L'Amazonie, une région marquée par la “forte pression des grands intérêts économiques” | © Pixabay
Suisse

Journée des Droits humains: «Habiter la création de Dieu»

A l’occasion de la Journée des Droits de l’Homme du 10 décembre 2020, les Eglises protestante, catholique-chrétienne de Suisse et le Réseau évangélique (RES) insistent sur l’unité fondamentale entre les Droits humains et ceux de l’environnement. La Conférence des évêques suisses (CES) ne s’est pas associée à cette campagne 2020.

«La création n’est pas notre propriété. Nous sommes plutôt locataires dans la maison du Créateur», note Frank Mathwig, éthicien de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS). Dans cette réflexion éthique adressée aux paroisses et intitulée Habiter la création de Dieu, les Eglises reviennent sur les rapports entre droits humains et écologie.

Les droits tels que rédigés dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948, répondent aux questions fondamentales de l’humanité dans son ensemble. Ils devraient sans exception avoir la priorité sur tous les intérêts particuliers. Ce à quoi chaque être humain a légitimement droit doit être garanti, en tout endroit du monde et en tout temps, relève le texte.

Le climat ne connaît pas de frontières

Mais la force des Droits humains est également leur faiblesse: ils se concentrent sur les affaires et intérêts humains. La nature non humaine n’existe en général que comme environnement, objet ou matière première pour les activités humaines. Sa valeur se mesure à l’aune des avantages vitaux, économiques, stratégiques ou esthétiques pour les êtres humains. Cet accent sur l’utilité domine toujours les discussions actuelles.

«Le monde ne peut respirer, d’un point de vue écologique, que dans un ordre mondial pacifique et juste.»

«L’idée que notre attention et nos soucis doivent également se porter sur l’environnement non humain est partagée avec hésitation et selon des priorités très différentes», souligne le message. Pour certains, le changement climatique est la conséquence d’échecs politiques au niveau mondial. Pour d’autres parler de crise écologique est une attaque à la liberté économique. Les uns craignent pour leurs moyens de subsistance de base, les autres pour leurs standards de vie et habitudes. Or l’écologie et le climat ne connaissent pas de frontières territoriales et n’ont pas d’intérêts politiques.

En Amazonie, les petits travailleurs ruraux sont souvent menacés par les grands propriétaires terriens (Photo d’illustration:Jean-Claude Gerez)

Pas d’écologie sans paix ni justice

Pour les Eglises, les questions écologiques ne doivent pas être coupées d’une vision critique de la politique mondiale et des défis fondamentaux de la paix et de la justice. Le lien entre la politique, la paix, la justice et l’écologie se reflète dans l’expression hébraïque «Shalom», remarque Frank Mathwig. Cette expression, traduite par «Paix», ne signifie pas seulement qu’il y a absence de violence, mais un état favorable à la vie, qui comprend la coexistence bénéfique dans la famille et la société, dans l’ensemble des Etats et avec la nature.

«Nous sommes appelés à laisser la création demeurer simplement ce qu’elle est.»

C’est la raison pour laquelle les défis écologiques ne doivent pas être séparés de l’engagement pour la paix mondiale et la justice globale. Le monde ne peut respirer, d’un point de vue écologique, que dans un ordre mondial pacifique et juste.

Se laisser émerveiller par le miracle de la création

Les catalogues des droits humains ne doivent pas être complétés par les droits écologiques, naturels et durables, estime le texte. Il s’agit bien plutôt d’un changement d’attitude. «Au lieu de l’exploitation égocentrique et de l’instrumentalisation pleine d’assurance de la création, nous sommes appelés à laisser la création demeurer simplement ce qu’elle est, ce qui signifie accompagner notre environnement non humain avec gratitude. (…) A la place d’un nouvel activisme humain pour la nature, nous devrions faire machine arrière, pour réactiver l’émerveillement pour le miracle de la création, écrit Frank Mathwig. L’état dramatique de la nature est avant tout le symptôme d’un monde qui a perdu le sens du respect et de la possibilité de lâcher prise».

Sans Justice et Paix

A noter que la Conférence des évêques suisses (CES) ordinairement associée à la campagne de la journée des droits de l’homme par l’intermédiaire de sa commission Justice et Paix ne s’y est pas jointe cette année. La CES n’a pas voulu ratifier le texte préparé par le partenaire protestant, a confirmé à cath.ch Encarnacion Berger-Lobato, porte-parole de la CES.

Selon Wolfgang Bürgstein, diverses raisons ont conduit à cette impasse. Le secrétaire général de Justice et Paix invoque d’abord des questions de forme. Le texte est parvenu trop tard et comme il avait déjà été approuvé par le Conseil de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS), il n’était plus possible de l’amender pour des raisons de délai.

Mais Justice et Paix critique aussi le contenu du texte qui «n’a rien à voir avec les Droits de l’Homme; il traite exclusivement des relations entre l’homme, la nature et la création.» Wolfgang Bürgstein juge discutable en outre l’orientation du document en particulier le fait qu’il n’encourage pas l’activisme humain en faveur de la nature mais recommande plutôt de la laisser à elle-même en se contentant de s’en émerveiller. «Nous nous demandons comment ce message peut être utilisé pour maintenir le discours sur la sauvegarde de la création, la responsabilité de l’homme et le soin de la maison commune. Le texte est ici indifférent au regard des défis auxquels nous sommes confrontés», estime-t-il.

«Cette situation ne préjuge en rien de l’avenir et nous espérons vivement pouvoir reprendre cette collaboration dès l’an prochain», assure néanmoins la porte-parole de la CES. (cath.ch/com/mp)   

Les paysans sans terre manifestent contre la corruption. (Photo: José Cruz/CC BY-NC) 2.0

212 défenseurs de l’environnement tués en 2019
L’appel des Eglises et du Réseau évangélique est complété par une pétition de l’ACAT Suisse. L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture rappelle que la défense des droits humains et celle de l’environnement sont de plus en plus liées. L’année 2019 a ainsi vu un nombre record de personnes tuées à cause de leur engagement pour la protection de l’environnement, du climat ou des ressources naturelles.
Selon l’ONG Global Witness, pas moins de 212 défenseurs de l’environnement ont été assassinés l’an dernier dans le monde. Les gouvernements portent une grande responsabilité dans ces crimes, au vu de leur incapacité à protéger les victimes, souvent des femmes, et à poursuivre leurs auteurs.
Pire, certains États, comme les Philippines, se chargent d’éliminer ou de faire éliminer les défenseurs de l’environnement sous prétexte de lutte anti-terroriste. Dans nombre de cas, les entreprises locales ou internationales sont impliquées dans ces meurtres.
En moyenne quatre activistes sont tués chaque semaine depuis décembre 2015,moment de signature de l’accord de Paris sur le climat, dénonce l’ACAT. De nombreuses autres personnes sont réduites au silence par des agressions, des violences sexuelles, des menaces de mort, des arrestations arbitraires ou des procès inéquitables. Ce sont souvent les protestataires issus des populations indigènes qui paient le prix fort de leur engagement. 
21 pays étaient concernés en 2019. La Colombie, les Philippines, le Brésil, le Mexique, le Honduras et le Guatemala occupent les premières places de ce macabre décompte. Ce sont surtout les secteurs de l’extraction minière (50 victimes en 2019), de l’agro-business (34) et de l’exploitation forestière (24) qui tuent le plus. Ces secteurs sont justement en grande partie responsables du changement climatique et de la destruction de la planète. MP

Pétition aux autorités brésiliennes
La pétition de l’ACAT demande aux autorités brésiliennes de mener une enquête sur les exactions commise en août 2020, dans la municipalité de Campo do Meio dans l’Etat de Minas Gerais, au sud est du pays. La police militaire a violemment expulsé quatorze familles des terres où elles vivaient depuis environ vingt ans. Ces familles font partie du Mouvement des travailleurs sans terre (MST). La lettre demande d’agir pour que cette communauté ainsi que les autres défenseurs des droits humains et de l’environnement au Brésil soient respectés et protégés. MP

L'Amazonie, une région marquée par la «forte pression des grands intérêts économiques» | © Pixabay
9 décembre 2020 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
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