Face aux homosexuels, l'attitude de l’Église est signe de respect
Après le refus de la Congrégation pour la doctrine de la foi d’autoriser la bénédiction de couples homosexuels, le 15 mars 2021, le prêtre belge Christophe Cossement a été l’une des rares voix à défendre la position romaine et à appeler au discernement. La quasi-totalité des réactions parmi l’épiscopat et les théologiens européens ont été négatives dénonçant un manque de compréhension envers les homosexuels.
Théologien moral, diplômé de l’Institut catholique de Paris, le Père Christophe Cossement, aujourd’hui curé de paroisse en périphérie de Mons, en Belgique, s’est fait connaître aussi par son blog et son activité sur les réseaux sociaux. L’ancien directeur de l’institut de formation du diocèse de Tournai a donc choisi de s’exprimer sur Facebook «pour réconforter ceux qui cherchent à comprendre». Pour lui, l’attitude de l’Église qui parait dépassée à beaucoup est davantage un signe de respect que de mépris.
Pourquoi avoir pris la parole?
Père Christophe Cossement: Lors de la préparation du Synode de la famille en 2014, Mgr Johan Jozef Bonny, évêque d’Anvers, avait annoncé, avant de partir à Rome, qu’il militerait pour la bénédiction des couples homosexuels. Je me suis dit alors qu’il fallait renouveler le discernement de l’Église belge notamment parce que la théologie du corps de saint Jean Paul II reste méconnue. Pour moi, il y avait un déficit de réflexion dans une Église encore traumatisée par les débats à la suite d’Humanae Vitae de 1968. Elle reste trop silencieuse sur les questions de la vie sexuelle. J’ai donc écrit sur mon blog avant d’être sollicité pour un article dans la Nouvelle Revue Théologique publié en 2015. Quand le débat à resurgi en 2021, j’ai eu l’impression que rien ne s’était passé depuis.
Je n’entendais que des voix pour dire que Rome avait tort et qu’il fallait continuer de bénir des unions homosexuelles. Cela ne va que dans un seul sens. Or les chrétiens sont désemparés si personne ne parle ouvertement.
«L’acte sexuel a pour vocation de porter la quête d’union physique des corps, des âmes et des esprits.»
Mgr Bonny parle des valeurs authentiques qui peuvent exister dans un couple de même sexe.
Oui, et je vois aussi ces valeurs de complicité, d’intimité, de soutien, de compassion dans les couples homosexuels que je connais. Mais pour moi, clairement ces valeurs relèvent de l’amitié, de la grande amitié où il y a «un seul cœur dans deux corps» selon le mot du Père de l’Église Grégoire de Nazianze. Peut-on aller plus loin et reconnaître des valeurs sexuelles? Je crois que la Révélation ne va pas dans ce sens là. Je ne pense pas du tout aux versets du Lévitique ou de saint Paul qui condamnent les relations homosexuelles, mais au récit de la Création de l’homme et de la femme dans la Genèse.
On est donc en face d’une question anthropologique.
Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est de constater que le nombre de partenaires pour des hommes homosexuels est bien supérieur à celui des partenaires dans le cadre d’une relation homme-femme. Je refuse de rechercher une explication dans une sorte de dépravation morale. Il s’agit de comprendre pourquoi l’acte sexuel homosexuel n’offre pas ce qu’il promet, mais laisse les personnes sur leur faim. En regardant la théologie du corps de Jean Paul II, j’ai vu comment l’acte sexuel a pour vocation de porter la quête d’union physique des corps, des âmes et des esprits.
Pour vous, cette union n’est possible que dans l’altérité homme-femme.
Juste après la création de l’homme et de la femme, la Genèse dit: «A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils ne feront qu’une seule chair.» (Gn 2,24) Certaines traductions disent ne feront plus qu’un, mais le texte hébreu est explicite. Cela n’est possible que dans la rencontre du corps de l’homme et du corps de la femme, qui sont «architecturés» pour cela.
Dans les actes homosexuels des personnes de bonne volonté cherchent elles aussi cette union, mais les corps ne peuvent pas la procurer. A mon avis, c’est cela qui fait que l’acte homosexuel ne rentre pas dans le schéma de Dieu.
«Ce n’est pas le plaisir qui unit, c’est l’union qui donne la joie.»
L’idée de l’altérité et de la complémentarité est donc essentielle.
Je n’aime pas beaucoup utiliser ces mots comme cela, parce que l’on me répondra que chacun est différent et unique, et que dans un couple de même sexe, il peut y avoir une altérité et une complémentarité. Je préfère en rester au niveau physique. Même si ce sont des actes où on peut collaborer à un plaisir partagé, les actes homosexuels ne sont pas unitifs. Ce n’est pas le plaisir qui unit, c’est l’union qui donne la joie.
N’y a-t-il pas là un déni de la réalité sexuée ou un refus de l’accepter?
La culture contemporaine sépare fortement l’esprit du corps. Elle considère que ce qui est humain, c’est l’esprit et que le corps est un héritage animal qui n’aurait pas de sens en lui-même. Ce n’est pas la vision chrétienne. On a beaucoup dit que la pensée chrétienne était dualiste, séparant l’âme du corps. Mais dans la foi chrétienne les deux vont ensemble. Nous avons foi dans la résurrection de la chair. Le corps n’est pas ainsi mis à l’écart comme un simple ‘véhicule’. Mon corps, c’est moi.
Pour certains aujourd’hui, l’homosexualité serait non pas une épreuve mais une bénédiction: «Dieu m’a créé comme cela».
Que chacun le dise pour lui-même, pourquoi pas. Si c’est pour dire ‘ce n’est pas ma faute’, oui. Mais je crois que le premier mouvement d’une personne qui se découvre homosexuelle n’est pas celui de la joie ou de la bénédiction, mais plutôt une déception et une tristesse en se rendant compte que beaucoup de choses ne lui sont pas possibles. Même si le monde actuel tend à le nier. On peut l’assumer de diverses façons, soit comme une limite qui peut nous permettre aussi de grandir, ou alors comme une limite que l’on s’attachera à refuser. Une personne homosexuelle peut être sainte, mais une union homosexuelle ne peut pas en être le moyen, contrairement à ce que l’on pourrait dire du mariage de l’homme et de la femme.
«L’attitude de l’Église qui parait dépassée à beaucoup est davantage un signe de respect que de mépris.»
Vous dites qu’il y a tromperie à faire croire à des jeunes qu’une union homosexuelle peut être semblable à un mariage.
Si Dieu aime les personnes homosexuelles et l’Église aussi, elle ne peut pas leur raconter des ‘carabistouilles’, comme on dit ici en Belgique. C’est pour cela qu’elle dit que l’amour homosexuel est d’un autre ordre que celui de l’homme et de la femme. Cette attitude de l’Église qui parait dépassée à beaucoup est davantage un signe de respect que de mépris.
Il s’agira alors d’accueillir sans cautionner, de faire la distinction entre le pécheur et le péché.
Les personnes homosexuelles ont toujours eu leur place dans l’Église. Mais on ne peut pas élever l’union homosexuelle a un statut proche de celui du mariage. Je connais des couples qui ont cheminé vers la chasteté et qui sont restés en couple et y ont découvert un épanouissement. Je pense que nous pouvons le proposer.
C’est dire que la relation pourrait évoluer vers une amitié non ‘captative’?
C’est une question que je me pose encore. L’amitié dont parle Grégoire de Nazianze ou le cardinal Newman sont clairement des amitiés particulières. On arrive à un tel niveau de partage de l’âme, une telle intimité qu’elle ne se partage pas largement.
Il y a beaucoup de couples, homosexuels ou pas, où les valeurs sexuelles ont pris beaucoup de place par rapport aux valeurs de l’amitié. Pour élargir le débat, je pense aussi que c’est le problème de la contraception, car elle a empêché beaucoup de couples de relever le défi d’un amour qui dépasse la convoitise sexuelle.
Ce discours a beaucoup de peine à passer aujourd’hui.
Chez les catholiques, on a finalement un discours très éthéré. On parle d’amour, mais sans ‘regarder sous le capot’ si je puis dire. Lors des homélies de mariage, j’ai l’impression que l’on parle à des anges plutôt qu’à des êtres humains. Il y a tout un message sur la sexualité qui est complètement occulté, mis au frigo.
Pour vous, la sexualité n’est donc pas le lieu du péché.
Ah non, la sexualité est une superbe invention de Dieu, mais elle doit être vécue d’une façon propre à ce qu’est l’être humain et ne pas se réduire aux pulsions. Elle doit traduire l’amour et l’union. Il y a trop d’actes sexuels qui ne les traduisent pas.
Vous ne donnerez pas de bénédiction à un couple homosexuel, mais peut-on donner une bénédiction individuelle à des personnes?
Cela m’arrive très souvent de bénir des personnes lorsque je fais des visites ou lorsque des gens me sollicitent. C’est une belle pratique. Le problème vient du caractère ambigu de la demande de bénédiction d’une union homosexuelle. En général le jour-même où a eu lieu le mariage civil. On aurait beau prendre toutes sortes de précautions pour dire ce n’est pas un mariage, la confusion serait inévitable. Cela convient peut être aux discussions de théologiens, mais, sur le terrain, nous ne devons pas tromper les gens.
«Je pense que si l’Église parlait de non-discrimination, elle remplacerait les valeurs de l’Évangile par celle de l’individualisme libéral.»
Que répondriez-vous à un couple homosexuel vous demandant une bénédiction?
Je leur dirais que dans la vision de l’Église, ce que le Seigneur attend d’eux c’est de renoncer à la pratique sexuelle. S’ils veulent bien suivre ce chemin, une bénédiction est possible, mais pas dans un cadre public. Je pourrais le faire dans l’intimité de personnes qui comprendraient et soutiendraient cette démarche.
Pour beaucoup, on ne peut pas faire de discrimination entre les couples quel que soit le sexe du partenaire.
Je pense que si l’Église emprunte ce langage de la non-discrimination, alors elle remplacerait les valeurs de l’Évangile par celle de l’individualisme libéral. La non-discrimination ne fait pas partie des valeurs évangéliques qui sont la charité, la compassion, l’attention aux autres qui vont bien au-delà.
Vous ne vous opposez pas à l’union civile de couples homosexuels.
Dans plusieurs pays, on a proposé des unions civiles pour garantir la sécurité des personnes. Mais symboliquement, cela ne suffisait pas au lobby gay, qui n’a eu de cesse de réclamer un mariage en bonne et due forme. Ce faisant, on a complètement dénaturé le mariage civil pour en faire une chose purement privée alors qu’il était considéré jusque-là comme la base de la société.
Plus largement, n’est-ce pas la question du rapport au corps qui est posée?
La culture contemporaine croit qu’elle est arrivée à un certain accomplissement en sortant de la vision chrétienne. Mais en fin de compte, elle a réduit le corps et la sexualité à rien du tout. Ou comme le disait le pape Benoît XVI:»Cette banalisation [de la sexualité] est justement à l’origine d’un phénomène dangereux: tant de personnes ne trouvent plus dans la sexualité l’expression de leur amour, mais uniquement une sorte de drogue qu’ils s’administrent eux-mêmes». (cath.ch/mp)