Montreux: les chrétiens irakiens saluent l’engagement du pape François
L’église du Sacré-Cœur de Montreux, sur la Riviera vaudoise, a vibré, samedi après-midi 6 mars 2021, aux chaudes tonalités de la langue araméenne – la langue du Christ – lors de la messe des apôtres Addaï et Mari. Une cinquantaine de personnes, COVID oblige, s’étaient réunies, à l’invitation de l’Eglise chaldéenne en Suisse, pour célébrer une messe de reconnaissance pour la visite du pape François en Irak, qui apporte son soutien en particulier aux chrétiens de ce pays martyrisé.
Par Jacques Berset, pour cath.ch
«Le pape François est venu visiter un peuple fatigué par tant d’épreuves, en pèlerin de la paix et de l’espérance», a lancé d’emblée le Père Naseem Asmaroo, en charge de la communauté catholique chaldéenne en Suisse, forte de plus d’un millier d’âmes dispersées aux quatre coins du pays.
A ses côtés, dans le chœur, on notait la présence de Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, et des abbés Philippe Blanc, curé de la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg, Franz Mali, spécialiste des langues de l’Orient chrétien à la Faculté de théologie de Fribourg, et Marc Donzé, ainsi que José Dumbi, de l’équipe pastorale de l’UP Riviera –Pays-d’Enhaut.
Tous ont voulu témoigner de leur sollicitude envers la diaspora chaldéenne en Suisse, chassée de sa patrie par des guerres sans fin, l’embargo longtemps imposé à un peuple exsangue, la barbarie sans nom des djihadistes, la discrimination, la crise économique et la corruption endémique.
Plusieurs familles n’ont pu se rendre à Montreux pour participer à la cérémonie en raison des règles sanitaires et les organisateurs avaient mis sur pied une liste d’attente. Certaines ont désigné celui ou celle d’entre elles qui pouvait venir, tant les attentes des chrétiens irakiens de la diaspora étaient grandes.
Au son de l’araméen, la langue du Christ
Présidée par le Père Naseem, la cérémonie de plus de deux heures – dont une présentation et des témoignages – a alterné l’araméen oriental, l’arabe, le français et l’allemand. Venus de Winterthur, de Rothrist, de Gelterkinden, d’Olten, de Berne, de Fribourg, de Sion, de Sierre et de Montreux, les chrétiens chaldéens de Suisse ont vécu un intense moment de recueillement au son mélodieux du oud, le luth oriental.
Dans le même temps, a rappelé le célébrant – qui aurait aimé être sur place, comme la plupart des autres participants – le pape François célébrait lui aussi la messe dans la cathédrale Saint-Joseph de Bagdad, selon le rite suivi par l’Eglise chaldéenne. Cette Eglise, née au Ier siècle de la prédication de saint Thomas sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, rassemble la majorité des chrétiens du pays. Et de souligner que c’est la première fois qu’un pape célèbre une liturgie dans ce rite oriental ancien. A Montreux, la joie et l’émotion des fidèles, qui ont lâché une salve de youyous enthousiastes, ne pouvaient se dissimuler.
Le courage du pape François
«En allant en Irak, un pays qui vit dans l’insécurité quotidienne, le pape a fait preuve d’un immense courage, et de nombreux Irakiens ont admiré ce geste», a expliqué Lusia Shammas Asmaroo, épouse du Père Asmaroo, qui suit le périple du pape notamment sur les écrans de Télé Lumière – Noursat, un station tv chrétienne basée au Liban. Exprimant tout à la fois sa joie et la tristesse de ne pas participer sur place à l’enthousiasme de la rue, où chrétiens et musulmans partagent un même sentiment de fierté, elle souligne: «Le pape nous a reconnus, il a dit qu’il voulait nous apporter la caresse affectueuse de toute l’Eglise. En rappelant le sort de toutes ces familles déchirées, dispersées sur tous les continents, il a compris notre souffrance!»
Lors de son homélie, Mgr Morerod a rappelé avec émotion que le pape François porte le même nom que saint François d’Assise, qui avait rencontré en Egypte le sultan Malik al-Kamil, en septembre 1219, «tout un symbole!» Et de relever que le choix des lectures du pape en ce jour – le livre de la Sagesse et la lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens – n’est pas le fruit du hasard. Il y est dit, dans la première lecture, «qu’au petit, par pitié, on pardonne, mais les puissants seront jugés avec puissance!»
Dans la seconde lecture, c’est le message chrétien: l’amour ne passera jamais, le Seigneur nous aime, et il nous dit d’aimer même nos ennemis, l’amour est plus fort que le mal!» Et l’évêque de LGF de déplorer à cette occasion que le président George W. Bush, alors qu’il déclarait la guerre à l’Irak, ait utilisé le terme de «croisade», «un choix de mots particulièrement catastrophique et irréfléchi» qui a mis les chrétiens irakiens dans le collimateur des extrémistes et des fanatiques.
Le dialogue entre les religions est crucial
De notre côté, nous confient Akram Seto et son épouse Racha, venus de Gelterkinden, à Bâle-Campagne, cette visite du pape dans leur région – ils viennent tous deux de Tel Kayf, dans la Plaine de Ninive – les remplit de joie. «C’est une visite historique, cela nous procure une grande émotion. C’est important pour le dialogue entre les différentes religions. Son message est pour tous, surtout pour les chrétiens, qui ont tant souffert des djihadistes de Daech, l’Etat islamique. Beaucoup ne peuvent pas rentrer, car leur maison a été détruite, mais aussi parce qu’il y a beaucoup de tensions sur place. Les chrétiens qui veulent rester ont beaucoup de courage, car il y a une grande perte de confiance: les voisins musulmans ne les ont pas protégés. Les partis politiques ont semé la division entre les communautés. Mais une réconciliation est certainement possible au plan individuel, car avant existait le ‘vivre ensemble’, et on peut le restaurer en se basant sur les bonnes relations du passé».
C’est du moins l’espoir de ce père de deux enfants très engagé au sein de la communauté chaldéenne. Aujourd’hui chef d’équipe dans une usine de plastique de Sissach, il est venu en Suisse en 1993, alors que les puissances occidentales imposaient un embargo qui étranglait l’Irak. (cath.ch/be)
Les chaldéens en Suisse
Les catholiques chaldéens sont, en Suisse, plus d’un millier, dans 8 cantons. Ils proviennent d’Irak, de Syrie, de l’Iran et du Tur Abdin (la «Montagne des serviteurs de Dieu», une région montagneuse du Sud-Est de la Turquie). La messe est dite principalement en araméen oriental, les langues utilisées étant par ailleurs les dialectes syriaques (comme par ex. le suryoyo et le soureth). Prêtre marié, comme il est usuel dans l’Eglise chaldéenne, Naseem Asmaroo célèbre également la messe selon le rite latin. JB
«Aide à l’Eglise en Détresse» soutient la présence chrétienne en Irak
A la fin de la cérémonie en l’église du Sacré-Cœur de Montreux, Patricio Tribelhorn, responsable pour la Suisse romande de l’œuvre d’entraide «Aide à l’Eglise en Détresse ACN», a offert aux cinquante participants une «bougie de l’espérance», sur laquelle sont gravés les noms de martyrs chrétiens tués en raison de leur foi en 2019/2020, dans divers continents.
Auparavant, il a expliqué l’engagement de la fondation pontificale pour la reconstruction dans les villages chrétiens de la Plaine de Ninive, près de Mossoul, au nord de l’Irak, de plus de 2’000 maisons qui avaient été détruites lorsque les terroristes de Daech, le prétendu «Etat islamique», avaient conquis la région en août 2014. Des églises et des monastères ont également été reconstruits ou réhabilités.
A l’occasion de la visite du pape François en Irak, ACN a annoncé un nouveau programme ambitieux de 1,5 million d’euros pour soutenir les chrétiens d’Irak. Ce programme permettra d’accorder, au cours des quatre prochaines années, des bourses d’études à 150 étudiants de l’Université catholique d’Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan. L’objectif du projet est de promouvoir la cohésion sociale entre les religions et d’offrir des perspectives de travail aux jeunes chrétiens, afin d’éviter qu’ils prennent le chemin de l’exil.
Ce projet est réalisé avec le concours du fondateur de la seule université catholique du pays, Mgr Bashar Warda, archevêque chaldéen d’Erbil. La plupart de ces étudiants sont des déplacés internes et des réfugiés en provenance de différentes parties de l’Irak. Ce projet devrait appuyer le message du pape sur la cohésion sociale et la réconciliation: 72% des étudiants sont chrétiens, 10% musulmans et 18% yézidis. JB