Les enjeux de la nomination de Nathalie Becquart au sein du Synode
Première femme nommée, le 6 février 2021, au poste de sous-secrétaire du Synode des évêques, Nathalie Becquart une «femme de terrain» et «déterminée». Pour plusieurs observateurs, cette nomination ‘historique’ en appelle à d’autres et s’inscrit dans une démarche initiée par le pape François depuis le début de son pontificat. Décryptage.
S’il est un homme qui connaît bien Nathalie Becquart, c’est le Père Thierry Anne. En 2000, ce jésuite embarque pour dix jours de navigation aux côtés de la Xavière. Le prêtre et la religieuse-skipper rejoignent alors avec plusieurs jeunes la ville de Rome qui s’apprête à accueillir les Journées mondiales de la jeunesse. Ce souvenir marquant, sceau de leur amitié, les conduira à organiser bon nombre d’activités autour de la voile et notamment à monter une équipe pour participer à la course croisière Edhec.
Lorsque la religieuse est nommée comme aumônier du diocèse de Créteil et que le prêtre hérite de l’aumônerie de Science Po Paris, ils décident étonnement d’organiser un partenariat entre ces deux aumôneries aux profils radicalement opposés. Une expérience «rafraichissante» qui aboutit notamment à la tenue de rencontres interreligieuses, raconte-t-il.
Que ce soit au travers de la voile ou au sein de son activité d’aumônier, Nathalie Becquart a le talent de tirer parti de «ce qui existe déjà» et de «le développer grâce à une qualité de concertation et de travail en équipe», confie le Père Anne. La richesse des expériences qu’elle a accumulées auprès des jeunes ou en côtoyant les évêques de France en fait sans aucun doute une femme qui «connaît vraiment bien le terrain», bien loin des «rouages» du Vatican, poursuit ce jésuite.
Un avis largement partagé par le Père Vincent Breynaert, responsable de la pastorale des jeunes et de la pastorale des vocations, qui lui a succédé à l’été 2018: «c’est une femme de terrain, passionnée par ce qu’elle fait».
Telle une sportive de haut niveau
Le prêtre membre de la communauté du Chemin neuf voit en Nathalie Becquart «une bosseuse, déterminée à mettre en œuvre les projets qu’elle porte». Telle «une sportive de haut niveau, elle sait déployer son énergie au long court», décrit-il. Son travail acharné est notamment visible au travers de certains projets qu’elle a su porter avec ferveur, à l’instar de l’organisation du rassemblement Ecclesia Campus.
Alors que jusqu’à présent les réunions mêlant étudiants d’écoles de commerce et étudiants d’universités n’avaient pas rencontré le succès escompté, la Française qui croît en la vertu de la mixité ne baisse pas les bras. Elle fait émerger cette rencontre, qui est devenue aujourd’hui une référence dans le milieu catholique étudiant. «Nathalie a vraiment beaucoup travaillé sur ce projet et c’est un succès», reconnaît le Père Anne.
Les deux prêtres mettent également en lumière le caractère déterminé de cette navigatrice «de sang breton», un tempérament qui lui a permis de s’affirmer au sein d’une Église où les responsabilités sont largement tenues par des hommes. Il faut en effet rappeler qu’elle fut la première femme à diriger le service national pour l’évangélisation des jeunes et des vocations de la CEF, rappelle le Père Anne.
Elle fut également désignée coordinatrice du pré-synode des jeunes et auditrice à ce même synode en 2018. «C’est une femme de caractère, qui sait ce qu’elle veut», résume le Père Breynaert. Le Père Anne souligne positivement son «autorité argumentée» nourrie par sa grande «compétence». La religieuse diplômée d’HEC, bilingue en anglais et rompue aux relations avec les évêques a en effet de bons atouts pour tenir la barre du Synode.
Une nomination historique mais attendue
Cette nomination «reste historique parce que jusqu’à présent, aucune femme n’avait accédé à ce poste (…) et que c’est la première fois qu’une femme pourra voter à l’issue des synodes», résume Bénédicte Lutaud, auteure de Femmes de papes (Le Cerf, 2021). D’une certaine manière, «on pouvait s’y attendre car cela s’inscrit dans la politique du pape François».
Depuis le début de son pontificat, l’évêque de Rome a cherché à faire plus de place aux femmes jusqu’à amorcer un vrai «tournant» en 2016, observe la journaliste, avec des nominations clés comme celles de Paloma Garcia Ovejero en tant que vice directrice du Bureau de presse du Saint-Siège, Barbara Jatta en tant que directrice des Musées du Vatican ou encore Gabriella Gambino et Linda Ghisoni, nommées sous-secrétaires du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie en 2017.
Régulièrement, des femmes intègrent des organes du Vatican à l’instar de ces six femmes qui ont rejoint le Conseil de l’Économie à l’été 2020. Depuis, des femmes sont régulièrement intégrées dans des organes importants du Vatican.
Concernant le droit de vote dont Nathalie Becquart est la première à jouir, Bénédicte Lutaud rappelle que le débat avait été soulevé par un religieux, le frère Hervé Jeanson, prieur des Petits Frères de Jésus, qui durant le synode des jeunes, avait fait part de son «malaise».
Alors que lui-même avait le titre de Père synodal (et donc le droit de vote) sans pour autant être ordonné, il s’était questionné sur la raison pour laquelle les religieuses n’avaient pas voix au chapitre. «Je ne m’étonne pas (…) qu’il y ait des avancées [sur ce point] car on sent bien justement qu’il y a débat», analyse Romilda Ferrauto, ancienne rédactrice en chef de l’édition française de Radio Vatican.
Des femmes dans le processus de décision
«Les femmes ont toujours été présentes dans l’histoire de l’Église, tient a rappeler cette franco-italienne, mais on voit au fil de ces nominations qui se succèdent et notamment à travers celle de Nathalie Becquart une vraie volonté du pape de les associer aux processus de décisions», remarque-t-elle.
Le Père Anne perçoit également cet état de fait: «les femmes ont des postes à responsabilité dans l’Église et notamment en France», souligne-t-il, mais il faut reconnaître que leur «visibilité au sein de la hiérarchie vaticane» était jusqu’à présent réduite. Ce qui change progressivement selon lui, c’est «la place symbolique de la femme dans les lieux de décisions».
À en croire le jésuite, «la nomination de Nathalie Becquart ne sera sans doute pas la dernière» et «le pape François prépare d’autres nominations», assure-t-il. Cette décision «n’est pas un simple effet d’annonce; je ne crois pas que le pape François pose des actes qui feraient faire à l’Église l’économie d’une conversion», analyse le Père Breynaert. Il poursuit: «C’est un geste fort qui en appelle d’autres, à tous les niveaux de l’Église».
«J’estime aussi que la nomination de Nathalie Becquart a une signification qui va au-delà de la place des femmes dans l’Église et concerne la place des baptisés», ajoute encore Romilda Ferrauto pour qui «le processus synodal est la meilleure manière de lutter contre le cléricalisme que le pape François dénonce».
Un propos qui rejoint celui de Bénédicte Lutaud: l’Église est en train de vivre un «mouvement de fond» valorisant l’ensemble de ses membres, considère-t-elle. Précédemment verticale, elle tend à une forme «d’horizontalité» voulue par le pontife argentin. À l’approche du prochain Synode sur la synodalité qui se tiendra en 2022, le pontife vient mettre un coup de projecteur sur le processus synodal. (cath.ch/imedia/hl/cg/gr)