Natalia Trouiller: «Le pape aime bien les médias, il les châtie bien»
Le pape François est quelqu’un qui châtie bien ceux qu’il aime bien, et «comme il aime bien les médias, il les châtie bien», confie Natalia Trouiller, qui a traduit en français le dernier ouvrage du pape François, «Un temps pour changer» (Flammarion).
Ancienne journaliste à RCF et à La Vie, écrivaine, ancienne directrice de la communication du diocèse de Lyon, Natalia Trouiller relève que dans ce livre-confession écrit en collaboration avec le journaliste Austen Ivereigh, l’évêque de Rome juge très sévèrement l’attitude des médias qui déforment la réalité à des fins économiques ou idéologiques.
«Désinformation», «diffamation», «fascination pour le scandale et le caniveau», «culture de la post-vérité», «course à l’audimat», «transformation des faits à des fins idéologiques dans un but lucratif»… Que faut-il penser de la charge de François contre les médias?
Natalia Trouiller: Je comparerais la façon dont il traite les médias avec la manière dont il parle parfois des prêtres dans l’Eglise. Il a pu avoir des mots très durs à leur égard, certains se sentant même malmenés par lui, voire, mal-aimés. Mais je crois vraiment qu’il s’agit pour lui d’exprimer sa paternité, peut-être en maniant la carotte et le bâton. Comme il les aime, il a une grande exigence vis-à-vis de leur travail.
D’où vient son amour pour les médias?
Le mot ‘média’ a un double sens. On l’utilise à la fois pour parler des métiers du journalisme et de la communication mais aussi pour parler du médiateur. Or, le pape porte une attention particulière à tout ce qui est médiateur dans la relation. Son pontificat est tout entier porté sur l’idée de rencontre, d’entrer en relation avec l’autre. Et il a peur que la médiation ne fausse la relation. Il le répète: une bonne médiation fait grandir la relation mais une mauvaise risque de la blesser ou bien même de la briser. Voilà pourquoi le pape a une grande exigence envers tous les médiateurs.
Pour autant, il a conscience de leurs limites, en particulier celle ne pas pouvoir rendre compte du «toucher». Dans son livre, il insiste pour dire que «le mode de communication dont nous avons le plus besoin est le toucher». Puis il relève qu’il s’agit du seul sens que la technologie n’a pas encore imité. «S’il aime les journalistes, affirme Natalia Trouiller, il sait qu’aucun ne peut rendre compte parfaitement de ce qu’il voit, entend, sent et touche.
Le pape fustige les médias qui ont réduit les enjeux des récents synodes sur l’Amazonie et de la famille aux seules questions de l’ordination des hommes mariés et de l’accès à la communion pour les divorcés remariés. N’y a-t-il pas une certaine naïveté du pape qui devrait bien savoir que les médias s’emparent généralement volontiers de ces thèmes?
On touche là à l’épaisseur du mystère François. Est-ce une manière pour lui de désamorcer ces sujets en les laissant flamber dans un souffle médiatique qui passe? Car honnêtement: une fois la tempête médiatique apaisée, ce qu’il reste, c’est le texte de l’exhortation qui vient pour aider une Eglise et des personnes à vivre la foi chrétienne.
Donc rien de nouveau sous le soleil depuis Vatican II et le «concile des médias»…
Oui ! Et je suis certaine que si on remontait encore plus loin dans le temps, on trouverait le «concile des gazettes» qui a couvert le Concile de Trente ! C’est quelque chose qui, je crois, est inhérent à la vie de l’Eglise. D’ailleurs, regardez les conclaves : ce n’est pas pour rien qu’on a obligé les cardinaux à s’enfermer pour élire un pape. Il s’agissait de se protéger de l’esprit du monde qui essaye toujours de rentrer dans les affaires de l’Eglise.
«Il s’agissait de se protéger de l’esprit du monde qui essaye toujours de rentrer dans les affaires de l’Eglise»
En réalité, je pense que le pape François espère que les médias traitent du mieux possible ce qui se vit lors des synodes, mais il sait que l’esprit du monde rode et qu’il arrive à détourner l’esprit de l’Eglise. Par ailleurs, il a conscience aussi que les crises révèlent les cœurs. Il a bien vu que cette histoire de viri probati pouvait démasquer les agendas. François est un communiquant né. On peut donc y voir aussi un brin de stratégie.
Certes, mais une bonne communication ne consiste-t-elle pas à clarifier les sujets pour ne pas se laisser déborder ou enfermer dans le jeu médiatique?
Je ne sais pas si le Saint-Siège s’est laissé enfermer. La preuve est que la déclaration finale du synode en Amazonie n’a pas fait mention des bruits de la presse sur l’ordination des hommes mariés.
En revanche, je pense qu’il faudrait s’intéresser davantage à l’utilisation par François du concept de contraposition. Celle-ci implique deux « pôles » qui interagissent dans une tension féconde et créative. Ces oppositions, il ne s’agit pas d’en avoir peur, de les nier ou bien de les réduire à des choix manichéens. Je pense que le pape François nous invite à avancer vers une forme de conflits maîtrisés. Ceux-ci doivent permettre de laisser s’exprimer librement les oppositions afin d’arriver à quelque chose d’autre qu’une guerre larvée ou un pauvre compromis.
C’est un aspect très intéressant de sa pensée qui mériterait d’être appliqué dans le cercle familial, professionnel ou bien paroissial. Pour lui, la confrontation qu’on ne peut éviter doit devenir une opportunité à saisir.
Que veut dire le pape lorsqu’il écrit que la «corruption n’est pas étrangère à certains médias soi-disant catholiques qui prétendent sauver l’Eglise d’elle-même»?
C’est une dénonciation sans détour des médias catholiques atteints du syndrome de la ›citadelle assiégée’. On voit bien le mouvement extrêmement important dans l’Eglise, notamment aux Etats-Unis ou en France, qui tend à dire que l’Eglise est en perdition – une sorte de sédévacantisme qui ne dit pas son nom.
Chez ces personnes habitées par ce sentiment, on ne peut nier l’amour de l’Eglise, de Jésus et leur vraie soif de Salut. Mais leur drame est qu’ils ne sont pas enracinés dans une obéissance absolue à l’Eglise et au pape. ›Sauver l’Eglise’ a été la tentation d’un Luther, d’un Savonarole, d’un Giordano Bruno, d’un Mgr Lefebvre. Tous auraient fait de grands saints réformateurs s’ils étaient restés dans l’obéissance!
Soyons clairs: l’obéissance a parfois un goût amer. Ceux qui en doutent n’ont qu’à regarder Jésus qui a entendu son Père lui demander de porter sa croix jusqu’au bout… L’obéissance fait partie intégrante de notre Salut.
Dans Un temps pour changer, le pape définit le bon journaliste comme étant celui qui va sur le terrain. Le modèle économique de la presse aujourd’hui n’est-il pas incompatible avec la vision de François?
Il est clair que les contraintes économiques sont telles que les journalistes sont de moins en moins envoyés sur le terrain, et que celui-ci se réduit inexorablement. Aujourd’hui, pour être plus ›efficace’, on a tendance à croiser deux sources qui émanent d’agences de presse puisant parfois à la même source.
Quant aux réseaux sociaux, ils sont un leurre. Twitter est aujourd’hui devenu le terrain des journalistes qui ne peuvent plus quitter leur bureau. Bref: il faut sauver le journalisme et sans doute que les catholiques peuvent faire quelque chose en s’y investissant davantage. (cath.ch/imedia/hl/be)