Martin Brunner-Artho est directeur de Missio depuis 2012 | © Raphaël Zbinden
Suisse

Martin Brunner-Artho: «Je suis devenu suisse à Missio»

Martin Brunner-Artho effectue, en 2021, sa dernière année en tant que directeur de Missio. Pendant ses dix ans à la tête de la branche suisse des Œuvres pontificales missionnaires, il a pu mettre en valeur son sens aigu de l’universalité et de la solidarité.

Pas de chichis lorsque l’on rencontre Martin Brunner-Artho. Le diacre d’origine soleuroise préfère la simplicité et la spontanéité au protocole guindé. C’est en chaussons, jeans et pull polaire qu’il reçoit cath.ch au siège administratif de Missio, à Fribourg. Car le grand gaillard au large sourire porte comme principal vêtement un profond sens de l’humilité et de la fraternité, développé face à cette Eglise une, mais diverse, qu’il a rencontrée aux quatre coins du monde.

A la tête de Missio depuis 2012, Martin Brunner-Artho ne peut pas, selon le règlement interne, poursuivre plus de deux mandats de cinq ans à son poste. L’organisation recherche donc un nouveau directeur. A l’âge 58 ans, son prochain changement d’horizon est l’occasion de se retourner sur une carrière riche, au service du Christ, de l’Eglise et des autres.

Que pensez-vous avoir retiré de ces presque dix ans à la tête de Missio?
Martin Brunner-Artho: Lors de ces deux mandats, j’ai eu l’occasion de visiter de nombreux pays où Missio est active, dans presque tous les continents. Je suis même allé en Iran, où les Œuvres pontificales missionnaires sont présentes. Durant tous ces voyages, j’ai rencontré plusieurs visages de l’Eglise. Des façons de vivre, de penser, de faire communauté très diverses. Je pense en avoir retiré une vue différenciée et globale de l’Eglise universelle. Cela m’a enseigné que les choses pouvaient être considérées de manière très différentes, suivant la situation dans laquelle on se trouvait.

Le fait d’observer les difficultés auxquelles l’Eglise est confrontée dans certains pays m’a aussi certainement rendu plus humble. J’ai constaté que la situation de l’Eglise en Europe n’était comparativement pas si mauvaise que cela. En général, j’ai appris à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.

A quels défis avez-vous été principalement confrontés dans vos fonctions?
A mon arrivée, j’avoue que j’ai eu un peu peur de la tâche qui m’attendait. Notamment parce que je n’avais pas d’expérience dans la recherche de fonds. Et il faut rappeler que Missio n’est financée que par des dons. Mais je me suis dûment formé à ces compétences. J’ai aussi été grandement aidé par une équipe soudée et expérimentée.

«Pour moi, les convictions chrétiennes font que l’on ne peut qu’être optimiste.»

Il est clair que le financement a toujours été l’un des principaux défis pour Missio. C’est encore plus difficile actuellement, alors que la pandémie a fait baisser de façon drastique le nombre de messes et donc de quêtes. Nous devons affronter une baisse importante des recettes pour le Dimanche de la Mission universelle. En 2020, nous avons récolté pour 30% de moins de donations que l’année précédente.

Ceci dit, nous avons pu observer de beaux gestes de soutien et de solidarité, notamment de la part de paroisses ou de communautés religieuses, qui ont effectué des dons extraordinaires.

Et à part les finances?
L’un des problèmes, lorsque je suis arrivé à Missio, était un manque de cohésion entre les campagnes des diverses parties linguistiques. Ensemble, nous sommes cependant parvenus à renforcer les liens. A cette occasion, en tant qu’Alémanique, j’ai appris à connaître non seulement les autres langues, mais aussi les autres cultures et mentalités des régions du pays. Je ressens donc que c’est à Missio que je suis réellement devenu suisse.

Martin Brunner-Artho a vécu la mission en Bolivie | © DR

Quelle marque pensez-vous laisser?
J’espère avoir pu faire profiter l’organisation de mon expérience missionnaire. Aussi, comme je le disais avant, de cette vision plus globale et positive de l’Eglise. Pour moi, les convictions chrétiennes font que l’on ne peut qu’être optimiste.

Voyez-vous un fil rouge dans votre vie et votre carrière? Si oui, quel serait-il?
Je suis né près de Soleure, dans une famille catholique pratiquante. Mes parents étaient pendant un temps concierges de l’évêché. A l’âge de dix ans, ma mère s’est démenée pour que je sois enfant de chœur à la cathédrale. En même temps, elle était pour une Eglise ouverte. Elle était notamment très intéressée par le Synode de 1972.

Quand je suis entré au Collège des capucins de Stans (NI), je voulais devenir ingénieur. J’étais fasciné par l’aviation. Mais finalement, dans la dernière année, j’ai décidé de devenir théologien, tout en étudiant aussi le travail social. Je n’ai jamais été tenté par la prêtrise. Je crois qu’il a été toujours important pour moi d’être dans différents «mondes».

C’est également pour ça que j’ai opté pour le diaconat. Je voulais avoir un pied stable dans l’Eglise, et en même temps pouvoir faire l’expérience de la vie familiale, affective, du quotidien. J’estime pouvoir ainsi mieux comprendre et accompagner les personnes qui ont des problèmes dans ces domaines.

Avec ma femme, nous avons en commun la passion du monde, la découverte des autres lieux, des autres cultures. Très tôt nous avons commencé à voyager. Mais nous avons vite constaté que le fait de n’être que de passage rendait les contacts assez superficiels. Nous avons donc décidé de partir sur place pour apporter notre contribution.

«En tant que baptisés, nous sommes aussi tous ‘envoyés’»

C’est la société missionnaire Bethléem Immensee qui nous en a donné la possibilité. D’abord en Bolivie (1995-1999), où j’ai été ordonné diacre, et ensuite au Kenya (2005-2009). Dans ces deux pays, j’ai connu des réalités complètement différentes, qui m’ont ouvert l’esprit.

Alors si je vois un fil rouge dans ma vie et ma carrière, c’est peut-être d’exprimer une certaine «universalité», qui se traduit notamment par la solidarité.

Une dimension qui se reflète pour vous dans la mission?
Tout à fait. Le partage, l’entraide, sont des éléments essentiels dans l’Eglise, ainsi que cette unité dans la diversité. Comme l’exprime le document Ad gentes (1965), émis dans le cadre de Vatican II, la mission est la raison d’être de l’Eglise. En tant que baptisés, nous sommes aussi tous «envoyés». Plus que cela, nous sommes nous-mêmes «mission». Lorsque je suis entré à Bethléem Immensee, l’on m’a dit: «Que ta vie raconte l’amour du Père».

Martin Brunner-Artho (dr.) a vécu quelques années au Kenya | © DR

Un concept de mission qui a cependant évolué…
L’un de mes grands-oncles était missionnaire. J’ai une photo de lui le représentant avec un habit colonial. Moi-même, j’ai eu cette image de la mission comme quelque chose de vieillot et d’obsolète. Mais la rencontre avec Bethléem Immensee a déjà fait tomber beaucoup de préjugés. Il est sûr que nous ne venons plus dans les pays en disant: «Nous allons vous offrir la foi». L’idée, aujourd’hui, est que l’Esprit saint était déjà présent, agissait avant notre arrivée. Il s’agit ainsi juste de le faire découvrir aux personnes.

Mais qu’est-ce que les missionnaires apportent aux peuples du Sud?
Outre l’aspect spirituel, dans de nombreux pays où l’Etat est défaillant, l’Eglise est un pilier de la société. Elle remplit des tâches de santé, d’éducation, d’alimentation et autres. Donc soutenir la mission, c’est aussi soutenir, dans beaucoup de cas, le développement d’une société. Avec Missio, nous réalisons des tâches importantes dans ces domaines.

Vous avez encore des années avant la retraite. Avez-vous des projets?
J’avoue ne pas y avoir encore complètement réfléchi. Je suis bien sûr tenté de repartir un jour dans un pays du Sud. Mais pour l’instant, j’ai encore deux enfants aux études. Et les besoins concernant la pastorale sont grands aussi en Suisse. (cath.ch/rz)

Martin Brunner-Artho est directeur de Missio depuis 2012 | © Raphaël Zbinden
14 janvier 2021 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
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