«La Saint-Valentin est l'occasion de mettre en valeur l'amour humain»
La foi a-t-elle quelque chose à gagner dans la Saint-Valentin? C’est ce que pense l’abbé Jean-René Fracheboud. Pour l’animateur spirituel du Foyer de Charité des Dents-du-Midi, à Bex (VD), l’amour romantique et l’amour divin font finalement bon ménage.
Des histoires d’amour, des magnifiques et des plus difficiles, l’abbé Fracheboud en a entendu par dizaines. Au Foyer de Charité des Dents-du-Midi, il a eu l’occasion d’accompagner de nombreux couples en quête de réajustement ou d’approfondissement de leurs relations. A l’occasion de la Saint-Valentin, le 14 février, le prêtre souligne quelle peut être la signification profonde de cette fête et comment la théologie chrétienne aborde les différentes formes d’amour.
Pour la Saint-Valentin, c’est surtout l’amour romantique, l’eros, qui est mis en avant. La société actuelle ne survalorise-t-elle pas ce type de relation?
Jean-René Fracheboud: Cette dimension ‘érotique’ de l’amour est certainement la plus instinctive chez l’être humain. Donc la plus directement «saisissable» par tous et la plus facilement «commercialisable». Nul doute que la culture contemporaine valorise cela. Le risque, c’est bien sûr d’en rester à ce niveau.
Pour autant, il y a aussi, dans nombre de fêtes considérées comme «profanes» et «commerciales», une dimension plus noble et plus élevée. Pour la Saint-Valentin c’est la rencontre avec l’autre, l’enchantement de l’amour, les attentions, la délicatesse, la tendresse envers son conjoint. La mise en valeur de la relation affective à l’occasion de la St-Valentin prend cette année un relief particulier, à cause de la pandémie qui nous force à l’isolement et à la distance.
La théologie chrétienne distingue plusieurs types d’amour. Quel sens leur donne-t-elle?
Elle en distingue généralement trois, sur la base des termes utilisés en grec; le Nouveau Testament s’inspire de la pensée et de la philosophie grecques. Il y a tout d’abord, comme il a été cité, eros, qui est une expression de l’amour charnel et concret. Il correspond à l’idée selon laquelle le corps est fait pour la rencontre de l’autre.
«Agapè est le sommet de la révélation»
Il y a ensuite philia, qui désigne un amour de type intellectuel, qui est œuvre de l’esprit, un amour d’ouverture à l’autre, de partage. Il porte aussi une dimension d’amitié, de fraternité.
Agapè, finalement, est utilisé pour désigner l’amour spécifique de Dieu, l’amour trinitaire, tel que le Christ nous l’a fait connaître en s’incarnant au milieu de nous. Les chrétiens sont appelés à aimer de cet amour-là, infini, indestructible, inconditionnel. En définitive, c’est le Christ qui est en nous.
En faisant ces distinctions, il faut toujours garder à l’esprit que nous sommes face à quelque chose qui nous dépasse et nous devons toujours garder une humilité.
Des dimensions de l’amour destinées à rester séparées?
Certainement pas. Il s’agit de trois réalités, de trois lectures de l’expérience d’aimer dans notre vie humaine, qui sont appelées à s’harmoniser, à s’unir. Et qui doivent nous amener à plus grand que nous. Agapè n’est pas quelque chose d’ajouté, il intègre complètement les trois autres dimensions, qui sont toutes des composantes de l’acte d’aimer. C’est leur accomplissement.
Agapè est en fait le seul terme grec que l’on retrouve dans le Nouveau Testament pour décrire l’amour. Cela dit-il quelque chose sur les fondements de la foi chrétienne?
Absolument. Agapè est le sommet de la révélation. C’est l’amour humain inspiré par l’amour même de Dieu. En grec, ce terme désigne la «manière d’être de Dieu». Ceci me rappelle une phrase de Maurice Zundel, qui dit: «Dieu n’a de prise sur son être qu’en se communiquant». Agapè est don de soi-même, l’expression la plus sublime de Dieu en nous. Mais il ne peut s’exprimer que par l’amour de nos sœurs et de nos frères humains. C’est le sens des deux directions de la Croix, le vertical qui n’existe pas sans l’horizontal.
Cette vision de l’amour a-t-elle évolué au sein de la théologie?
Bien sûr. Les approches théologiques ont toujours besoin d’une maturation intellectuelle et de foi. La théologie chrétienne a été influencée par la pensée grecque et spécialement platonicienne, qui marque une séparation entre le spirituel et le corporel. Cela a longtemps orienté la pensée chrétienne dans la diabolisation de la chair et de la sexualité.
«L’Eglise ne doit pas être extérieure à la réalité du monde»
Je pense que l’on a redécouvert récemment une approche plus «biblique», «sémitique», et unitive de la personne qui est à la fois chair et esprit. Une approche qui s’est notamment manifestée dans la «théologie du corps» de Jean Paul II.
Quels conseils donneriez-vous ainsi aux couples pour qu’ils vivent au mieux la Saint-Valentin?
Je leur dirais que cette fête est l’occasion de renouveler leur capacité d’émerveillement pour leur relation, pour l’autre. Le danger est toujours présent que l’amour soit réduit par les habitudes, la monotonie. Il faut des moments pour redécouvrir que l’autre est un cadeau, réveiller l’émerveillement. Et là, je citerais encore une fois Zundel: «Dieu c’est quand on s’émerveille».
L’Eglise est-elle pleinement consciente de cela?
Je dirais que c’est de plus en plus le cas. Je suis heureux de voir éclore dans les paroisses, depuis bien quelques années, des initiatives liées à la Saint-Valentin, des rencontres de couples, des conférences, des soupers… C’est une occasion pour mettre, dans une perspective de foi, l’amour humain en valeur. Et c’est très bien, car l’Eglise ne doit pas être extérieure à la réalité du monde. (cath.ch/rz)