Mgr Bonnemain prépare une étude sur les abus sexuels
La Conférence des évêques suisses (CES) veut faire face aux abus sexuels. Elle prévoit pour l’automne 2021 une étude à grande échelle, a indiqué l’évêque responsable Mgr Joseph Bonnemain. Il s’attend à ce que de nouvelles affaires, bloquées par la prescription, soient mises au jour. Il faut souvent 30 à 40 ans pour qu’une victime se manifeste.
Raphael Rauch, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
Les évêques allemands et d›autres ont commandé de vastes études historiques et sociologiques sur les abus sexuels dans l’Eglise. Pourquoi la Suisse ne l’a-t-elle pas encore fait?
Mgr Joseph Bonnemain: Pour que l’étude repose sur des bases solides, il faut créer les conditions appropriées. Nous sommes sur la bonne voie. Les contrats correspondants avec des scientifiques indépendants sont en cours. Au préalable, il a fallu motiver les diocèses, les ordres religieux, les autres communautés religieuses ainsi que la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) à participer. Cela a demandé beaucoup d’énergie, mais c’est très important pour l’étude. J’ai bon espoir que nous puissions donner le feu vert à un projet pilote à l’automne.
«L’étude n’a de sens que si tout est sur la table».
Quels scientifiques allez-vous charger de l’étude, et comment allez-vous vous assurer qu’ils puissent travailler de manière vraiment indépendante?
Nous ne communiquerons pas les noms des chercheurs avant l’automne. Mais je peux vous l’assurer: L’étude n’a de sens que si tout est mis sur la table et que les chercheurs peuvent travailler de manière totalement indépendante.
Le cardinal Reinhard Marx a récemment déclaré que les abus avaient changé sa foi. Cela est-il aussi vrai pour vous?
J’avais une foi naïve. Celui qui pense que la foi consiste en des certitudes est encore dans la puberté de la foi. J’étais conscient qu’il y avait des abîmes. Mais j’ai beaucoup appris et ressenti beaucoup de douleur au cours des dernières décennies en tant que secrétaire du groupe d’experts «Abus sexuels dans le contexte ecclésial».L’abus a élargi ma foi. Et m’a renforcé pour faire ce qui est juste pour les personnes et ne pas épargner l’institution. J’espère que ma foi a mûri.
«Les théories du repentir, du remords et de la reconnaissance de la culpabilité ne suffisent pas.»
Pouvez-vous comprendre le choc dont parle le cardinal Marx?
Oui. Nous ne devons pas nous contenter de ce qui a été fait auparavant. Les théories du repentir, de la contrition et de la reconnaissance de la culpabilité ne suffisent pas. Nous devons passer aux actes et continuer résolument à mettre au jour et à prévenir.
Le 1er juillet, des directives révisées entreront en vigueur pour le Fonds d’indemnisation. Qu’est-ce qui change exactement?
Ce fonds concerne des agressions anciennes et qui sont prescrites. Au cours des cinq dernières années, nous avons versé des indemnités à environ 140 victimes. Lors de l’assemblée plénière d’Einsiedeln, nous avons décidé que l’accord avec la RKZ et l’Union des Supérieurs Majeurs serait prolongé de cinq ans. Le fonds continuera donc à exister.
«Certaines victimes ne veulent plus rien avoir à faire avec l’Église.»
Depuis peu, non seulement les organismes diocésains spécialisés et la «Commission d’Écoute, de Conciliation, d’Arbitrage et de Réparation» (CECAR) de Suisse romande peuvent soumettre des demandes au fonds d’indemnisation, mais aussi tous les organismes d’aide aux victimes reconnus par l’État ainsi que les organismes équivalents. Certaines victimes ne veulent plus avoir affaire à l’Église et préfèrent s’adresser au Fonds d’indemnisation par l’intermédiaire d’une institution non ecclésiastique.
Qu’est-ce qui change encore?
Nous renforçons l’autonomie de la commission d’indemnisation. Les représentants de la Conférence épiscopale, des ordres religieux et de l’Eglise catholique ne doivent plus faire partie de la Commission. Nous nous en remettons à des spécialistes qualifiés et expérimentés en cas d’abus. L’accent ne doit pas être mis sur les institutions, mais sur les victimes.
La limite supérieure de 20 000 francs d’indemnisation sera-t-elle maintenue?
Oui. Rien ne changera en ce qui concerne la limite supérieure. Toutefois, nous ne faisons plus dépendre le montant maximal de la gravité de la violence sexualisée subie.
«Même une agression supposée mineure peut traumatiser profondément une personne».
En effet, les conséquences d’un acte de violence peuvent varier d’une personne à l’autre. Même une agression supposée bénigne peut traumatiser profondément une personne. C’est pourquoi la gravité du crime n’est plus centrale, mais les conséquences pour la victime.
Si une victime a besoin de plusieurs années de psychothérapie pour surmonter les abus, 20 000 francs ne suffiront pas.
C’est vrai. Dans ce cas, le fonds de compensation seul ne sera pas d’un grand secours.
Prévoyez-vous de nombreux nouveaux cas d’abus?
Il y a très peu de rapports sur de nouveaux cas en Suisse. Nos concepts de protection fonctionnent. Cependant, je m’attends à ce que d’anciennes affaires soient mises au jour. La majorité des victimes mettent 30 à 40 ans avant de se manifester. Je m’attends donc à voir davantage de victimes d’affaires prescrites.
«Il est grand temps que cela devienne une activité professionnelle.»
La conférence des évêques suisses recherche un secrétaire du groupe d’experts «Abus sexuels dans le contexte ecclésial». Est-ce le poste que vous avez occupé?
Oui, j’ai fait ce travail jusqu’à présent – souvent en marge de mon activité d’aumônier d’hôpital, de juge ecclésiastique et de vicaire épiscopal. En 2002, je l’ai accepté provisoirement pendant quelques mois – et cela a duré 19 ans. Il est grand temps que ce poste soit professionnalisé. (cath.ch/kath.ch/rr/mp)
Joseph Bonnemain (72 ans) est évêque de Coire depuis 2021. Il a été, de 2002 à 2021, secrétaire de la commission d’experts de la Conférence des évêques suisses (CES) «Abus sexuels dans le contexte ecclésial». Au sein de la CES, il est en charge des abus sexuels.