Bastien Eschmann: "La foi qui m'habite aujourd'hui, je la dois à d'autres"  | © Grégory Roth
Dossier

Bastien Eschmann: «Notre Église a besoin de témoins de l’Évangile»

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Jeune jurassien engagé dans la vie professionnelle, politique et paroissiale, Bastien Eschmann vient de souffler trente bougies. C’est grâce aux autres – à des «témoins» – qu’il n’a jamais perdu la foi. Sa quête aujourd’hui? Donner du sens à sa vie en la donnant aux autres.

Par Grégory Roth

Né en 1990 dans une famille pratiquante – avec des parents et grands-parents des deux côtés tous engagés en Église –, Bastien Eschmann donne très tôt une place importante à la foi. «Tout petit déjà, j’étais très méticuleux, j’aimais bien rendre les choses belles.» A l’église de Moutier, le jeune servant de messe donne volontiers un coup de main au sacristain après la messe.

Une statue mal éclairée? Il ajuste le spot. Des mobiliers sacrés couvert de poussière? Il passe un coup de chiffon. De la musique méditative trop ou pas assez forte? Il ajuste le volume. «Il fallait que tout soit parfait, que les visiteurs se sentent dans cette église comme à la maison», se rappelle le Jurassien. Pour lui, chaque détail est parlant, même s’il devait être le seul à leur accorder de l’importance.

Des témoins sur le chemin

«A l’adolescence, j’ai voulu me démarquer. J’ai remis ma foi en question», se souvient Bastien. Son questionnement ne s’est jamais fait dans la confrontation, mais plutôt dans une sorte de démarche intellectuelle. «Est-ce que tout ce qu’on m’a dit tient debout?», s’interroge-t-il. «J’avais besoin de m’approprier ma foi». Dans cette étape de transition, des personnes clés l’ont aidé à continuer de croire.

«Je suis toujours en chemin. Ma foi est un guide, pas une certitude».

Bastien Eschmann

«Je les décris comme de véritables témoins de l’Évangile. Vous savez, ce sont ces personnes qui portent en elles une flamme et qui sont habitées par quelque chose de plus grand. Ce sont elles qui m’ont guidé durant ces années où l’on forme un homme». Il y a surtout eu des prêtres et des religieuses, mais aussi des amis et la famille, pour le guider sur son chemin. «Aujourd’hui, je suis toujours en chemin. Ma foi est un guide, mais je ne la vois pas comme une certitude».

Une vie paroissiale active

Ses engagement paroissiaux sont multiples: il sera successivement président d’une cinquantaine de servants de messes à Moutier et chanteur dans le groupe de jeunes «Envol», qui anime régulièrement des messes dans la région. Il se forme pour devenir lecteur et ministre de la communion. Il sera membre d’une Commission de communication de la paroisse et siégera également au Conseil des Orientations pastorales (CdOp). Il participera d’abord comme jeune, puis comme animateur, aux Montées vers Pâques, avec des jeunes de tout le Jura bernois et les Franches-Montagnes.

Passionné par les relations humaines

Les années passent. Le Prévôtois se prépare petit-à-petit à la vie professionnelle. Il obtient un bachelor en droit à Neuchâtel, en 2013, puis un master en 2015 à Fribourg, comprenant quelques crédits en droit des religions. Diplôme en poche, il est engagé à plein temps comme secrétaire communal. Parallèlement, il effectue un brevet fédéral en administration publique qu’il obtient en 2019 et qu’il complète actuellement avec un master à Lausanne.

«Dans les moments de partage, je me sens dix fois plus enrichi que ce que je donne».

Bastien Eschmann

Deux piliers de sa vie professionnelle le passionnent. D’un côté, l’administratif, et de l’autre, les relations humaines. C’est plus particulièrement dans ce deuxième aspect qu’il se sent appelé. «Plus que de la disponibilité, c’est à cette envie de me donner aux autres que j’aspire. Je me rappelle de ce home où nous allions chanter à Noël. Dans ces moments de partage, je me sentais dix fois plus enrichi que ce que j’avais bien pu donner à ces personnes âgées».

Appel à la prêtrise

L’appel à devenir prêtre? Le jeune juriste y songera. En arrivant à Fribourg, il hésitera même à démarrer des études en théologie. «C’est un appel sérieux que j’ai reçu et qui m’a habité pendant un certain temps. Mais j’ai senti que j’étais appelé à autre chose. Avec d’autres façons de donner ma vie aux autres.»

Bastien Eschmann: «Le but de la vie, c’est de la donner aux autres». | © Grégory Roth

Un autre obstacle de taille, il ne voulait pas se cacher derrière le statut de célibat permanent que lui aurait conféré la prêtrise. Bastien le sait depuis longtemps, son homosexualité ne peut pas être refoulée derrière un état de vie sacerdotal. «En priant longuement, j’ai compris que, quoi que je décide, mon homosexualité devait être liée à ma vie de foi. Car ce n’est pas un choix. Je ne l’ai pas choisie un jour en me levant. Alors je demandais: ‘Seigneur, Toi qui m’as créé comme je suis, qu’est-ce que je dois faire?’.»

Témoignages profonds et messages d’affection

Pendant très longtemps, il garde son orientation sexuelle pour lui, comme un secret. Mais il finit par le confier à des proches, puis à sa famille. En 2019, il décide d’envoyer un courrier à tous ses amis. «J’ai été extrêmement ému par tant de messages d’affection et de témoignages profonds que j’ai reçu, y compris dans la sphère ecclésiale, de la part d’amis paroissiens et de membres du clergé».

Bastien Eschmann ne vit pas son affectivité «dans la provoc’, mais plutôt dans le témoignage». Il est conscient que l’accueil des personnes homosexuelles dans l’Église n’est pas toujours facile, mais s’il rencontre des jeunes dans la même situation que lui, il saura leur dire qu’être homosexuel et chrétien, c’est possible. En reconnaissance pour l’accueil qu’il a lui-même expérimenté.

Nature, église et eucharistie

Pour nourrir sa foi, il se recueille dans la nature ou dans une église, en prenant un moment de silence. Il fréquente occasionnellement un groupe de jeunes catholiques homosexuels, qui se réunit à Lausanne. Mais c’est par l’eucharistie qu’il vit «le cœur de ma relation à Dieu», et le plus souvent à Notre-Dame de la Prévôté, cette église qu’il considère «comme chez moi».

A côté de ses actuelles responsabilités professionnelles et politiques, Bastien Eschmann s’engage toujours dans la paroisse de Moutier comme lecteur, ministre de la communion, et animateur lors des Montées vers Pâques.

«Je souhaite que tous les jeunes d’aujourd’hui puissent toucher la beauté de l’Évangile»

Bastien Eschmann

«Les jeunes que je rencontre aujourd’hui ne sont pas différents de moi, dix ans auparavant. Ils n’ont pas changé; ils sont toujours en quête», constate le jeune trentenaire. «Mais aujourd’hui, ils sont noyés d’activités. J’ai l’impression que leur vie est définie par leurs activités, et non plus par qui ils sont vraiment. Et à ce sujet-là, l’Église a quelque chose à leur dire. Je souhaite que tous ces jeunes puissent toucher la beauté de l’Évangile, sans être découragés par les clichés, les scandales et les malheurs. Pour cela, il faut des témoins».

L’Église de demain?

«L’Église de demain, je la vois assez ‘hors des murs’. Je crois beaucoup aux périphéries dont parle le pape François. Ce beau message de la Résurrection est adressé à toute la société, et non à une caste particulière. La société se déchristianise et s’individualise, mais je reste optimiste. Le message va continuer. Nous allons vers des communautés chrétiennes plus petites et plus éparses, mais nécessairement plus enracinées et plus ouvertes». Bastien Eschmann souhaite être une petite pierre dans ce nouvel édifice. Il espère, à son tour, être un jour ce ‘témoin’ pour quelqu’un d’autre. (cath.ch/gr)

PDC: «changer le nom ne change pas les valeurs»

Engagé en politique, Bastien Eschmann porte les couleurs du Parti démocrate chrétien (PDC). Secrétaire du PDC Moutier, il est élu au Conseil de Ville, organe législatif communal, et représente le PDC Jura-Sud comme délégué au sein du PDC Suisse. Il est aussi membre des JDC Jura. «D’abord un peu emprunté, j’y suis favorable après réflexion: changer le nom du parti ne va pas changer les valeurs chrétiennes qui nous habitent et guident nos actions. Nous avons toujours un message à faire passer: défendre l’être humain et sa diversité. D’un côté, nous avons la «solidarité»: c’est l’accueil inconditionnel dans le sens chrétien du terme. De l’autre, nous avons la «responsabilité»: garantir des libertés à nos concitoyens. En bon Suisses, nous faisons des concessions entre nos deux «leitmotivs». GR

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