Communion pour Biden: les options limitées des évêques américains
La Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) a adressé, début mai 2021, un avertissement inhabituel aux évêques américains, les enjoignant à la prudence dans leur projet de déclaration sur l’accès à la communion pour les politiciens catholiques «pro-choix», tels que le président Joe Biden. Les prélats semblent avoir des options limitées dans la poursuite de leur démarche.
Joshua McElwee, National Catholic Reporter (NCR)/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Les évêques américains ont prévu de voter, lors de leur prochaine réunion du 16 au 18 juin 2021, sur un document concernant la possibilité pour les politiciens catholiques «pro-choix» de recevoir la communion. Le cardinal Luis Ladaria, préfet de la CDF, a averti dans une lettre envoyée le 7 mai qu’une telle démarche pourrait «devenir une source de discorde plutôt que d’unité au sein de l’épiscopat et de l’Eglise au sens large aux États-Unis».
Approbation du Vatican très incertaine
Plusieurs éminents spécialistes en droit canonique relèvent que le document de 1998 du pape Jean Paul II, qui définit l’autorité des conférences épiscopales, est au cœur du problème. Ce texte, intitulé Apostolos Suos, exige que toute déclaration doctrinale d’une conférence reçoive, soit le soutien unanime de tous les évêques du pays, soit un soutien des deux tiers, ainsi que l’approbation du Vatican, connue sous le nom de recognitio.
Un canoniste anonyme basé à Rome affirme ainsi, après avoir lu la lettre inattendue du cardinal Ladaria: «Il est clair que, dans ce cas là, les évêques américains n’obtiendront pas d’approbation (…) Ils [les responsables du Vatican, ndlr.] ne vont pas donner la recognitio parce que les positions ne sont pas assez unanimes (…) Même si [Ladaria] le dit d’une manière très vaticane».
A l’évêque local de décider
Au-delà du problème de l’approbation du Vatican, un autre canoniste se demande comment un texte de la conférence épiscopale pourrait outrepasser la compétence des évêques à déterminer de façon individuelle qui peut ou non recevoir la communion dans leurs diocèses. «La conférence épiscopale ne peut pas restreindre l’autonomie des évêques», déclare ainsi Charles Reid Jr, professeur de droit canon à l’Université de St Thomas à St Paul, dans le Minnesota.
«Je dirais qu’il s’agit d’une occasion pour certains membres de la conférence épiscopale de se profiler»
Charles Reid
Dans le cas de Joe Biden, souligne Charles Reid, c’est le cardinal Wilton Gregory, archevêque de Washington, qui déciderait en dernier ressort si le président peut recevoir la communion, dans sa juridiction. Le texte de Jean Paul II de 1998 précise en effet clairement qu’une conférence épiscopale ne peut pas entraver l’autorité d’un évêque dans son diocèse «en se substituant à lui de manière inappropriée.»
Pas d’autorité d’enseignement pour les conférences épiscopales
«Pour spéculer, je dirais qu’il s’agit d’une occasion pour certains membres de la conférence épiscopale de se profiler», relève Charles Reid. «Le Vatican leur a rappelé de manière appropriée leurs obligations légales».
Nicholas Cafardi, un avocat civil et juge canonique qui conseille les évêques et les diocèses depuis des décennies, confirme que le document de 1998 indique clairement les options très limitées des conférences épiscopales dans la publication de textes doctrinaux. «Après Apostolos Suos, je pense que la question est vraiment close (…) Je ne sais pas ce que [les évêques] pensent pouvoir faire».
Nicholas Cafardi mentionne également une déclaration de 1983 du cardinal Joseph Ratzinger, futur pape Benoît XVI, selon laquelle les conférences épiscopales n’ont pas de mandatum docendi, d’autorité d’enseignement, dans l’Eglise.
La ligne rouge de l’unité
Malgré la forte probabilité que les évêques américains ne reçoivent pas l’approbation du Vatican pour un document à l’échelle nationale stigmatisant les politiciens catholiques «pro-choix», les canonistes estiment qu’il existe tout de même une option pour les prélats qui pourraient soutenir un tel texte. Ils pourraient éventuellement rédiger ensemble une déclaration indiquant qu’ils ne permettraient pas à des hommes politiques tels que Joe Biden de recevoir la communion dans leurs diocèses respectifs. «C’est tout ce qu’ils peuvent dire», relève Nicholas Cafardi. Tout en ajoutant: «La nature politique d’une telle déclaration sera si évidente qu’elle en sera des plus risibles».
Charles Reid estime qu’une telle initiative de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis (USCCB) était condamnée à recevoir une réaction négative de la part du Vatican. «Cette lettre [du cardinal Ladaria] souligne le rôle de l’unité (…) Je pense que les évêques qui franchiraient cette ligne rencontreraient des difficultés».
«En lisant cette lettre, on peut se demander si un groupe de 50 évêques oserait menacer l’unité après que le [Vatican] ait souligné à maintes reprises son caractère central», note le canoniste. «Ce serait une démarche juridiquement admissible mais politiquement risquée…». (cath.ch/ncr/rz)