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Une louve, un pape et des crêpes: aux origines de la Chandeleur

Les traditions de la Chandeleur, fêtée le 2 février, sont encore vivaces dans les pays francophones. Retour sur l’histoire d’une fête remontant à la Rome antique et à la lutte du christianisme contre les cultes païens.

À l’époque de Gélase Ier (492-496), le pape n’était pas un monarque incontesté, même en son diocèse. Tout successeur de l’apôtre Pierre devait alors composer avec le pouvoir politique, détenu par l’aristocratie romaine au sein du Sénat, mais aussi avec d’autres survivances de la Rome antique. C’est dans ce contexte difficile que l’évêque de Rome va tenter de mettre fin à une fête populaire païenne, les Lupercales, lui substituant une fête chrétienne devenue aujourd’hui la Chandeleur.

«L’adultère spirituel», plus grave que l’adultère «tout court»

Un siècle avant l’arrivée de Gélase Ier sur le trône de Pierre, c’est l’empereur Théodose – et non le pape – qui avait décidé avec l’Édit de Thessalonique (392) d’interdire le paganisme. Signe que c’était bien le pouvoir politique seul qui décidait de l’évolution sociale de l’empire, son fils Honorius avait poursuivi l’œuvre de son père et ordonné la destruction des autels aux divinités antiques. Cependant, de nombreuses cérémonies païennes vont continuer à être célébrées, et ce même à Rome, ville des martyrs et du premier des disciples.

Pire, les prélats de l’Église sont alors accusés d’être des «censeurs lents dans la répression» des vices observés en son sein. Gélase, homme de lettres érudit, pétri de culture classique, décide de contre-attaquer et envoie une lettre au Sénat romain dans laquelle il s’en prend à un mal qu’il estime pire que ceux de «l’adultère et de la fornication» dont est accusé son clergé: «la fornication de l’âme» et «l’adultère spirituel» que représente le «sacrilège» des rites païens.

Une initiation au rituel de la louve

La cible de l’ire du pontife est la fête des Lupercales, une des plus anciennes traditions païennes de la ville, célébrée dans une grotte sous le Palatin, dans laquelle, dit-on, Romulus et Rémus auraient été allaités par une louve. Lors de cette cérémonie particulièrement sanglante dédiée au dieu des forêts et des champs Faunus (Pan), deux jeunes hommes dénudés étaient initiés et marqués du sang de plusieurs sacrifices. Ils devaient ensuite éclater de rire et, proférant des insultes, se répandre dans la ville, provoquant une procession carnavalesque. Équipés d’un fouet en lanières découpées dans la bête sacrifiée, ils frappaient les femmes qu’ils croisaient, en particulier les femmes cherchant à stimuler leur fertilité.

L’histoire de la louve romaine inspirait les Lupercales | copyright-wee sen goh/Flickr/CC BY-NC 2.0

Dans sa lettre au sénateur Andromachus, Gélase Ier s’étonne d’une telle survivance et de la participation de nombreux citoyens romains à une telle cérémonie: «Comment se fait-il que celui qui commet de tels blasphèmes de paganisme ne trahisse pas la foi?» Le pontife, à qui l’on demande de lancer la «première pierre » contre son clergé, retourne l’accusation d’impiété contre ses accusateurs: «Celui qui souhaite qu’une condamnation soit prononcée sans délai contre un autre doit reconnaître que, dans ce qu’il juge un autre, il se condamne lui-même».

Inutile et superstitieux

Dans la suite de sa missive, Gélase Ier, suivant scrupuleusement les règles de l’art oratoire, propose une ‘requisitio’ implacable contre les Lupercales, montrant dans un premier temps l’inefficacité du culte et soulignant que les autres régions ont abandonné ce culte. Il s’en prend à l’hypocrisie de l’aristocratie qui laisse se répandre les «voix de l’obscénité et de la honte» au nom de la tradition, alors que la tradition voudrait qu’ils se mêlent à la plèbe.

À ceux qui lui répliquent que les papes précédents n’ont pas supprimé les Lupercales, Gélase répond «qu’un médicament ne guérit pas toutes les maladies du corps en même temps, mais seulement celles dont les menaces sont les plus dangereuses pour lui». Le pontife déplore que la «puissance impériale» – l’empereur d’Occident a notamment disparu en 476 à Ravennes – ait échoué à se débarrasser de ce rite «inutile et superstitieux». Il prend donc sur lui de demander la suppression de ces festivités «dans la mesure où elles sont contraires à la vraie religion».

L’autorité du pape en question

Tentant d’affirmer, avec difficulté, son autorité sur les questions religieuses au pouvoir politique romain, Gélase Ier défend la doctrine de l’autonomie du spirituel. Cet intellectuel de haut rang se pose même comme le remplaçant naturel de l’empereur en tant que tête de l’Église chrétienne dans son traité Tomus de anathematis vinculo, qui insiste aussi sur la primauté de Rome. Cependant, la tonalité rhétorique de sa lettre tend à montrer que l’évêque de Rome peine à s’imposer face à la caste sénatoriale.

À la Chandeleur les crêpes sont incontournables | wikipedia.org cc-by-sa3.0

Si sa missive n’a probablement pas eu d’effets sur le Sénat, c’est une autre initiative attribuée à Gélase Ier qui va faire disparaître les Lupercales, en prenant sa place: la Chandeleur. Selon certains, il aurait institué le même jour que les Lupercales la célébration de la présentation de Jésus au Temple, une fête qui existait déjà en Orient à l’époque. Selon d’autres, il aurait institué la fête de la Purification de la Vierge qui reprend la thématique de la fécondité de la fête païenne.

Gélase Ier, inventeur des crêpes?

La Chandeleur, ou «fête des chandelles», est célébrée avec des bougies qui représentent la reconnaissance par Syméon de la «Lumière d’Israël» en Jésus. Gélase, dit-on, aurait aussi organisé des processions aux flambeaux pour contrer la concurrence païenne.

Et ce n’est pas tout: la tradition veut aussi que le même pontife soit à l’origine des crêpes de la Chandeleur. L’évêque de Rome aurait fait distribuer des crêpes aux pèlerins qui se rendaient à Rome. Si ces paternités ne sont pas prouvées, les traditions de la Chandeleur sont cependant anciennes, puisqu’on trouve des traces de crêpes et de bougies dès le début du haut Moyen Âge. (cath.ch/imedia/cd/rz)

1 février 2021 | 17:00
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 4  min.
chandeleur (8), fêtes (18), Paganisme (4), tradition (17)
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