Quel profil du prochain ambassadeur des Etats-Unis au Vatican?
Un nouveau représentant des Etats-Unis auprès du Saint-Siège doit être nommé dans les prochaines semaines. Un poste plutôt sensible, alors que les relations entre le plus petit Etat du monde et la superpuissance touchent des domaines très variés. De la paix à l’avortement en passant par le changement climatique.
Les Etats-Unis et le Saint-Siège ayant établi des relations diplomatiques en 1984, Joe Biden sera le premier président catholique à y nommer un ambassadeur. Sous l’ère Donald Trump, la fonction était occupée par Callista Gingrich. Cette femme d’affaires, épouse du député républicain Newt Gingrich, a appliqué au Vatican la ligne conservatrice de l’ancien président. Elle est en fait restée sur un échange diplomatique limité, centré sur les questions de liberté religieuse et de lutte contre le trafic humain, note Shaun Casey, ancien directeur du Bureau pour les religions et les affaires globales du Département d’Etat américain, dans un article du National Catholic Reporter (NCR), fin avril 2021.
Vers une ère d’intense collaboration?
Les deux diplomaties ont évité des clashs majeurs dans le contexte d’une relation tendue entre le pape François et le président Trump. Mais d’importantes dissensions sont survenues par le passé, notamment sous des administrations républicaines.
Ce fut le cas la veille de l’invasion de l’Irak, en 2003, quand Jean Paul II avait envoyé un émissaire spécial à Washington lancer un appel de dernière minute au président George W. Bush afin qu’il renonce à la guerre. En «riposte», l’ambassade des États-Unis auprès du Saint-Siège avait organisé une série de conférences utilisant la théorie catholique de ‘la guerre juste’ pour promouvoir la moralité de l’opération contre Saddam Hussein.
Pour la conseillère politique Marie Dennis, un tel scénario sera peu probable sous l’administration Biden. L’ancien directrice de Pax Christi International estime que les Etats-Unis et le Vatican sont particulièrement bien placés pour débuter une fructueuse collaboration.
Le «soft power» dans la balance
«Ce qu’il faut maintenant, c’est quelqu’un qui comprenne l’approche politique de François», juge Massimo Faggioli. Selon l’historien de l’Eglise à l’Université de Villanova (Pennsylvanie), l’Eglise catholique n’est pas liée à un Etat ou à une ligne politique particulière et cherche principalement, avec sa diplomatie, à se constituer des alliés dans ses luttes diverses.
«Les agendas du Vatican et des Etats-Unis partageaient, sous l’administration Obama, au moins 70% de priorités»
Il estime que le deuxième président catholique portera une attention particulière à avoir toujours des yeux et des oreilles bien ouverts à Rome. Joe Biden bénéficie déjà d’une relation plutôt positive avec le pape argentin. Ils ont notamment passé du temps ensemble lors de la visite papale aux Etats-Unis, en 2015. Il garde sur son bureau à la Maison Blanche une photo de lui avec le pontife.
Au-delà de ses penchants personnels, Joseph Biden est bien sûr également conscient que l’Amérique a tout intérêt, en rapport à son «soft power», à soigner son image auprès du milliard et plus de catholiques répartis sur tous les continents.
Quatre femmes «papabili»
Le président catholique cherche «quelqu’un qui a l’énergie nécessaire pour tout apprendre sur le fonctionnement de la Curie et s’engager à tous les niveaux avec les différents dicastères», suppute Shaun Casey. Le conseiller, qui a accompagné l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry au Vatican en 2014, pense que l’engagement du nouveau représentant sera bien plus étendu que celui déployé par Callista Gingrich.
Selon Ken Hackett, qui a été ambassadeur des États-Unis près le Saint-Siège pendant le second mandat du président Barack Obama, Joe Biden doit trouver une personnalité «qui puisse comprendre que le Saint-Siège est un organisme mondial avec un large éventail d’intérêts».
D’après les précédents, l’on peut affirmer que le 12e ambassadeur des Etats-Unis près le Saint-Siège sera un catholique pratiquant ayant été directement employé par l’Eglise ou ayant servi comme volontaire dans une de ses organisations, estime le magazine jésuite America. De plus, il est probable qu’il soit un soutien déclaré du président. America présente huit «papabili» dont quatre femmes. La plupart d’entre eux faisant partie du groupe de soutien «Catholics for Biden».
Un modèle pour les relations avec l’islam et la Chine?
Shaun Casey considère que les agendas du Vatican et celui des Etats-Unis partageaient, sous l’administration Obama, au moins 70% de priorités. Une proportion qui devrait se retrouver avec Joe Biden. Cette liste de préoccupations comprend notamment la situation des migrants et des réfugiés, le changement climatique et l’amélioration des relations avec le monde musulman. Un dernier point sur lequel les Etats-Unis pourraient apprendre du Vatican, estime l’ancien directeur du Bureau pour les religions et les affaires globales.
«Les évêques américains pourraient faire pression pour que le diplomate garde ses distances avec le pape»
Il relève également le récent accord entre le Vatican et la Chine. Le fait même que le Saint-Siège ait été en mesure de négocier un tel document avec la Chine peut être une source d’inspiration. «Nous aussi essayons de recalibrer nos relations» avec ce pays, note Shaun Casey.
Selon Massimo Faggioli, qui a récemment publié le livre Joe Biden and Catholicism in the United States, la protection de l’environnement devrait être la «carte de visite» du nouvel ambassadeur.
Expliciter les divisions américaines
Au-delà des nombreuses opportunités d’entente entre le Vatican et les Etats-Unis, l’historien perçoit également des écueils. Les catholiques libéraux voudront que le président Biden mette en place des politiques progressistes sur les questions relatives aux femmes et aux LGBT. Des demandes qui ne correspondent pas forcément à la culture du pape François.
«Le nouvel ambassadeur ne devrait pas avoir un ‘agenda catholique’ particulier»
Mais surtout, le nouvel ambassadeur des États-Unis auprès du Saint-Siège devra aider le Vatican à comprendre les «messages contradictoires» provenant des évêques américains, relève Marie Dennis. L’épiscopat du pays est en effet profondément divisé entre les «pro» et les «anti» Biden. Nombre d’évêques n’acceptent pas certaines politiques du nouveau président, notamment son soutien à la légalité de l’avortement.
Reconnaître le sérieux de l’engagement du pape
Au vu de cette situation, Massimo Faggioli estime que le nouvel ambassadeur ne devrait pas avoir un «agenda catholique» particulier, mais être plutôt motivé par le dialogue avec les évêques et une volonté de se placer «au-dessus de la mesquinerie» de la politique intra-ecclésiale.
Les évêques américains pourraient faire pression pour que le diplomate garde ses distances avec le pape. Ken Hackett souligne néanmoins le «nombre important de catholiques actifs» dans l’administration Biden qui sont «à l’aise» avec Rome et «reconnaissent la valeur de l’engagement avec le Saint-Siège.» Ils n’hésiteront pas, selon lui, à promouvoir dialogue et rencontres entre les deux gouvernements.
Marie Dennis espère quoiqu’il en soit que le nouveau représentant américain tirera les leçons du passé et saura «transmettre à l’administration Biden la profondeur et le sérieux de ce que le pape François essaie de faire». (cath.ch/ncr/arch/rz)