Sœur Doris: «Je suis heureuse quand les gens aiment ma bière!»
Servir Dieu en fabriquant de la bière? C’est ce que fait depuis 45 ans Sœur Doris Engelhard du monastère franciscain de Mallersdorf, en Bavière. Dernière religieuse brasseuse en Europe, Sœur Doris est une véritable force de la nature qui dirige la production de 3’000 hectolitres de bière par an.
Avec quelques centaines de milliers de bouteilles par an, Mallersdorf n’est pas une grande brasserie. La bière approvisionne d’abord les quelques 500 sœurs de la congégation. Le solde est vendu sur place ou dans les commerces locaux.
Le brassage a lieu une fois par semaine, à raison de deux brassins de 38 hectolitres chacun. «Cela se passe toute l’année», relève Sœur Doris. Elle fait tourner l’établissement avec deux employées . Elles brassent, mettent la bière en bouteille sans pasteurisation et la vendent. Une rareté.
Les matières premières proviennent de la région. L’orge est cultivée par les Sœurs franciscaines dans leur propre ferme, le houblon vient de la région proche du Hallertau, l’eau est celle du réseau public de Mallersdorf.
Jusqu’en 1990, le monastère avait même sa propre malterie. Cela n’est plus possible. «Je ne suis pas une écolo, mais le climat a changé, il ne fait plus assez froid.» Pendant dix-huit semaines, il faudrait des températures inférieures à zéro degré dans la malterie. Nous ne pouvons plus le faire. Le travail est effectué dans une malterie à quelques kilomètres du monastère.
«Faire plaisir à Dieu, à mes soeurs et à nos clients»
«C’est beau de faire plaisir à Dieu, à mes sœurs et à nos clients», raconte Sœur Doris dans le journal du Vatican l’Osservatore romano. «Le lien entre la bière et les femmes, y compris les femmes d’Eglise, est très ancien.» La bière est née, probablement en Mésopotamie, d’un morceau de pain laissé à l’extérieur qui a pris de l’humidité et a commencé à fermenter. Le liquide qui en coulait avait des propriétés étonnantes.
La bière est une boisson très ancienne, peut-être même antérieure au vin. Dans l’épopée de Gilgamesh, écrite au deuxième millénaire avant J.-C., il est fait mention d’une boisson similaire à la bière fabriquée à partir de dattes et d’orge. Les chercheurs estiment que le début du développement de la culture humaine est étroitement lié à l’art de brasser de la bière.
La bière? une affaire de femmes
Pendant des milliers d’années, ce sont les femmes qui s’occupaient de la préparation de cette boisson. Jusqu’au Moyen Âge, la bière était presque exclusivement brassée par des mains féminines. «C’était la responsabilité de la mère de famille de pourvoir à sa subsistance, dont les boissons faisaient également partie. La bière était souvent brassée dans les boulangeries, car dans ces pièces chaudes, il y avait la poudre de levure circulant dans l’air, ce qui facilitait la fermentation. En Allemagne, on dit: «Aujourd’hui je fais du pain, demain je brasse». Pour brasser la bière, il faut une céréale avec un bon pourcentage d’amidon pour que la bière puisse fermenter, des ferments et quelques épices pour l’aromatiser.
Intarrissable, Sœur Doris poursuit: «Les Sumériens appelaient leur bière ‘kasch’. Le mot survit encore aujourd’hui dans le mot slave ‘kas’, qui signifie «soupe au pain».
En Allemagne au Moyen-âge, sainte Hildegarde de Bingen, déclarée docteur de l’Eglise par le pape Benoît XVI, a joué un rôle important pour le développement de la bière. Femme aux multiples talents, religieuse mais aussi botaniste, philosophe et poète, elle a découvert les propriétés du houblon, l’ingrédient qui a transformé la bière médiévale en la bière que nous buvons aujourd’hui.
Hildegarde de Bingen découvre le houblon
«Hildegarde était une femme intelligente et sage. Elle a eu le courage de dire aux hommes ce qui est sain. Elle n’avait certainement pas de problèmes d’émancipation!», relève malicieusement Sœur Doris.
Au Moyen-Âge, de nombreux monastères, surtout en Bavière et en Belgique, mais aussi en Italie, sont devenus producteurs de cette boisson trouble et nutritive. Pas exactement celle que l’on boit aujourd’hui, mais une version plus rudimentaire et plus épicée. La bière médiévale était de loin préférée à l’eau, souvent sale et malsaine.
L’abbaye de Mallersdorf a été fondée par les bénédictins de Bamberg en 1109. Comme ils étaient en principe autosuffisants, ils ont certainement commencé à brasser de la bière dès cette époque. Une bulle de 1432 permet aux Bénédictins de Mallersdorf de vendre de la bière en fûts.
Après une longue interruption, le brassage a été repris en 1881.»Je travaille moi-même dans la brasserie du monastère depuis 1966 et en suis responsable depuis 1975. Je suis un maître brasseur très ordinaire et j’essaie de brasser de la bonne bière», raconte sobrement Sœur Doris.
Une vocation puis une passion
L’histoire de Doris est une vocation devenue une passion. La cadette de sept frères et sœurs, qui a grandi à Herrieden en Moyenne Franconie, veut devenir religieuse dès son enfance. Elle fréquente d’abord le lycée et l’internat de Mallersdorf, avant d’entrer directement dans la congrégation. Ce n’est pas la bière qui l’intéresse au départ, mais l’agriculture.
Mais on lui demande de travailler à la brasserie. Elle commence son apprentissage en 1966, à l’âge de dix-sept ans dans la brasserie du couvent avec Sœur Lisana. «En 1974-75, j’ai fréquenté un institut professionnel de brasserie à Ulm et j’ai obtenu mon diplôme. Une nonne parmi les aspirants maîtres brasseurs, a pu paraître étrange par moments, «mais j’ai toujours été acceptée». A ses yeux, une femme maître brasseur, cela n’a rien de spécial. En Franconie, de nombreuses femmes ont repris les brasseries familiales. Par ailleurs, le brassage a toujours été un travail de femme.
Une nourriture et une boisson saines et copieuses
«Le brassage de la bière représente pour moi le travail pour une nourriture saine et bonne. C’est un plaisir de pouvoir offrir à nos clients une boisson copieuse. J’aime mon travail, j’aime l’odeur de la bière. J’aime travailler avec des éléments vivants comme la levure et l’orge. Je suis heureuse quand les gens apprécient notre bière. Dieu ne veut certainement pas de gens tristes et insatisfaits. Beaucoup de choses rendent la vie agréable et valent la peine d’être vécues. Pour moi, c’est travailler dans la brasserie et boire de la bonne bière. C’est la boisson la moins alcoolisée et, comme elle contient également du dioxyde de carbone, elle est digeste. C’est une boisson saine… si vous n’en buvez pas trop!» (cath.ch/or/sdz/mp)
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L’abbaye de Mallesrdorf
L’abbaye de Mallersdorf est ancien monastère bénédictin situé dans le diocèse de Ratisbonne, en Bavière. C’est aujourd’hui la maison mère des Pauvres franciscaines de la Sainte-Famille, dites Sœurs de Mallersdorf. L’abbaye a été fondée en 1107 comme abbaye double avec un monastère masculin et un monastère féminin. Mais dès 1136, le monastère féminin est transféré dans le village voisin d’Eitting.
Une nouvelle église abbatiale de style roman est construite au XIIe siècle. L’abbaye vit une période d’épanouissement spirituel et matériel aux XIIIe et XIVe siècles. À l’époque de la Réforme protestante, la communauté échappe de peu à la dissolution. Son école avait excellente réputation dans toute la contrée. Elle connaît encore une période d’essor au XVIIIe siècle. L’intérieur de l’église est redécoré dans le style baroque.
L’abbaye est finalement dissoute après sept siècles d’existence, par le recès de 1803. Ses bâtiments et domaines sont vendus à l’encan. L’administration locale s’y installe en 1807. Mal entretenue, l’abbaye est finalement à vendre. Elle est rachetée en 1869 par une nouvelle congrégation apostolique féminine en plein essor, les Pauvres franciscaines de la Sainte-Famille. Celles-ci agrandissent au fil du temps les bâtiments, en construisent et en modernisent d’autres.
Elles y installent une maison de retraite, une collège-lycée pour jeunes filles une école supérieure de formation pour les enseignantes et soignantes de la congrégation et surtout leur maison-mère. MP