Pour d’autres situations, telles que certains bars, restaurants ou manifestations sportives ou culturelles de moins de 1’000 personnes, la question se pose. On peut par exemple se voir refuser l’accès à un concert dans une église dans laquelle vous pourrez aller à la messe dans les mêmes conditions sans souci. Cela peut sembler assez discriminatoire.
Tout le monde connaît des exemples particuliers qui sont aberrants. Cela dit, ce n’est pas parce qu’une ou l’autre situation est absurde que l’ensemble est mauvais et qu’il faille refuser toute exigence du certificat Covid. Il s’agit de cas par cas et pour un certain temps nous devons hélas nous accommoder de décisions parfois arbitraires.
Le cas plus difficile éthiquement est pour les personnes immunodépressives, par exemple, qui ne peuvent pas se faire vacciner, voire pour certaines personnes qui n’ont pas encore eu l’occasion de se faire vacciner en Suisse. Puisqu’elles n’ont pas le choix, refuser l’accès à un lieu est éthiquement difficile à soutenir.
Qui agit au mieux sur le plan éthique: la personne vaccinée ou non vaccinée?
Il faut à mon avis éviter de catégoriser la population entre vaccinés et non-vaccinés.
Le pape François a encouragé à la vaccination, en vue du bien commun. «La vaccination est un moyen simple, mais profond de promouvoir le bien commun et de prendre soin les uns des autres, en particulier des plus vulnérables», a-t-il déclaré le 15 août 2021.
«Dans une société post-vérité, on ne fait plus confiance qu’à soi-même»
Cela dit, il faut comprendre également les personnes qui craignent encore, par exemple, des effets à long termes du vaccin, bien que la communauté scientifique se veuille rassurante sur ce point. Il est difficile de se faire un avis avec toute la complexité de la situation actuelle et avec toutes les fake-news qui circulent sur le vaccin.
La question éthique n’est donc pas de savoir qui agit au mieux, mais comment informer au mieux la population et comment éviter des catégorisations au sein de la population entre les bons et les mauvais, les égoïstes et les moutons. Il ne s’agit pas de trouver une solution identique pour tout le monde, la liberté individuelle persiste. Il s’agit de comprendre que l’autre puisse avoir un avis différent du mien et de le respecter, et ce, même s’il est évident qu’un taux de vaccination plus élevé réduit le risque de développement de nouvelles variantes du virus.
La question de la vaccination est-elle un facteur de division pour la société?
Oui. Au-delà de la crise sanitaire, nous assistons à une crise politique et sociale qu’il s’agit également de soigner.
Une solution purement technique comme le vaccin ne résout pas la fracture économique et sociale qui s’est creusée. La pauvreté, la fragilité psychologiques, notamment des jeunes, la défiance de certains envers les autorités politiques ou scientifiques, se sont accrues.
Dans une société de post-vérité, on ne fait plus confiance qu’à soi-même, à ses opinions et à ceux qui les partagent. Face à la complexité du monde, beaucoup se réfugient dans une croyance simple d’être dans le juste tandis que les autres sont en tort. L’homme est devenu un loup pour l’homme.
Je pense qu’il est fondamental d’apporter de la nuance. Le monde n’est pas en noir et blanc, mais en dégradé de couleurs. La «Cancel Culture» dans laquelle l’avis de l’autre est supprimé parce que différent ou dérangeant, est à mon sens dangereuse. Laisser l’autre exprimer son avis, essayer de le comprendre, de discuter, non pas pour convaincre de sa propre position, mais pour rencontrer l’altérité et pour chercher ensemble une voie commune, me semble aujourd’hui essentiel.
C’est seulement dans ce respect et dans cette compréhension de l’autre que nous pourrons surmonter cette crise sanitaire, politique, économique et sociale et que cette crise soit le lieu d’un jugement (Krisis en grec) pour tenter de s’améliorer. (cath.ch/kath/rp/rz)