Vers la naissance de nouveaux ministères en Eglise?
La question des ministères agite l’Eglise depuis sa fondation. Face aux contingences de l’histoire, ces services ont beaucoup évolué. La situation contemporaine appelle de nouvelles réponses innovantes, chez les catholiques comme chez les protestants. Tel est le constat dressé lors du colloque universitaire en ligne consacré à ce sujet les 18 et 19 février 2021.
Malgré leurs divergences assez nettes dans la conception du ministère, les Eglises catholique et protestantes partagent beaucoup de questions communes a relevé, l’abbé François-Xavier Amherdt en ouverture du colloque oecuménique organisé par les facultés de théologie de Fribourg, Lausanne et Genève.
La principale question reste le rapport entre le sacerdoce commun de tous les fidèles et le ministère consacré. Un thème que la crise des abus de pouvoir, de conscience ou sexuels, presque toujours liés à un exercice dévoyé du ministère, a exacerbé. La place de la femme dans l’Eglise est aussi étroitement liée à ce débat.
Se poser les vraies questions
Luc Forestier, professeur à l’Institut catholique de Paris, invite à se poser les ‘vraies’ questions. Il relève d’abord que la réflexion sur les ministères découle de la pratique et non l’inverse. Au regard des recherches historiques, on s’aperçoit de la «fragilité de la nouveauté chrétienne face aux pressions de l’histoire». Il plaide donc pour une vision ‘politique’ du ministère considéré comme une responsabilité publique reconnue dans l’Eglise.
«Qui peut représenter le Christ? Et qui peut représenter légitimement l’Eglise?»
Dès les origines, le débat porte sur deux questions: qui peut représenter le Christ? Et qui peut représenter légitimement l’Eglise? Ces questions se posent aux divers niveaux, local (la paroisse), régional (le diocèse) mondial (l’Eglise universelle).
L’Eglise catholique utilise deux formes de représentation: l’incarnation de l’évêque dans l’Eglise diocésaine et la délégation dans les conférences épiscopales, les synodes etc. Le tout basé sur le maillage territorial.
Comment concilier baptême et géographie
Mais aujourd’hui ce modèle est mis à mal par la mondialisation et le développement de nombreux réseaux parallèles. La socialisation des catholiques passe par d’autres canaux, comme les mouvements, les monastères, les congrégations religieuses, les instituts de formation etc. L’articulation entre baptême et géographie devient difficile à maintenir. Dans ce système complexe, la nécessité d’un arbitrage s’impose. Il passe souvent par des institutions synodales.
Luc Forestier y ajoute deux thématiques plus récentes. Les relations hommes-femmes et la place des femmes dans l’Eglise sont devenues des questions de premier plan. Moins visible au premier regard, la crise écologique et la place de l’homme dans le monde créé sont un appel fort vers plus de synodalité.
Face à ces mutations, l’Eglise doit éviter le piège de tomber dans une mentalité de forteresse assiégée, mais aussi celui de l’Eglise d’Etat.
L’autorité du pape
La particularité de l’Eglise catholique dans ce contexte est évidemment le rôle du pape. Luc Forestier voit une certaine ambivalence dans l’attitude du pape François entre décentralisation et verticalité. Le pape insiste souvent sur la collégialité et la synodalité qui consistent à marcher ensemble vers un but commun. Mais en même temps, il n’hésite pas à procéder à des ‘recadrages’ rappelant la primauté romaine «cum Petro et sub Petro» (avec Pierre et sous l’autorité de Pierre).
«Le lien entre ministère et sacerdoce reste fortement marqué par la perspective du Concile de Trente»
Pour le théologien, le lien entre ministère et sacerdoce reste fortement marqué par la perspective du Concile de Trente après la Réforme protestante du XVIe siècle. Le sacerdoce est alors centré sur la présidence de l’eucharistie et le sacrement du pardon. L’insistance sur le sacerdoce de Jean Paul II et Benoît XVI persiste avec le pape François. Dans son exhortation apostolique Querida Amazonia (2020), il n’entre pas en matière sur une redéfinition du ministère.
Mais dans son très récent motu proprio de janvier 2021, Spiritus domini, le pape François fait plus qu’ouvrir une petite porte aux femmes. En repensant le ministère à partir du baptême et des charismes, il relativise quelque peu le sacerdoce. Une autre question non moins difficile est celle de la distinction entre le ministère reçu et la personne du ministre.
Le débat est loin d’être clos. Pour Luc Forestier nombre de questions sont ouvertes: les critères pour les ministères laïcs, la configuration d’un ministère mondial, la régulation du ministère épiscopal, le rôle du collège des évêques ou encore le dispositif pour le diaconat.
L’apôtre Paul entretient le flou
Face à cette complexité, Jérôme Cottin, professeur à la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg se félicite en plaisantant de ne pas être catholique. Il met d’emblée en garde contre deux tentations inverses: celle de considérer que les ministères ne sont plus adaptés à la situation actuelle et qu’ils peuvent disparaître et celle de considérer qu’il sont immuables et n’ont pas à être adaptés.
«L’Esprit se manifeste en chacun de manière particulière pour le bien de tous»
Reprenant les fondamentaux, il remarque que le Nouveau Testament ne connaît pas le mot ministère mais utilise quasi exclusivement celui de service. L’apôtre Paul donne plusieurs listes, pas toujours concordantes, de ces services. Au-delà du schéma épiscopes (surveillants)-presbytres (anciens)-diacres (serviteurs) sur lequel l’Eglise a développé au IIe et IIIe siècle sa hiérarchie, évêque – prêtre- dicare, Paul présente d’autres services, comme les prophètes, les apôtres, les enseignants, les évangélistes, les bergers, sans qu’il soit possible de déterminer précisément les tâches de chacun.
Paul, qui se qualifie lui-même d’apôtre, ne fait pas non plus de vraie différence entre les services et les charismes ou les dons. Il évoque à plusieurs reprises les dons reçus de l’Esprit Saint, mais là encore sans expliciter les tâches. Pour Jérôme Cottin, on ne peut pas ainsi déterminer de hiérarchie entre ces services. Tous les dons ne sont pas néanmoins des services. Il en est ainsi par exemple du célibat. Paul parle davantage de la communauté et de sa responsabilité collective dans l’annonce de la Parole de Dieu. L’Esprit se manifeste en chacun de manière particulière pour le bien de tous.
Dernier point important pour Jérôme Cottin, la présence significative des femmes dans ces multiples services, assez souvent associées à leurs maris.
La Réforme abolit la séparation clercs-laïcs
En redécouvrant le sacerdoce universel de tous les fidèles, les réformateurs abolissent la distinction entre les laïcs et les clercs. Mais rapidement, ils doivent reconnaître la nécessité d’encadrer cette découverte. Tous les croyants ont la même dignité, mais tous n’ont pas la même fonction. Il s’agira alors pour la communauté de se choisir des pasteurs porteurs d’un ministère particulier, essentiellement celui de la prédication de la Parole divine.
«Chez les protestants le ministère n’a pas de caractère permanent»
Autre nouveauté plus fondamentale, le ministère n’a plus de caractère permanent. Il peut ainsi être porté pour un temps par des hommes mariés. Martin Bucer à Strasbourg, suivi par Calvin à Genève, instaurera quatre ministères: les docteurs, les pasteurs, les diacres et les anciens. Cette approche protestante invite aujourd’hui à la créativité à partir de listes non-closes, conclut Jérôme Cottin.
Un changement d’époque
Pour Alphonse Borras, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, en Belgique, nous vivons un changement d’époque et non pas un époque de changements. Il compare l’avènement de ‘nouveaux’ ministères à un accouchement avec ses trois phases: La dilatation, l’expulsion et la délivrance.
«La ‘condition sexuée’ de la personne est un obstacle majeur à l’évolution des ministères»
Dans l’Eglise catholique, la pluralité des ministères a été rabotée par la prédominance du ministère sacerdotal. Le poids des représentations mentales et sociales de la paroisse et du prêtre reste dominant. Le prêtre est toujours compris comme le ministre par excellence. Il est le médiateur sacré et son célibat a un caractère sacrificiel. Tout se focalise autour du culte et de la présidence de l’eucharistie. Depuis le Moyen-Age, son pouvoir d’ordre (potestas) s’est peu à peu élargi à un pouvoir d’administration et de juridiction.
Un accouchement difficile
Le Concile Vatican II constitue la phase de dilatation. L’Eglise redécouvre son rôle au service du monde. Dans la foulée, elle rétablit le diaconat permanent et les ministères laïcs du lectorat et de l’acolytat (réservé aux hommes).
Dans la phase d’expulsion actuelle, face à ces évolutions positives, Alphonse Borras voit un obstacle majeur qui est la ‘condition sexuée’ de la personne. C’est autour de cela que se joue l’abolition du célibat pour les prêtres de rite latin, l’ordination sacerdotale d’hommes mariés (viri probati) et bien sûr l’accès des femmes au diaconat et au sacerdoce.
La délivrance prendra encore un certain temps, admet Alphonse Borras. Mais avec le récent motu proprio du pape François Spiritus Domini le sanctuaire est ouvert. (cath.ch/mp)