Mgr Charles Morerod a reçu cath.ch à l'évêché | © Bernard Hallet
Dossier

Charles Morerod: «Ce changement demande un saut dans la foi»

2

Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg va vivre un important remaniement. Les vicaires épiscopaux seront remplacés par des représentants de l’évêque laïcs et les vicariats par des régions diocésaines. Mgr Charles Morerod a expliqué à cath.ch les enjeux derrière les changements de termes.

Propos recueillis par Maurice Page

L’évêque demande d’abord de faire confiance à Dieu, et d’oser faire un saut dans la foi. «On ne doit pas commencer à faire un plan complet avant de bouger», estime-t-il.

Le cœur de la question
Charles Morerod: «L’Église c’est l’Évangile qui continue». Je répète souvent cette phrase. J’aimerais qu’en voyant l’Église on puisse voir Jésus, voir sa présence active. C’est l’affaire de tous les chrétiens. Nous nous rassemblons parce que le Seigneur est présent au milieu de nous. Il ne s’agit pas de nous occuper uniquement de structures mais d’être témoins. Beaucoup font des choses, sans penser au Christ. Comment manifester le Christ sans épuiser nos forces aux mauvais endroits? C’est le cœur de la question.

«Je souhaite d’abord que les prêtres puissent collaborer dans leur rôle pastoral propre»

Le constat de base
Je souhaite d’abord que les prêtres puissent collaborer dans leur rôle pastoral propre en développant des pôles pastoraux plutôt qu’être assignés à des tâches d’organisation. Je vois qu’il y a dans l’Église beaucoup d’endroits qui ne sont plus très vivants, alors que quelques autres développent une belle vitalité.

Fribourg le 20 mai 2021. Mgr Charles Morerod reçoit cath.ch à l’évêché | © Bernard Hallet

Le rôle des laïcs
Les laïcs, en tant que baptisés, ont un rôle actif dans la vie de l’Église et pas seulement pour s’occuper des questions administratives, mais aussi dans la pastorale. Cette collaboration est une chose positive. Elle existe déjà, mais nous pouvons la développer. Donner des responsabilités aux laïcs conduit assez naturellement au fait qu’ils puissent aussi prendre part (avec les prêtres) à la coordination pastorale cantonale avec des tâches transversales qui touchent tous les aspects de la vie de l’Église. Ce qui n’enlève rien au rôle propre des prêtres, sacramentel et pastoral.

Les réalités locales sont différentes
Oui, c’est le principe de subsidiarité. Les grands principes sont toujours vrais, mais leur application relève de la situation locale et de celle de la personne. Tout ne s’applique pas de manière uniforme.

«Choisir des personnes qui connaissent déjà les situations qu’elles auront à traiter devrait rendre le choc beaucoup moins rude»

Des vicariats ou des régions?
Les termes sont liés, pour parler de vicariat, il faut qu’il y ait un vicaire. Sinon il faut utiliser un autre mot plus adéquat. En fait, il s’agit bien toujours d’une entité territoriale intermédiaire entre les unités pastorales (UP) et le diocèse. Les représentants de l’évêque dans les régions diocésaines gèrent les questions locales tout en discutant au niveau diocésain, avec l’évêque. 
Ils auront aussi la charge de représenter le diocèse auprès des instances de l’État et des corporations ecclésiastiques, ou encore des autres Églises et religions. Dans le cadre des aumôneries d’hôpitaux ou de prisons, par exemple.

Des dynamiques transversales
L’idée est de favoriser les dynamiques transversales dans le diocèse à partir des réalités locales. Par exemple, en catéchèse, où on essaye de profiter des expériences acquises dans d’autres endroits ou cantons, car ces questions se posent partout de manière assez semblable. La transversalité peut également toucher d’autres domaines comme les services informatiques, la communication, les archives, etc.

A Neuchâtel, l’abbé Pietro Guérini laisse sa place à Romuald Babey| © Ikiwaner/Wikimedia/CC BY-SA 3.0

Le choix de personnes déjà en place
Choisir des personnes qui connaissent déjà les situations qu’elles auront à traiter devrait rendre le choc beaucoup moins rude. La diversité des profils des personnes responsables, une femme laïque, un homme laïc et un diacre, est aussi un aspect important. Elles ne verront pas toutes la réalité sous le même angle. Dieu nous a fait à son image et sa ressemblance, mais il ne nous a pas fait identiques. Cette diversité contribue à la compréhension de la vie de l’Église. Ce n’est pas qu’une nécessité due à un manque de personnes.

La gestion des ressources humaines
Au niveau de l’évêché, nous avons engagé un secrétaire général. Il a une grande expérience et pourra nous aider dans le domaine des ressources humaines tout comme dans le suivi des dossiers avec les instances cantonales. Il est bien de se faire aider par des professionnels qui comprennent les dynamiques et connaissent les règles juridiques, ce qui n’est pas toujours le lot des prêtres, moi y compris.

L’autorité des représentants de l’évêque
L’autorité de l’évêque est derrière eux (qu’il s’agisse de représentants régionaux ou thématiques, comme la représentante à la vie consacrée), et d’autres représentants vont être nommés graduellement dans diverses thématiques. Il me serait d’ailleurs impossible de prendre toutes les décisions. On a beau imaginer l’Église comme une instance organisée de manière autoritaire, les décisions se prennent le plus souvent par consensus. Une grande partie de l’activité ecclésiale ne dépend pas d’instructions données ou d’ordres spécifiques mais bien plus d’initiatives locales, personnelles ou collectives.

«Les personnes qui s’engagent dans les structures ecclésiastiques le font parce qu’elles ont le souci du bien de l’Église»

La consultation de la Congrégation pour le clergé à à Rome
J’ai surtout parlé avec eux de questions de terminologie. Ils sont attentifs au fait d’éviter de donner l’impression qu’on ne fait que remplacer un vicaire épiscopal prêtre par un vicaire épiscopal laïc. Il faut éviter de créer une confusion qui pourrait aussi avoir des impacts ailleurs, d’où l’importance de les consulter.

Le risque de ‘cléricaliser’ les laïcs
Il y a des habitudes de fonctionnement dans l’ Église qui demeurent, avec des réflexes ›cléricaux’.  Beaucoup estiment encore par exemple qu’il y a une personne qui décide et qui fait les choses: c’est le vicaire épiscopal, le curé, ou désormais et à défaut, la personne laïque qui représente l’évêque.

Fribourg le 20 mai 2021. Mgr Charles Morerod reçoit cath.ch à l’évêché | © Bernard Hallet

Les relations avec les paroisses et les corporations cantonales
Je ne vois pas beaucoup de changements dans ce domaine. Je ne pense pas que cela pose de difficultés particulières. Il ne faut pas exagérer les tensions. Les relations sont habituellement harmonieuses. Les personnes qui s’y engagent le font parce qu’elles ont le souci du bien de l’Église.

Le maintien des structures
Nous n’avons plus besoin de toutes les structures actuelles. Il faut savoir que beaucoup de nos paroisses et de nos églises ont été érigées dans le courant du XXe siècle. On a, par exemple, rempli la ville de Genève d’églises catholiques dans l’idée que les paroissiens ne devraient pas prendre plus d’un quart d’heure à pied pour y aller.
On disperse ainsi les communautés avec des gens qui croient qu’ils sont les derniers des Mohicans, dont la foi peut néanmoins être admirable, quel que soit leur nombre. Si on les rassemble, le point de vue est différent. A Notre-Dame de Genève, il y a ainsi environ 2’000 personnes chaque week-end.

La basilique Notre-Dame de Genève est un pôle pastoral régional important | wikimedia commons

La fusion des paroisses
A part celle d’Estavayer-le-Lac (FR), il n’y a pas eu de fusion de paroisses d’envergure ces dernières années. Beaucoup de paroisses ont été créées au XIXe et XXe siècle. L’Église a vécu des siècles en en ayant nettement moins pour un même territoire, même si la population était moindre. Une partie d’entre elles ont de la peine à tourner, tant sur le plan du personnel que celui des ressources financières. Je ne peux donc qu’encourager les fusions.

«Je sais depuis mon adolescence qu’être catholique, c’est aller à contre-courant des conformismes»

Un processus en route
Il faut viser la vie de l’Église, dans ses différentes communautés. Cela implique avant tout de faire confiance à Dieu, et dans ce processus, j’ai demandé aux nouveaux représentants de faire un saut dans la foi: on ne doit pas commencer à faire un plan complet avant de bouger. Je le dis aussi dans l’attente de pouvoir commencer le processus synodal, quand la situation sanitaire le permettra.

Une Église de minorité
Que l’Église soit un petit troupeau, n’est pas nouveau: je sais depuis mon adolescence qu’être catholique, c’est aller à contre-courant des conformismes contemporains. Si on rassemble les gens, ils se sentiront moins seuls dans ce petit troupeau. Il faut leur donner la possibilité de se découvrir les uns les autres, de marcher ensemble. (cath.ch/mp)

Suite