Des «Pestkreuz» pour prier en temps de pandémie
Daniel et Valérie Pittet expédient des «Pestkreuz», des «croix de peste», un peu partout en Suisse. Une action qui concrétise l’idée d’un ami prêtre qui, en ces temps de pandémie, veut privilégier la prière avec une croix au creux de la main plutôt que de se lamenter. Ces croix, fabriquées en Terre Sainte, permettent à des familles chrétiennes de vivre d’un travail plutôt que de l’aide alimentaire d’urgence.
Cartons empilés, caisses, boîtes d’étiquettes, piles de sachets, le salon a pris des allures d’atelier. Valérie, la femme de Daniel Pittet, prépare les croix en bois d’olivier pour l’expédition. Chacune sera emballée dans un sachet avec une petite carte sur laquelle est gravée une prière. Sans oublier l’étiquette qui permet d’en commander par mail ou de faire un don.
«Ce sont comme des ‘Pestkreuz’», lance Daniel Pittet, attablé devant un monceau de ces croix. L’idée de ces «croix de peste» – une tradition typiquement germanique* – lui a été soufflée par le Père Benoît-Marie, aumônier des sœurs au monastère de la Fille-Dieu. Après une discussion avec un confrère et une assistante pastorale, affligés par tous les témoignages attristés qu’ils reçoivent des fidèles, le Père Benoît-Marie a pensé, plutôt que de se lamenter, à la prière.
Un mouvement missionnaire
Et quoi de mieux que de se recueillir avec une croix au creux de la main, bon support matériel à la prière? «Pas seulement, ajoute le prêtre, c’est un objet que les fidèles peuvent transmettre et ainsi contribuer à créer un mouvement missionnaire». Problème: où trouver les centaines de croix pour concrétiser l’idée qui vient de germer?
Lorsqu’il appelle Daniel Pittet pour un conseil, l’aumônier a encore en tête le million et demi de chapelets en bois d’olivier que Mgr Peter Bürcher, l’administrateur apostolique de Coire, a fait fabriquer et acheminer aux JMJ de Panama, en 2019, suite à la demande de l’auteur de Mon Père je vous pardonne.
40’000 croix commandées
C’était en novembre, l’année passée. «Depuis, nous avons reçu 40’000 croix et je passe la cinquième commande lundi à Caritas Jérusalem», indique Valérie Pittet. Ces 10’000 croix supplémentaires ne seront pas de trop. Les commandes et les dons affluent de partout, principalement des paroisses alémaniques. Les Pittet ont aussi reçu des mails du Tessin. «Une paroisse du Jura a opté pour une cinquantaine d’artefacts pour les confirmands et leur parrain et marraine, de sorte qu’ils sont reliés par cette petite croix en bois», précise Valérie.
Mgr Alain de Raemy, évêque des jeunes, en a commandé pour les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) nationales de Fribourg. «Je regarde avec Alain pour les envoyer chez chacun des participants, étant donné que ces JMJ sont organisées en ligne», ajoute la cheville ouvrière du projet. Des secteurs et des Unités pastorales (UP) passent de la publicité dans leur bulletin paroissial, des catéchistes en veulent pour leurs groupes. L’évêché de Fribourg a fait un don.
Un élan de solidarité se manifeste également dans le voisinage. «Les amis et les voisins nous donnent des cartons pour les envois. Nous avons aussi reçu du papier. Des étiquettes autocollantes, conservées de longue date, permettent d’indiquer les coordonnées pour commander des croix. Nous recyclons», explique Valérie.
Elle a étudié les tarifs postaux pour expédier les croix à moindre frais, en jouant sur la dimension des enveloppes et le poids des croix. Elle arrive à 1,80 francs par pli – au lieu de 7 francs – en rangeant astucieusement les croix dans l’enveloppe. Le couple ne gagne pas d’argent sur l’opération. A 5 francs la croix, tout est compris. Ils ne comptent plus les aller-retours à la poste.
«O crux ave»
Les premiers exemplaires ont été gravés des mots latins «O crux ave», le début d’un des vers de l’hymne du temps de la Passion («O croix très sainte, notre unique espérance nous te saluons»). «Le latin permettait de passer au-delà des trois langues nationales», explique Daniel Pittet. La Père Benoît-Marie a rédigé la prière gravée au verso de la carte en plastique, beaucoup plus résistante que le papier envisagé au tout début de l’aventure. «O crux ave» est le nom que Daniel Pittet a donné à l’association qu’il a créée pour distribuer ses croix.
Les mots en latin n’ont pas été du goût de tous. «Aussi nous avons changé les inscriptions. «Bethléem» est maintenant gravé dans le bois. D’autres croix ont une flamme, allusion au feu de l’Esprit-Saint. Le sommet des croix est maintenant percé pour qu’on puisse y passer une ficelle et la passer autour du cou. «On améliore le produit au fil des suggestions que l’on nous fait», sourit Daniel. Pour Valérie, peu importe le mot ou le motif, pourvu que les femmes de Bethléem puissent le graver à la main. «Car elles ne savent pas travailler sur des machines».
Des croix produites en Terres Sainte
Source de prière et de recueillement en Suisse, les croix sont en effet source d’un travail et de revenus, donc de dignité, pour les chrétiens de Béthléem et des villes proches de Beit Sahour et de Beit Jala, en Terre Sainte. Sitôt le projet lancé, Daniel Pittet a contacté George Handal, directeur de Caritas Jérusalem (voir encadré). C’est là qu’ont été fabriquées les chapelets de Panama.
Le souvenir des JMJ panaméennes a d’ailleurs donné une idée à Daniel Pittet. Il songe au JMJ du Paortugal, renvoyées en 2023, pandémie oblige. «J’en ai parlé au pape. Il est d’accord!». Il lâche benoîtement qu’il faudra faire fabriquer 2 millions de croix à distribuer aux participants… Il a bien l’intention d’aller rencontrer le secrétaire général des JMJ portugaises pour lui proposer le projet. «C’est une idée, on verra. Mais j’y crois encore plus que pour le livre Aimer c’est tout donner». (cath.ch/bh)
*Au Moyen-Age, lors des grandes épidémies, on donnait aux fidèles de ces «croix de peste» ou «Pestkreuz», bénites pour demander à Dieu la fin du fléau.
Une région sinistrée
«Nous préférons donner du travail, donc un revenu et de la dignité à ces familles plutôt que de l’aide alimentaire», explique George Handal, le directeur de Caritas Jérusalem. Daniel Pittet lui a confié la gestion et le suivi de la fabrication des croix puis de la rémunération des artisans. «La pandémie, explique le directeur de l’œuvre d’entraide, affecte durement l’économie de toute la région. Le tourisme est au point mort et prive toute une population de revenus. Hôtels, restaurants, circuits touristiques et magasins de souvenirs, qui font travailler une grande partie de la population, sont fermés. La région est sinistrée».
La fabrication de ces croix permet ainsi à une quinzaine de familles chrétiennes – environ 90 personnes – des villes de Béthléem, Beit Sahour et Beit Jala, d’obtenir un revenu décent. BH