Amnar, chrétien de 26 ans, revenu vivre à Mossoul
Seules quelques dizaines de chrétiens sont revenues à Mossoul, la grande ville sunnite du nord-est de l’Irak. I.Média a pu rencontrer un jeune chrétien irakien à la paroisse d’al Bichara, l’unique église à avoir rouvert ses portes après l’occupation de la ville par l’organisation État islamique, de 2014 à 2017.
Il n’aime pas être pris en photo mais accepte volontiers de raconter son histoire. Amnar Thenoun, 26 ans, fait partie de la soixantaine de chrétiens qui est retournée vivre à Mossoul. Avec sa famille, il est d’ailleurs l’un des derniers à avoir quitté la ville, en juin 2014. À cette époque, l’organisation État islamique, qui vient de faire de l’ancienne Ninive sa capitale en Irak, a laissé aux «kouffars” – les infidèles – le choix odieux entre la fuite, la conversion ou bien la mort, à moins de payer un impôt spécial.
La famille, pourtant installée ici depuis des générations, se résigne à l’exil et part pour le Kurdistan irakien. Amnar laisse derrière lui ses amis musulmans avec qui il a grandi. Il ne le sait pas encore mais quelques semaines plus tard, les 6 et 7 août 2014, des dizaines de milliers d’habitants de la plaine de Ninive seront eux aussi forcés de prendre le chemin de l’exode. En somme, Mossoul aura été pour ces chrétiens du nord de l’Irak le premier acte d’une immense tragédie qui allait durer près de trois ans.
Pour les chrétiens? Pas seulement, relève le jeune homme. Car beaucoup, parmi les musulmans, ont subi la folie des hommes d’al-Baghdadi, le calife à la tête du pseudo État islamique. Ses amis, restés à Mossoul, ont pu lui raconter comment était la vie sous le joug de la charia. «Ils parlent de cette période comme la pire de leur vie», souligne le chrétien. «Ils ne pouvaient rien faire», poursuit-il, rapportant par exemple que certains furent fouettés pour avoir fumé une simple cigarette.
Le chômage et la misère
Si Amnar peut parler de cette sombre période sans tabou avec ses amis mossouliotes, c’est parce que lui et sa famille ont fait le choix de rentrer une fois la ville reprise. Cette décision, qui peut sembler surprenante, fut cependant rationnelle. «Au Kurdistan irakien, nous devions payer un loyer alors qu’ici nous avons notre maison. On a attendu que ce soit sécurisé puis on est rentré», raconte-t-il, comme une évidence.
De retour, le jeune homme retrouve une ville ravagée par la guerre et dans laquelle le travail manque. «Au début, j’ai travaillé un peu dans un centre commercial mais j’étais très mal payé», se souvient-il. À Mossoul, pour 12 heures de travail quotidien, le salaire mensuel peut ne pas dépasser 200 dollars, selon lui.
Outre le chômage ou bien les salaires de misère, la ville souffre cruellement du manque d’équipements essentiels. Eau, électricité, hôpitaux, toutes ces infrastructures élémentaires font défaut. Au-delà de la question légitime de la sécurité, on comprend mieux dès lors pourquoi aussi peu de chrétiens retournent dans la ville.
À Mossoul, 40 fidèles à la messe dominicale
Après des mois difficiles, le jeune homme trouve finalement un poste de régisseur à la paroisse d’al Bishara. Elle est l’unique église à avoir rouvert ses portes à Mossoul, sur la volonté du Père Emmanuel qui y vit désormais. Dévastée et profanée par Daech – comme toutes les églises de la ville –, l’église syriaque catholique a été entièrement refaite, grâce au financement notamment de l’Œuvre d’Orient.
«Environ 40 chrétiens viennent ici chaque dimanche à la messe», confie Amnar. Le nombre de fidèles pourrait-il augmenter? «L’année prochaine, nous pourrions aussi bien être 80 que 0», répond-il avant de lâcher: «c’est le problème de l’Irak: on ne sait jamais ce que demain nous réserve».
Cependant, il assure que depuis la libération de la ville, la sécurité est bonne et que les anciens chrétiens de Mossoul pourraient revenir. «Ceux qui restent vivre dans la plaine de Ninive ont peur car ils ne sont pas venus voir la situation», juge-t-il, sans pour autant vouloir les blâmer. Les violentes attaques contre les chrétiens de Mossoul apparues à partir des années 2000 hantent encore les mémoires.
À l’époque, les enlèvements et attentats se multiplient à l’encontre de la minorité. En 2008, l’archevêque chaldéen de Mossoul est retrouvé assassiné. Cette même année, l’oncle d’Amnar est kidnappé. Il ne s’en sortira indemne que grâce au versement d’une rançon d’environ 40’000 dollars.
Des colombes dans le ciel de l’ancienne capitale de Daech
Le régisseur de la paroisse mesure aussi le risque que cela peut représenter pour une famille de revenir à Mossoul: celui de devoir encore tout perdre le jour où un nouveau vent d’extrémisme embrasera la seconde ville d’Irak. D’ailleurs, Amnar l’avoue: s’il avait le choix de partir à l’étranger, il le ferait. Des membres de sa famille se sont réfugiés en Occident après 2014. Mais obtenir le précieux visa nécessiterait pour lui de passer par la Jordanie et, de là, espérer durant des mois le sésame sans pouvoir travailler. Cela, il ne peut se le permettre.
En attendant que son avenir s’éclaircisse, le jeune chrétien aura la joie dimanche prochain de se retrouver non loin du pape François sur la place des quatre églises de Mossoul. Là, le Souverain pontife livrera une prière pour toutes les victimes des guerres avant que des colombes ne soient lâchées.
Des colombes dans le ciel de l’ancienne capitale de Daech, un successeur de Pierre au cœur de Mossoul, le jeune homme avait vu juste: en Irak, «on ne sait jamais ce que demain nous réserve». (cath.ch/imedia/hl/bh)