Cécilia Marogna ne sera pas extradée vers le Vatican
Cécilia Marogna, la consultante mêlée à l’affaire Becciu, ne sera pas extradée vers le Vatican. Entre 2013 et 2018, elle qui avait reçu un demi-million d’euros de la Secrétairerie d’Etat pour des services de «diplomatie informelle», est soupçonnée d’avoir détourné une partie de ces fonds en achats de luxe.
La demande d’extradition de l’Italie vers le Vatican de Cécilia Marogna, consultante proche du cardinal Angelo Becciu, a été retirée par le Saint-Siège lui-même, a fait savoir la justice italienne le 18 janvier 2021. Soupçonnée d’avoir détourné des fonds du Vatican pour faire des achats de luxe, elle avait été arrêtée le 13 octobre dernier suite à un mandat d’Interpol, émis à la suite d’une demande du Vatican. Fin octobre 2020, sa demande de libération avait été rejetée par le parquet général de Milan. Imedia fait le point sur cette affaire en quatre questions.
Qui est Cécilia Marogna?
Cécila Marogna est une Italienne âgée de 39 ans et mère d’une petite fille. Catholique originaire de Cagliari, capitale de la Sardaigne, elle se définit comme étant une «analyste politique» et «experte en renseignement». Dans les colonnes du quotidien italien Corriere Della Sera, elle expliquait en octobre 2020 avoir d’abord suivi une formation scientifique avant de partir au Liban pour étudier la géopolitique et se spécialiser sur les questions internationales. Elle dit avoir notamment collaboré avec la Chambre de commerce italo-arabe à Rome, «en établissant des relations très estimées avec des personnalités institutionnelles d’Égypte, de Syrie, de Jordanie et d’autres pays du Moyen-Orient». Elle affirme par ailleurs entretenir de bonnes relations avec les services secrets italiens.
Quels sont ses liens avec le cardinal Angelo Becciu?
Le 24 septembre 2020, après un rendez-vous avec le pape François, le cardinal Angelo Becciu, ancien «numéro 3» du Vatican, démissionne brutalement. La presse soupçonne le cardinal sarde d’avoir commis de multiples malversations alors qu’il était substitut de la Secrétairerie d’Etat. Rapidement, le nom de Cécilia Marogna apparaît. Elle aurait profité de la position avantageuse du haut prélat pour détourner de l’argent du Saint-Siège. La presse italienne avance même l’idée selon laquelle elle serait l’amante du cardinal. « Absurde », rétorque la concernée. Même son de cloche du côté du cardinal.
Selon ce qu’elle a confié au Corriere Della Sera, sa rencontre avec la cardinal Becciu remonte à 2015. Elle s’intéresse alors aux problèmes de sécurité des nonciatures dans les contextes dangereux. «Il m’a reçu à Rome au Secrétariat d’Etat, l’entretien devait durer 20 minutes mais il a duré une heure et demie», raconte-elle. Cette rencontre débouche sur une collaboration. «La diplomatie parallèle dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient faisait défaut [au Vatican], mais je savais quoi faire et comment agir, notamment pour réduire les dangers découlant des cellules terroristes présentes dans ces pays pour les nonciatures et les missions».
Des documents révélés en octobre montrent que le cardinal Becciu aurait bien employé officiellement Cécilia Marogna comme «analyste géopolitique et consultante en relations extérieures pour le Secrétariat d’Etat».
Que lui est-il reproché?
Le Vatican n’a pas officiellement communiqué sur les faits qui lui sont reprochés. Le 13 octobre 2020, à la suite d’un mandat d’arrêt international émis par Interpol à la demande du Saint-Siège, elle est arrêtée à Milan. Selon la presse, elle aurait perçu 500.000 euros du Vatican et en aurait détourné une large partie pour acheter des produits de luxe. Si l’intéressée reconnaît publiquement avoir bien touché 500.000 euros sur quatre ans pour l’ensemble de ses missions, elle récuse toute utilisation frauduleuse. «L’argent est venu par tranches sur ma société en Slovénie qui s’occupe de missions humanitaires», explique-t-elle. Interrogée sur ses achats de produits de luxe, notamment des sacs à main, elle répond: «Le sac à main était peut-être destiné à la femme d’un ami nigérian capable de communiquer avec le président du Burkina Faso afin de surveiller les risques et les dangers pour les nonciatures et les missions du Vatican…».
Réagissant à ces déclarations, le cardinal Becciu, sortant de sa réserve, avait affirmé avoir été «trompé» et avait déclaré envisager poursuivre la jeune femme en justice.
Pourquoi n’est-elle pas extradée vers le Vatican?
Depuis son arrestation en octobre, l’extradition de Cécilia Marogna de l’Italie vers le Vatican est en attente. Une question se pose: l’Italie a-t-elle le droit d’envoyer l’une de ses ressortissantes derrière les murs de la Cité léonine pour y être jugée? Car il n’existe pas de traité d’extradition de l’Italie vers le Vatican. Par ailleurs, la loi italienne interdit d’extrader des citoyens dans un Etat où le droit fondamental de la défense ne serait pas respecté.
Dans un récent article, l’agence AP raconte que des avocats de la défense qui ont travaillé en lien avec la justice vaticane estiment que les procédures judiciaires au Vatican sont «dépassées». Plus délicat encore, elles sont «soumises à l’ingérence arbitraire du pape, qui, en tant que monarque absolu, exerce un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire exclusif».
Enfin, il est relevé qu’une fois un jugement rendu par un tribunal du Vatican, les accusés n’ont aucun recours en dehors du système du Vatican, «puisque le Saint-Siège n’est pas signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, qui permet aux défendeurs de saisir la Cour européenne de Strasbourg».
Autant d’arguments qui auraient peut-être poussé l’Italie à ne pas accepter la demande d’extradition du Saint-Siège dans le cadre de l’affaire Marogna. Alors qu’elle devait se prononcer sur la question, elle a fait savoir que le Saint-Siège avait finalement retiré sa demande. (cath.ch/imedia/hl/cp)
Le procès de Cécilia Marogna devrait s’ouvrir d’ici peu.
Le 13 janvier 2021, le juge d’instruction du Tribunal de l’Etat de la Cité du Vatican, acceptant la demande du Bureau du Promoteur de Justice, a révoqué la mesure conservatoire ordonnée à l’encontre de Cecilia Marogna. Selon le. communiqué publié le 18 janvier 2021, son procès pour «détournement de fonds en bande organisée» est imminent.»L’initiative, peut-on y lire, vise, entre autres, à permettre à l’accusée – qui a déjà refusé de se défendre en ne se présentant pas à l’interrogatoire devant l’autorité judiciaire italienne, demandé par voie rogatoire par le Promoteur de Justice – de participer au procès au Vatican, libre de la mesure conservatoire en cours dont elle faisait l’objet». (cp)