Irak: quand Qaraqosh se prépare à accueillir le pape François
Qaraqosh, la grande ville syriaque catholique de la plaine de Ninive, s’apprête à recevoir le pape François en grande pompe. Moins de cinq ans après sa libération, cet événement historique marque une renaissance. Reportage.
Par Hugues Lefèvre/I.Média
Le dernier check-point pour atteindre Qaraqosh est franchi sans encombre. Sur la route principale qui traverse la ville chrétienne, c’est encore le chantier et la cohue. Au milieu des voitures qui avancent au pas, des ouvriers s’activent pour nettoyer le bitume de la grande rue – une machine dégageant d’abondantes vapeurs de gazole doit venir tracer les bandes de la chaussée.
Un peu plus loin, après avoir slalomé entre les dizaines de pick-up des forces militaires déployées en masse – plus de 500 hommes dans la ville –, une autre équipe s’occupe de terminer la rue qu’empruntera le pontife argentin. Ici et là, le béton coule à flot pour boucher les derniers trous. Sur une partie de la chaussée encore fraîche, on plaque de grands calques qui, une fois retirés, laissent la route semblable à une rue pavée…
Si le sol fait l’objet de toutes les attentions, le ciel n’est pas en reste. Depuis l’entrée de Qaraqosh, sur chacun des lampadaires qui s’alignent à perte de vue, des drapeaux aux couleurs de l’Irak et du Vatican flottent au vent. Un détachement des 200 bénévoles investis dans les préparatifs a par ailleurs accroché de grandes affiches où l’on peut voir le pape François tout sourire et lire des slogans percutant en anglais ou en arabe. «God’s forgiveness is stronger than any sin” : la miséricorde de Dieu est plus forte que tous les péchés, lit-on par exemple sur l’un d’entre eux.
Encore quelques pas dans la poussière, les bruits des moteurs et les odeurs d’essence et nous voilà devant la fameuse cathédrale syriaque catholique. Brûlée par Daech, elle a retrouvé des couleurs. Le blanc immaculé de son plafond et les marbres resplendissants de ses colonnes tranchent avec le désolant spectacle que les premiers qaraqoshiens ont découvert fin 2016. «Nous avons fait l’expérience de la mort et du retour à la vie», résume le père Francis, jeune prêtre syriaque catholique ordonné.
Se souvenir de l’horreur
Dans la cour de la cathédrale, un cortège impressionnant de militaires casqués et armés escorte le maire du village qui accompagne un officiel. Au même endroit, il y a sept ans, les hommes de l’État islamique avaient fait de ce lieu sacré un stand de tirs. Les murs, retrouvés criblés d’impacts de balles, ont aujourd’hui été restaurés. Mais les autorités religieuses ont souhaité laisser tout un pan du cloître en l’état, comme pour garder en mémoire les traces de la barbarie subie.
Cette haine des chrétiens manifestée avec tant d’ardeur par les islamistes, le pape François aura l’occasion de la saisir. Juste avant d’entrer dans la cathédrale, il devrait pouvoir avoir le temps d’observer un certain nombre d’objets religieux profanés par Daech, comme cette statue de saint Joseph défiguré, cette grande croix démembrée ou bien encore ces bas-reliefs burinés. Plus tard, dans l’église, il pourra aussi entendre le témoignage glaçant d’une mère de famille dont l’enfant est mort le jour de la fuite de tous les chrétiens de la ville, début août 2014.
30’000 à 40’000 personnes pourraient se masser autour du convoi papal
Des 50’000 habitants qui ont quitté en hâte Qaraqosh, la moitié est revenue. Ici, le travail manque cruellement et l’animation d’antan rend certains nostalgiques. «Il y a moins d’enfants qui courent dans les rues», se chagrine Élisabeth, une femme partie se réfugier durant deux ans dans un petit village à la frontière turque. Mais c’est pourtant la jeunesse, symbole de la renaissance de la ville, que le clergé de Qaraqosh a choisi de mettre en valeur devant le pape.
Dimanche, aux premiers rangs de la cathédrale Al-Tahira, devraient s’assoir 50 enfants. D’autres jeunes, dont certains sont handicapés, seront présents sur le parvis pour tendre au chef de l’Église catholique des fleurs. «Nous voulons montrer au pape la vitalité de notre jeunesse», s’exclame le Père Amar, sur le pont depuis la nouvelle de l’arrivée du pape dans sa ville. Est-il impatient? «Il faut attendre encore une semaine, mais cela fait en réalité vingt ans que nous l’attendons!», sourit-il, faisant allusion au voyage finalement annulé de Jean Paul II en l’an 2000.
De la vie et de la ferveur dont le pape sera témoin, puisque certains estiment à 30’000 à 40.000 le nombre de personnes qui pourraient se masser autour du convoi papal – inutile de préciser qu’une propagation du Covid-19 ne semble pas ici effrayer grand-monde.
Le «saint siège» est fin prêt
Dans la cathédrale dont le sol avait été retrouvé jonché de douilles, mille détails sont encore à régler. Mais le Père Amar n’est pas inquiet. «Lorsque nous avons commencé la rénovation de l’église en 2019, les architectes nous disaient qu’elle serait restaurée en mai 2021. L’annonce de la venue du pape en décembre dernier a accéléré les choses», glisse-t-il.
En parlant d’ardeur à la tâche, à trois kilomètres de là, dans le village de Karamless, quatre artisans s’activent encore autour d’un élément qui est loin d’être négligeable: le «saint siège» sur lequel s’assiéra le pape François. «Nous avons mis une vingtaine de jours à le réaliser ainsi que deux autres sur lesquels s’assiéront deux autres éminences», explique Rodi, le manager, dans le grand atelier financé notamment par l’Œuvre d’Orient. Sur le trône papal, on vient de passer les dernières couches de vernis et un artisan finit de lustrer la croix qui surplombera l’ensemble.
Travailler sur cette œuvre ne fut pas un acte anodin, reconnaît Rodi, fier que son labeur participe à la réussite de cet événement historique pour l’Irak, un pays qu’il aime et qu’il veut aider à reconstruire malgré tout le mal enduré. «Les Irakiens sont des gens forts», avance-t-il sobrement, après une allusion à sa fuite dans la nuit du 6 au 7 août 2014 avec pour seules affaires les habits qu’il portait.
Cette résilience impressionne. Alors que le soir tombe sur la plaine de Ninive, les rues de Qaraqosh s’animent. En regardant les échoppes éclairées de mille feux, en sentant les odeurs d’épices ou de grillades, en observant ces gens qui semblent si ordinaires, qui pourrait imaginer qu’ils ont tous enduré le traumatisme d’un exil tragique? (cath.ch/imedia/hl/bh)