Le dominicain Olivier Poquillon
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Olivier Poquillon: «Le pape en Irak, une visite de compassion»

À trois semaines du voyage du pape en Irak, du 5 au 8 mars 2021, le frère Olivier Poquillon, dominicain de Mossoul, rend compte de l’atmosphère qui règne dans la région. Tant du point de vue sécuritaire que sanitaire, la situation reste incertaine, mais «l’Église sait s’adapter aux circonstances, et ce depuis 2000 ans».

Par Hugue Lefebvre/I.Média

Malgré les rumeurs récentes d’annulation du voyage pontifical en Irak, rapidement démenties par le Saint-Siège, et l’attentat à la roquette, le 15 février 2021, qui a secoué Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, les préparatifs de la visite se poursuivent sur place. Le gouvernement irakien a pris des mesures pour lutter contre la pandémie, qui entrent en vigueur dès le 18 février et jusqu’au 8 mars.
Le frère Olivier Poquillon, qui supervise la restauration du couvent Notre-Dame de l’Heure des Dominicains à Mossoul, rend compte de l’atmosphère qui règne dans la région à quelques jours de ce voyage historique.

Entre la multiplication du nombre de cas de Covid-19 en Irak et les tirs de roquettes sur Erbil le 15 février, le voyage du pape en Irak est-il menacé?
Olivir Poquillon: À Erbil, le bombardement a marqué les esprits puisque nous n’en avions pas vécu depuis un an environ. Des roquettes sont tombées sur une base militaire mais aussi sur la ville, dans un environnement d’ordinaire animé. Les populations sont évidemment marquées, d’autant plus que la Région autonome du Kurdistan est une région où beaucoup d’Irakiens se sont repliés ces dernières années pour vivre en sécurité et où se trouvent bon nombre d’expatriés. L’attaque a un impact psychologique fort, mais la vie reprend, l’aéroport d’Erbil a rapidement rouvert ses portes.

On peut se poser la question de savoir si, en plus de la crise du Covid-19, le risque d’un voyage du pape dans les prochains jours est trop important. Je pense que s’il y avait un événement majeur en terme d’insécurité qui mettrait les gens en danger ou bien un épisode fulgurant de Covid-19, des décisions pourraient être prises. Mais, en tous cas, ici, les préparatifs s’accélèrent et tout le monde s’active pour accueillir le Saint-Père.

La multiplication du nombre de cas de Covid-19 en Irak inquiète-t-elle?
Le gouvernement fédéral irakien vient de prendre une série de mesures pour contenir l’épidémie. Du vendredi au dimanche, le couvre-feu sera total* et il sera partiel les autres nuits de la semaine. La venue du pape va coïncider avec cette période de fermeture dans le pays.

Concernant la visite, la première préoccupation est bien celle du Covid-19 – beaucoup plus que la sécurité en elle-même. Les contaminations augmentent mais il faut noter que le nombre de décès est moins important en Irak que dans d’autres pays. Cela est peut-être dû au fait que la population est très jeune. En effet, 40% de la population a moins de 14 ans, et seulement 3,5% a plus de 65 ans.

Avec la pandémie, le pape inaugure-t-il un nouveau type de voyage, peut-être plus «intimiste» que les précédents?
Ce voyage en Irak est la preuve que l’Église sait s’adapter aux circonstances, et ce depuis 2000 ans. Bien évidemment, le pape aurait bien aimé serrer des mains, aller voir les Irakiens, sortir des cortèges… Avec les nouvelles réalités qui nous entourent ici, ce voyage sera sans doute plus discipliné que d’ordinaire. Mais cela n’empêchera pas la rencontre entre les Irakiens et le pape, entre Dieu et les hommes.

«En Orient, quand on veut honorer les gens, on ne les invite pas chez soi mais on va à leur rencontre. C’est exactement ce que le pape veut faire.»

Cela montre aussi la grande volonté du pontife de fouler enfin le sol irakien…
Depuis longtemps, le Saint-Père porte ce grand désir, cette volonté qu’animait déjà Jean Paul II en 2000. Le contexte est particulier, certes, mais rappelons que si le pape vient en Irak, c’est bien parce que le pays souffre. Il vient dans une région fragilisée par des années de guerre. Vous savez, en Orient, quand on veut honorer les gens, on ne les invite pas chez soi mais on va à leur rencontre. C’est exactement ce que le pape veut faire: venir visiter les membres souffrants de sa famille. C’est une visite de compassion. À Mossoul notamment, cette dimension sera très forte à l’occasion d’une prière pour les victimes des violences et pour la paix.

La dimension de la fraternité sera omniprésente?
C’est le thème de ce voyage. Il s’inscrit dans le sillage de la visite aux Émirats arabes unis, et de la fameuse déclaration sur la fraternité humaine signée par le pape et le grand imam d’Al-Azhar. Il s’inscrit également dans le sillage du voyage en Egypte en 2017 et puis de celui au Maroc en 2019. À chaque fois, le Saint-Père appelle à sortir des logiques d’affrontements, souvent binaires, pour se reconnaître frères. Il appelle à sortir d’une logique de minorités pour aller vers la pleine citoyenneté. Ce n’est qu’ainsi que tous les habitants pourront apporter leur pleine contribution au bien commun.  

Ce voyage du pape s’adresse donc à tous, pas uniquement aux chrétiens. Comme un symbole, il commencera à Ur, en Chaldée, la terre d’origine d’Abraham, le Père des croyants. Il se terminera dans la plaine de Ninive, du nom de la ville vers laquelle Jonas avait été envoyé par Dieu pour prêcher la conversion et le Salut offert à tous. (cath.ch/imedia/hl/bh)

*Le 14 février 2021, le gouvernement irakien a édicté un certain nombre de mesures sanitaires. Parmi les nombreuses règles qui entrent en vigueur dès le 18 février : un confinement les vendredis, samedis et dimanches et un couvre-feu de 20.00 à 05h00 les autres jours de la semaine, jusqu’au 8 mars 2021, date du dernier jour de la visite du pape François en Irak. Les mosquées et les autres lieux de culte sont fermés.

Le dominicain Olivier Poquillon
17 février 2021 | 13:45
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 4  min.
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