Souade Wehbé: «Le sort du Liban me tient à cœur!»
Arrivée comme réfugiée en Suisse il y a 23 ans, Souade Wehbé est reconnaissante envers la patrie qui l’a accueillie. Aujourd’hui, elle partage cette générosité avec le Liban, pour ceux qui ont tout perdu dans les explosions du 4 août 2020 à Beyrouth.
Le 4 août 2020, à 17h45, Beyrouth est sous le choc. Une double explosion – provoquée par l’inflammation de plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium dans un entrepôt – ravage tout le centre portuaire et une partie de la capitale libanaise. Bilan: 220 morts et plus 6’500 blessés.
Souade Wehbé, domiciliée à Moutier, reçoit des vidéos de la catastrophe filmées par son frère, sa belle-sœur et ses neveux. Elle est terrassée. Sa seule consolation: savoir sa famille en vie. «Mon frère et sa femme travaillaient dans le port. Par chance, ils avaient quitté leur bureau à 17h», raconte Souade, émue à l’évocation de ce malheureux souvenir.
Une mini «chaîne du bonheur»
Dès le lendemain, la Prévôtoise active ses réseaux d’amis, de connaissances et de collègues, à travers le Jura et au-delà. Elle ouvre un compte et récolte 17’000 francs en trois semaines. «Mon salon est devenu le QG de cette mini ‘chaîne du bonheur’. Et mon frère Issa, sur place, a regroupé une quarantaine de bénévoles. La plupart sont de ses collègues, dont le lieu de travail a été littéralement soufflé par l’explosion».
A Beyrouth, 300’000 personnes n’ont plus de maison, plus de travail, plus de salaire, plus rien à manger et aucun système social pour leur venir en aide. «Chacun doit se débrouiller. Et même si la moitié de la capitale n’a pas subi de dégâts matériels, la destruction du port a entraîné un blocage économique total. Les marchés ne sont pas approvisionnés, les banques ne prêtent pas d’argent, l’État est impuissant et corrompu, et ainsi de suite…», détaille Souade, qui comprend très rapidement que les survivants ont plus besoin d’argent, que d’une aide de première nécessité. «Il faut d’abord nourrir les personnes, pour qu’elles puissent ensuite réfléchir et retrouver du travail», ajoute l’Helvético-libanaise.
Une aide directe et ciblée
Elle envoie les dons récoltés par Western Union, ce qui permet à son frère Issa – le seul «intermédiaire» de l’action–, de pouvoir directement récupérer l’argent liquide par système postal. Sur place, le groupe de bénévoles prépare des cartons avec quelques vivres, des pansements, du matériel sanitaire, des masques et du désinfectant. Avec l’aide d’un camion, ils circulent dans des quartiers et distribuent aux plus nécessiteux. Les contacts se passent principalement de bouches à oreilles.
«Avec la confection de 900 cartons, nous estimons être venus en aide à un millier de familles, toutes religions confondues»
Souade Wehbé
Dans une deuxième phase, l’équipe de bénévoles a récolté des pommes de terre auprès des agriculteurs de la région. «Avec la confection de 900 cartons, nous estimons être venus en aide à un millier de familles, toutes religions confondues [chrétiens, chiites, sunnites et druzes, ndlr.]», se réjouit Souade, qui est de tradition maronite.
Contourner la corruption
«Malgré la désolation généralisée, les chrétiens gardent la foi. De leur côté, les Églises ne peuvent offrir que leurs prières. Elles aimeraient bien aider, mais elles n’ont pas de ressources. Elles dépendent des dons des fidèles, qui n’ont désormais plus un sou et sont à la rue».
«Les Églises ne peuvent offrir que leurs prières. Elles aimeraient bien aider, mais elles n’ont pas de ressources».
Souade Wehbé
Souade Wehbé est convaincue que, pour contourner la corruption, les aides ponctuelles et locales sont très efficaces. «Beaucoup d’ONG se sont mobilisées, la France a promis son aide, même l’ONU a articulé le chiffre de 300 millions pour le Liban, mais ensuite on ne sait pas si l’argent arrive, ni comment, ni à quoi il sert. Mon frère ne lit pas forcément ce que certains médias écrivent, mais il observe sur le terrain pour voir ce qu’il se passe réellement. Par exemple, il a constaté que la Chaîne du Bonheur menait des opérations de reconstruction dans plusieurs quartiers. L’aide que je peux offrir, à mon niveau, n’est évidemment pas de cette envergure».
L’écoute, plus forte que l’aide matérielle
Mais Souade ne compte pas s’arrêter là. En juillet 2021, elle va se rendre avec son conjoint Philippe durant une dizaine de jours à Beyrouth. «Ce sera l’occasion de revoir la famille et d’organiser un repas avec les bénévoles, qui se sont activés sans attendre quoi que ce soit en retour. Nous allons aussi apporter de l’argent, mais surtout écouter et observer là où les besoins sont pressants», projette Souade, assistante en soin et santé communautaire à l’Hôpital de Moutier. «L’aide matérielle est une chose. Mais qui écoute les victimes? Qui prend soin d’elles et panse leurs blessures physiques et morales?»
Originaire de la Plaine de la Bekaa, dans la partie orientale du Liban, Souade s’est rendue sur place, chaque été, depuis 2013, dans des dispensaires pour aider les réfugiés syriens. Ce qui l’a le plus marquée à leur contact, c’est leur besoin primordial de pouvoir se confier à quelqu’un et d’être écouté.
Arrivée comme réfugiée
«Je suis arrivée comme réfugiée en Suisse en 1998 et travaille depuis 2001 dans les soins. J’ai été accueillie avec mes cinq enfants et j’ai été aidée à tous les niveaux. Ne parlant pas le français, je l’ai appris en fréquentant les milieux religieux, en donnant des coups de main à la brocante de l’Armée du Salut et en faisant du nettoyage à la paroisse catholique de Moutier, tout en écoutant les gens parler entre eux», se rappelle Souade.
Depuis 2013, elle travaille en gériatrie à l’Hôpital de Moutier comme assistante en soin et santé communautaire. Parallèlement, elle est membre de la commission d’école et de la commission d’intégration, active à la paroisse catholique et engagée comme conseillère de Ville suppléante, portant la couleur orange du Centre (ex Parti démocrate chrétien).
Reconnaissance et confiance
«C’est cette reconnaissance envers les personnes qui m’ont écoutée et aidée, que je me tourne maintenant vers ceux qui sont dans la détresse et le besoin. Et j’ai choisi le Liban, parce que j’en viens, je parle arabe couramment et j’ai totalement confiance en mon frère pour assurer une aide concrète», explique Souade Wehbé, à quelques semaines de son départ pour la capitale de son pays natal. (cath.ch/gr)