Messe: les catholiques trop passifs pendant le premier confinement
Lors du premier confinement, peu de catholiques sont parvenus à sortir des sentiers battus en adaptant le rite de la célébration, notamment à Pâques, constate le théologien belge Arnaud Join-Lambert. La plupart sont restés passifs face à l’offre TV ou web.
Le théologien franco-suisse Arnaud Join-Lambert a publié, en décembre 2020, dans la revue de science liturgique La Maison-Dieu les résultats d’une enquête transnationale menée l’été passé, en France et en Belgique. Conduit auprès de catholiques pratiquants, le sondage les interrogeait sur la manière dont ils ont célébré pendant le premier confinement, en mars 2020.
Les résultats de l’enquête* montrent la faible capacité des pratiquants à adapter le rite dans les circonstances exceptionnelles du printemps 2020. Beaucoup ne se sont pas «sentis autorisés» à pratiquer la célébration et ont suivi la messe à la télévision ou sur le web, démontrant une certaine passivité.
Le professeur de liturgie et de théologie pratique à l’Université catholique de Louvain (Belgique) y voit un «appel très fort pour une pastorale liturgique qui responsabilise les fidèles». L’enquête montre également l’émergence d’«Eglises domestiques», les ecclesiolae.
La grande offre de messes sur la toile, risque-t-elle, à terme, de faire disparaître les assemblées eucharistiques au profit d’une pratique domestique en petites communautés, loin de la communauté paroissiale? Ou au contraire d’y ramener un grand nombre de fidèles?
Arnaud Join-Lambert: Pour l’avenir, ce que peuvent offrir les eucharisties sur le web, c’est un autre lien à la communauté, surtout si c’est une retransmission de l’assemblée où on peut habituellement se rendre.
On peut tout à fait imaginer que les retransmissions continuent au-delà du déconfinement. La communauté belge des Bénédictins de Clerlande a décidé, par exemple, de poursuivre les messes en distanciel. Si l’on voyage ou qu’on est malade, cela est une bonne chose que n’offre d’ailleurs pas la messe télévisée. Il y a aussi l’interaction que peuvent offrir certaines applications, ce qui peut élargir la communauté.
Avec le temps, les manques des autres et de l’eucharistie se font ressentir de manière plus forte. Les personnes se tournent vers d’autres manières de célébrer, soit elles vagabondent d’un site à l’autre, ou se contentent d’une exhortation, d’une lecture. Nous nous trouvons actuellement au cœur de ces questions.
Durant ce premier confinement, les messes télévisées ont été très suivies, l’offre a explosé sur le web et pourtant 9% des sondés n’ont pas célébré durant cette période. Comment expliquez-vous ce chiffre élevé?
J’ai été surpris par ce chiffre. Je l’explique de trois manières. Certains ont pu être sidérés et désemparés par ce premier lockdown. Ensuite la célébration de leur foi n’a pas été une ressource pour eux en de telles circonstances. Et enfin, plus grave, il ne leur est pas apparu essentiel de célébrer dès l’instant qu’ils n’étaient plus en contact avec leur communauté. Il faut relever cependant que 74, 4% de sondés ont malgré tout continué à célébrer tous les dimanches.
Parmi les mots négatifs proposés dans le questionnaire, «manque» est cité par 50% des sondés, loin devant «solitude» (25%) et «pénible» (14,1%). De quoi les fidèles ont-ils manqué précisément?
Ce manque est plutôt positif. Les sondés ont exprimé deux principaux manques, à parts égales (2/3 des réponses): celui des autres, de la communauté, et bien sûr de l’eucharistie. Mais cette statistique nous dit aussi que la messe et la communauté n’ont pas manqué au tiers restant. Cela pose question par rapport à la manière que nous avions de nous réunir le dimanche avant la pandémie.
«L’enquête a permis d’établir clairement un lien entre créativité et présence d’enfants et d’adolescents dans le groupe confiné.»
Votre enquête montre, qu’avec la durée du confinement, des fidèles ont commencé à adapter les rites de la célébration.
Le premier confinement a coïncidé avec la Semaine Sainte. Des jours très denses d’un point de vue spirituel et rituel, avec, beaucoup de symboles: les rameaux, la croix, le lavement des pieds, la lumière. Ce sont, qui plus est, des liturgies encore très pratiquées, avec celle de Noël. L’enquête a permis d’établir clairement un lien entre créativité et présence d’enfants et d’adolescents en âge scolaire dans le groupe confiné. Pour eux, la messe télévisée a une portée plus limitée. Ils ne restent pas devant l’écran. Cela ne fonctionne pas en termes de rite. Dans le cadre familial, il faut faire un effort: prendre la parole, effectuer un temps de partage, de prière et ritualiser ensuite.
Quels ont été les rites les plus pratiqués durant les fêtes pascales?
Des personnes ont mis en œuvre des rites tels que le lavement des pieds, de manière réciproque entre conjoints, entre enfants et parents. De nombreux rites ont également été accomplis autour de la croix: le chemin de croix par Zoom, commenté par le diacre et plusieurs paroissiens, sa version itinérante dans l’appartement ou la maison. Il y a eu aussi l’exposition et la vénération de la croix. Des gens ont pris l’initiative de mixer le chemin de croix traditionnel, avec les 14 stations, et l’office de la croix avec un temps de silence.
De nombreuses familles ont préparé des repas «à la manière juive» lors du triduum pascal. Il y a là quelque chose de très créatif et intéressant: on a fait mémoire de ce repas qui a précédé la sortie d’Egypte, en l’ancrant dans du rite. Il y a eu la liturgie du feu, avec par exemple un braséro pour ceux qui disposaient d’un jardin. Des groupes de jeunes se sont donné rendez-vous pour assister au lever du soleil le dimanche matin et il y a eu l’illumination de l’intérieur avec des bougies. Il est à noter que quasiment personne n’a effectué de rite baptismal, qui est pourtant important dans la vigile de Pâques.
«D’autres, en effet, n’ont pas osé ou pas su quoi faire. Ils ne se sont pas sentis autorisés à pratiquer certains rites.»
Une belle créativité dont tout le monde n’a pas fait preuve.
D’autres, en effet, n’ont pas osé ou pas su quoi faire. Ils ne se sont pas sentis autorisés à pratiquer certains rites. Je citerais l’exemple des Rameaux: que pouvait-on faire avec les Rameaux? Pouvait-on les bénir? Des personnes se sont fait des liturgies de rameaux en prenant des branches dans leur jardin pendant que d’autres se demandaient si cela était autorisé. On n’était pas pourtant pas dans une situation de l’ordre du «permis/défendu». La foi se célèbre et pour des gestes de ce type, il n’y a pas besoin d’autorisation! La créativité et l’appropriation des rites remarquées chez certains sondés auraient probablement eu lieu chez un plus grand nombre, s’il n’y avait pas eu la solution de facilité d’une pratique en ligne qui était la continuation d’une pratique déjà connue.
Quel est l’enjeu pour l’Eglise?
Nous nous trouvons face à un enjeu essentiel pour l’Eglise. C’est l’essence même de la foi. Car on ne vit pas sa foi tout seul et les chrétiens célèbrent et partagent leur foi avec d’autres et pas forcément dans de grandes assemblées. C’est aussi un appel très fort pour une pastorale liturgique qui initie à la célébration, qui responsabilise les fidèles. On pensait en Eglise que c’était acquis, mais ce n’est pas le cas. On peut y voir un manque de maturité dans la pratique rituelle: «Est-ce qu’on peut le faire? Est-ce qu’on a le droit?» Cela montre une certaine infantilisation des fidèles dans la ritualité. On vit avec l’idée qu’«il y a les prêtres qui savent, qui ont le droit et qui peuvent autoriser. Et nous ne bougeons pas tant qu’on ne nous a rien dit».
«C’est aussi un appel très fort pour une pastorale liturgique qui initie à la célébration, qui responsabilise les fidèles.»
Nous avons vécu une période très particulière, et le premier confinement a donné des fruits.
En effet, du jour au lendemain, toutes les célébrations ont cessé et les fidèles ont dû faire avec ce qu’ils étaient et ce qu’ils avaient. Au début du premier confinement, les services diocésains ont été pris de court comme tout le monde. Mais au bout d’un mois, les catéchistes ont repris contact avec les familles, ont étoffé l’offre, notamment par les moyens numériques et se sont trouvés beaucoup mieux préparés lors du deuxième confinement, du moins en Belgique.
Vous évoquez l’émergence, à l’occasion de la pandémie, de ces Eglises domestiques, ces ecclésiolae, encore fragiles et qu’il faut encourager…
Oui et probablement plus à la manière antique qu’à la manière récente où on a parlé d’ecclesiolae pour les familles. Car la réalité des familles est multiple. Du point de vue de leur composition ou recomposition et de la foi: nombre de personnes au sein d’une même famille ne partagent pas la même foi. Les Eglises domestiques intègrent donc au-delà de la famille, dans la proximité géographique avec le voisinage. Une ecclesiola peut être une fraternité à l’échelle d’un quartier. Quelques chrétiens se rassemblent pour partager l’amitié mais aussi leur foi à travers la célébration.
Lors du deuxième confinement, en tout cas en Belgique, un certain nombre de paroisses ont mis en place des groupes Zoom de paroissiens, des «Auberges de la Parole», le dimanche soir alliant un temps de prière sur l’Evangile suivi d’un temps de partage de nouvelles. On ne parle pas d’un groupe d’affinité spirituelle, tels que les communautés nouvelles ou de tiers ordres, mais de baptisés qui se retrouvent en toute simplicité, on peut donc parler d’ecclesiolae. La régularité des rencontres fait grandir les uns et les autres. Cela peut être un élément constitutif de la paroisse.
Ces Eglises domestiques naissantes, encore fragiles, vont-elles disparaître avec le déconfinement?
C’est difficile à dire. Tout dépend de l’expérience vécue. Ces Eglises domestiques peuvent aussi être complémentaires à un mouvement spirituel ou à la paroisse. Lorsqu’on fait l’expérience de ce qui nous nourrit, d’un groupe où on trouve sa place, il n’y a pas de raison que cela ne dure pas.
La pandémie a réalisé ce que l’Eglise n’a pas su faire: responsabiliser les fidèles, les inciter à être autonomes en sortant de l’absolutisme de l’eucharistie?
Ce n’est pas si simple. Je ne sais pas si la pandémie a réussi mais elle a posé les questions sur un fonctionnement assez passif de beaucoup de catholiques. Où l’on voit la prédominance d’une pastorale très axée sur les sacrements. Que va-t-il en sortir? Nous devons le prendre comme une chance en tout cas. L’Esprit-Saint est à l’œuvre. (cath.ch/bh)
>Téléchargement des résultats de l’enquête.
*Données de l’enquête
L’enquête s’est déroulée en France et en Belgique, du 15 juin au 15 juillet 2020, auprès de 1’200 personnes se présentant elles-mêmes comme pratiquantes régulières avant le confinement. Les questions ont porté sur leur pratique de la célébration durant le confinement du printemps 2020. Il s’agissait donc d’une population spécifique et minoritaire au sein des catholiques. La proportion des femmes parmi les personnes sondées était représentative de la réalité (67,1%). Les 20-40 ans ont été plus représentés que dans les assemblées dominicales. BH