Covid-19: les aumôniers témoins de la souffrance des soignants
La Suisse célèbre simultanément la Journée des malades, le 7 mars 2021, et l’anniversaire de l’arrivée du covid. Outre les malades, les aumôniers des hôpitaux romands ont aussi accompagné les soignants. Ils témoignent de la grande souffrance des équipes médicales qui, après la première vague au printemps 2020, ont traversé l’hiver au rythme des nombreux décès et d’une urgence sans fin.
«Les patients mourraient si nombreux et tellement vite que le personnel soignant n’avait parfois même pas le temps de prévenir les familles. Les soignants ont beaucoup souffert, surtout durant la deuxième vague du covid. A l’extérieur on les a oubliés», témoigne Sœur Véronique Vallat, aumônière, notamment à l’hôpital de la Chaux-de-Fonds (NE).
La religieuse évoque les services débordés, le travail alourdi par les précautions à prendre: tenues, distances, contraintes sanitaires. Et l’absence des familles a pesé lourd sur le moral et dans le travail quotidien. «les soignants se sont retrouvés à assumer les soins et l’accompagnement des malades qu’ils ont vus partir très souvent en l’absence de leurs proches», explique l’abbé Jean-Pierre Babey, aumônier à l’hôpital à Delémont (JU).
Il raconte aussi les difficultés des infirmières et infirmiers travaillant normalement en chirurgie et dont le service a été réquisitionné pour soigner les malades atteints du Covid, les opérations ayant été repoussées. «Une moyenne d’âge très jeune et des personnels n’étant pas habitués à voir autant de patients mourir ainsi, sans pouvoir les accompagner, ce qui arrivait d’habitude peu dans leur service. C’était d’une violence…», souffle l’aumônier.
Une présence parmi les soignants
A vue humaine, l’hiver fut interminable pour les soignants, mais aussi pour le personnel chargé du ménage, de l’hôtellerie ou de la désinfection des chambres. Le soutien psychologique n’a pas manqué dans les différents sites hospitaliers. Mais comment les aumôniers pouvaient-ils accompagner au mieux le personnel en plus de leur mission auprès des malades?
Pas de grands remèdes, mais «une présence parmi les soignants», simple, voire minime. Elle fut pourtant essentielle. L’expression revient, à quelques synonymes près, dans les propos des aumôniers d’hôpital qui ont vécu aux côtés des équipes médicales au cœur des deux vagues de la pandémie de coronavirus.
Dès la première vague de la pandémie, les aumôneries pensent aux soignants, soumis au stress et à l’inconnu. Mais les moyens mis en place par les équipes d’aumônerie ne sont guère utilisés, comme la ligne d’écoute installée à Delémont. Tout le monde est pris de court par l’arrivée du virus. Dans les services d’aumônerie on est aussi dans le flou: «Nous aussi avons été sidérés, personne ne savait quoi que ce soit de ce virus, les équipes médicales étaient sous pression», concède François Vallat, actif à l’aumônerie de l’Hôpital de Fribourg. Difficile dans ces conditions de mettre en place des groupes de parole ou des permanences pour des personnels accaparés par une situation de crise permanente.
«Aller vers»
La deuxième vague a été en revanche plus féconde. Le contact avec les équipes médicales existait auparavant mais «nous avons accentué ce ›aller vers’», explique l’aumônier de Delémont. A l’hôpital de Sion, l’équipe de l’aumônerie a également eu une attention plus particulière pour les soignants, explique Christophe Pont, responsable du service. «Régulièrement, les membres de l’équipe ont pris des nouvelles, et demandé aux soignants comment ils vivaient la situation».
Une attention très appréciée par les soignants qui, à l’occasion du passage des aumôniers, font part de la fatigue physique, de la baisse de moral, du ras-le-bol d’une urgence sans fin. «Que pouvions-nous faire d’autre pour eux?», interroge Sœur Vallat. Au détour d’un couloir, à la porte d’un service, elle tend la perche, mine de rien, et recueille un trop plein, une confidence. «Il y a peu, à l’entrée d’un ascenseur, un infirmier m’a confié que son service venait d’enregistrer le 53e décès depuis le mois d’octobre».
«En fait nous avons donné un espace pour que le personnel soignant puissent s’exprimer», indique Christophe Pont. Si l’attention paraît mince, elle fait beaucoup de bien car «il suffit de peu de temps pour déposer quelque chose», observe l’abbé Babey.
L’écoute et le geste
A l’écoute, Christophe Pont joint le geste: il recueille les messages de reconnaissance des familles qui ne cessent d’affluer à l’aumônerie où l’on reçoit des nouvelles de ceux qui s’en sont sortis. Il note les mots d’encouragement, les remerciements chaleureux et les transmet au service des soins intensifs qui décide de les afficher…. «Cela leur a fait du bien. Tout comme lorsque j’ai fait passer la photo de la première personne hospitalisée malade du covid qu’ils avaient soignée».
Avec le temps et leur assiduité auprès des équipes médicales, les aumôneries, d’ordinaire plutôt associées aux patients et à leurs proches, deviennent plus visibles dans les services. «D’autant qu’avec la suppression des admissions classiques et leur questionnaire rituel, notamment sur le souhait pour le patient de voir un aumônier, les demandes passaient par les soignants qui nous sollicitaient», explique Sœur Véronique. Les échanges sont de fait plus nombreux entre les uns et les autres, la confiance s’installe et les liens s’approfondissent.
Interdisciplinarité
En ce sens, la collaboration entre l’aumônerie de l’hôpital de Sion et les soignants touche au domaine interdisciplinaire. Régulièrement, l’aumônier participe aux conférences zoom avec les psychologues qui soutiennent le personnel. L’approche de la souffrance des équipes hospitalières du point de vue des aumôniers est complémentaire et permet de croiser les appréciations de la situation. «Avec une collègue J’ai aussi pu rencontrer régulièrement les infirmières-cheffes des soins intensifs afin d’avoir un retour à propos des patients et pour leur donner aussi des nouvelles de nos contacts avec les familles. C’était nouveau».
Les aumôniers ont été témoins d’une grande solidarité entre les soignants, de leur endurance. Ils sont admiratifs de la capacité de résilience dont ils ont fait preuve face à la mort. Il n’y a rien de plus difficile que de répondre à un sentiment d’impuissance, .
Maintenir le lien
«Il faut maintenir ce lien qui s’est noué pendant cette crise», affirme Christophe Pont. L’aumônier a d’ailleurs une idée assez précise de ce qu’il compte mettre en place lors du retour à la normale, mais il n’en dira pas plus pour l’heure. L’abbé Jean-Pierre Babey prendra soin de ce «tissu» à partir duquel il compte bien construire à l’avenir, notamment en gardant l’écoute, aussi importante, selon lui, que les plans ou les stratégies d’entreprise.
Sœur Véronique Vallat annonce, durant les trois semaines qui précèdent Pâques et la semaine suivante, la mise en place d’une permanence d’écoute à l’intention spécifiquement du personnel au bureau de l’aumônerie. «Nous en profiterons pour rappeler qu’une chapelle est à leur disposition, ouverte en tout temps».
Une reconnaissance
Les aumôniers se disent reconnus et renforcés dans leur mission. Leur présence parmi les soignants leur a valu des retours favorables des services. «A travers cette crise, le personnel a redécouvert l’aumônerie», se réjouit François Vallat.
«Nous avons fait route avec les soignants, tout comme Jésus a cheminé avec les pèlerins d’Emmaüs. Là aussi était le Seigneur», assure Sœur Véronique Vallat. (cath.ch/bh)