Caritas Suisse met le doigt sur les lacunes de la protection sociale
Caritas Suisse a mis une nouvelle fois le doigt sur les lacunes de la protection sociale en Suisse, dévoilant comment la crise du Covid-19 accroît dangereusement la pauvreté dans le pays. L’œuvre d’entraide, sur tous les fronts depuis l’éclatement de la pandémie, a rappelé le 30 novembre 2020 à Berne que ce sont les plus précaires et les plus vulnérables qui sont les premiers et les plus durablement touchés.
Parmi eux, les personnes qui ont perdu un salaire d’appoint, les bas salaires qui tombent dans la pauvreté en raison du chômage partiel (quand le taux d’indemnisation n’est que de 80% du salaire, alors que les charges ne diminuent pas), les travailleurs non déclarés qui n’ont droit à rien, les familles monoparentales (dans le 90 % des cas, ce sont les femmes qui ont la charge des enfants), les indépendants, les travailleurs sur appel, les travailleurs domestiques ainsi que travailleurs/ses du sexe qui n’ont plus de clients.
La crise du Covid-19 aggrave le problème de la pauvreté
660’00 personnes en Suisse étaient déjà en situation de pauvreté avant l’arrivée de la pandémie au printemps, et 300’000 autres étaient à la limite du seuil de pauvreté. «C’était avant la crise du Covid-19, mais l’ampleur du phénomène apparaîtra d’ici deux ans dans les statistiques», met en garde Hugo Fasel, directeur de Caritas Suisse depuis 12 ans, qui dirigeait sa dernière conférence de presse avant son départ à la retraite.
Le Singinois ne veut pas en rester aux statistiques, car derrière les chiffres, il y a le destin d’êtres humains: «le chômage touchait déjà 149’000 personnes en octobre, soit une augmentation de 46% par rapport à l’an dernier. Il faut ajouter le chômage partiel, qui a touché 304’000 personnes en août, selon les derniers chiffres disponibles. Mais en dépit de ces chiffres, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) continue d’afficher un optimisme général sur ce sujet».
Se faire le porte-voix des sans voix
Hugo Fasel, dont l’organisation veut se faire le porte-voix des personnes touchées par la pauvreté, déplore que du côté des administrations, il n’est pratiquement pas fait mention du vécu des personnes concernées. «Ce ne sont pas que des données statistiques, ce sont pour la plupart des personnes qui se sont retrouvées de manière tout à fait inattendue dans une situation d’insécurité matérielle et psychologique, et parfois dans un détresse existentielle».
Faisant remonter les échos du terrain, Jean-Noël Maillard, directeur de Caritas Jura, explique que son organisation, forte de 50 collaborateurs et 300 bénévoles, s’est vue contrainte de fermer ses ateliers et autres activités, fréquentés quotidiennement par quelque 150 personnes, désormais renvoyées à la maison.
Caritas active sur le terrain
En coordination avec deux autres organisations actives dans le canton – la Croix Rouge Jura et le Secours d’hiver – Caritas Jura a rapidement mis sur pied un dispositif d’aide d’urgence, notamment pour rester en lien avec ces personnes qui ne peuvent plus venir et éviter qu’elles se retrouvent socialement isolées. Chacune des organisations s’occupe d’un district, Caritas Jura s’occupant de celui de Delémont. Pour le seul district de Delémont, l’œuvre d’entraide jurassienne a dépensé en 6 mois ce qu’elle distribue sur 3 ans dans tout le canton. En élargissant sa permanence téléphonique, elle a pu rester en contact avec les personnes qui ne pouvaient plus fréquenter ses activités. Caritas Jura a été en mesure de répondre favorablement à 235 situations de demandes aide financière, concernant environ 800 personnes, pour un montant total de 200’000 francs.
Chaque mois de nouvelles situations émergent, relève Jean-Noël Maillard. «Certains ont tenu quelques semaines, d’autres avaient un peu de réserves, mais vivre avec seulement 80% du salaire durant plus de 3 mois, cela pèse sur le budget. A moins de 4’000 francs par mois, il n’y a plus aucun surplus à enlever, et c’est le risque de la spirale de l’endettement, les loyers et les assurances-maladies non payés. On est souvent face à de la détresse psychologique, des gens face à un avenir anxiogène, qui ne savent pas si le travail va reprendre, si leur entreprise sera toujours là demain, si toutes les places de travail seront maintenues… Les conséquences sur le long terme apparaissent peu à peu au grand jour, et les répercussions économiques et sociales se feront sentir sur plusieurs années».
«Les gens pauvres se retirent et se cachent»
«Les gens pauvres se retirent et se cachent. Il est plus facile en Suisse de parler d’un stade vide, sans public, que de la réalité de la pauvreté», lâche Hugo Fasel, qui déplore que les gens en situation de pauvreté ne se font pas entendre au Parlement. A cath.ch, le directeur de Caritas Suisse confie que les pauvres n’ont pas les canaux pour demander de l’aide aux autorités. Contrairement à d’autres, qui ont des lobbies pour défendre leur cause, les pauvres n’ont pas de pouvoir.
«Certains milieux politiques continuent de dire qu’être pauvre, c’est une question de responsabilité individuelle, voire de faute personnelle, et refusent de voir que la pauvreté a des causes structurelles. La crise du coronavirus ne les pas encore fait changer d’avis, et cela va prendre du temps!»
Des fonds insuffisants si la crise se prolonge
Depuis le début de la crise, en mars dernier, a expliqué Bruno Bertschy, Caritas Suisse et les 16 Caritas régionales, qui ont reçu une aide financière de la Chaîne du Bonheur (9,7millions de francs) et des dons de fondations et de privés, ont pu fournir une aide transitoire unique à 14’000 personnes en grande difficulté, avec des montants maximums de 1’000 francs par personne et de 3’000 francs par famille. Les Caritas régionales gèrent deux fois plus de consultations que d’ordinaire. «L’aide globale de Caritas s’élève aujourd’hui à 12,2 millions de francs et vient en aide à 100’000 personnes». Mais Caritas craint que ces fonds ne soient pas suffisants si la crise se prolonge.
Responsable du Secteur Etudes de Caritas Suisse, Marianne Hochuli mentionne le fait que certaines prestations de l’Etat, comme la réduction des primes d’assurance-maladie ou l’allocation perte de gain pour les travailleurs indépendants, sont calculées sur la base des données fiscales. Le revenu est celui de l’année précédente, et ne correspond souvent pas à la situation financière actuelle. Ensuite, les sans-papiers n’ont droit à aucune prestation de chômage, et ne peuvent avoir accès aux prestations de l’aide sociale.
Une réponse politique est nécessaire
Nombre d’entre eux n’ont d’autres possibilités que de s’adresser à des œuvres d’entraide comme Caritas. Et même des travailleurs étrangers, établis depuis longtemps en Suisse, hésitent à avoir recours à l’aide sociale, de peur de perdre leur permis de séjour ou de se voir refuser la naturalisation s’ils la demandent. «Il existe en effet un lien étroit entre l’aide sociale et le droit des étrangers».
Face à cette augmentation de la pauvreté, que Caritas qualifie de «structurelle» et pas seulement de «conjoncturelle», l’œuvre d’entraide a lancé la plus grande opération d’aide de son histoire pour la population vivant en Suisse. L’organisation demande instamment à la Confédération et aux cantons d’introduire partout en Suisse des paiements directs sur le modèle des prestations complémentaires (PC) et de porter à 100% du salaire l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (chômage partiel) pour les personnes en situation de précarité. (cath.ch/be)