A quoi sert le nouveau motu proprio «Authenticum charismatis»?
Promulgué le 4 novembre 2020, le motu proprio (lettre apostolique expédiée par le pape, de sa propre initiative ) «Authenticum charismatis» du pape François rend obligatoire l’approbation par Rome de la création de nouvelles communautés de vie consacrée dans le cadre diocésain. Décryptage avec le Père Cédric Burgun, vice-doyen de la faculté de Droit canonique à l’Université catholique de Paris.
Que va changer ce motu proprio?
Cédric Burgun: Ce motu proprio porte sur le canon 579 qui stipulait que les évêques diocésains pouvaient ériger des instituts de vie consacrée pourvu que le Siège apostolique ait été consulté. Désormais, il n’est plus question de consultation, mais d’autorisation écrite de Rome.
Pour comprendre cette modification, rappelons que le pape François est déjà intervenu sur cette question par un rescrit de 2016*. Celui-ci précisait que la consultation de Rome était à entendre comme nécessaire, sous peine de nullité du décret d’érection de l’institut. Il s’agissait déjà d’un acte très fort qui rappelait aux évêques qu’il n’était pas facultatif mais obligatoire de consulter Rome avant d’ériger un institut. Désormais, il faudra donc une autorisation du Saint-Siège.
Par ce motu proprio, le Saint-Siège durcit encore un peu plus les conditions, laissant entendre que le rescrit de 2016 n’a pas toujours été bien suivi.
Quels abus le Saint-Siège veut-il éviter avec cette nouvelle mesure?
Plusieurs. L’actualité récente montre qu’il peut y avoir des fondateurs déviants. Ce motu proprio doit empêcher un fondateur qui se serait vu refuser l’érection de son institut par un diocèse d’aller en voir un autre – qui ne serait pas informé de la première tentative. Il s’agit donc d’éviter le problème des fondateurs qui frappent à plusieurs portes avant de trouver un diocèse qui accepte leur requête. Il en est de même pour les re-fondations d’instituts de vie consacrée qui n’auraient pas fonctionné ou dont les fondateurs auraient posé de graves problèmes. L’approbation obligatoire de Rome va centraliser les demandes d’érections pour éviter ces écueils.
Par ailleurs, le Saint-Père évoque «les instituts inutiles ou insuffisamment vigoureux». Ces dernières années, il y a pu avoir un certain nombre de tentatives de fondations qui se sont avérées avec le temps peu fécondes. Sans doute qu’il y a eu de la part de certains fondateurs ou d’évêques un manque de discernement. Certes, le fondateur a toujours autour de lui un petit groupe. Mais le pape pose la question de l’utilité de la fondation d’un institut qui ne grandirait pas.
Enfin, le Saint-Siège veut éviter la multiplication excessive d’instituts similaires. Parfois, un fondateur a l’idée de faire ce que fait déjà le voisin. Cela peut être le fruit d’une méconnaissance, mais cela peut aussi être le fruit d’une déviance, avec quelqu’un qui voudrait s’ériger en fondateur plutôt que de rentrer dans une communauté déjà existante.
Ce motu proprio n’est-il pas une entorse au principe de subsidiarité, pourtant très souvent mis en avant par le pape François?
La question se pose. Mais en considérant les récentes révélations d’abus ainsi que la difficulté des évêques à communiquer les uns avec les autres, je pense que le Saint-Siège a voulu agir au plus vite et au plus efficace. Avec la mondialisation, des personnes malveillantes peuvent facilement passer d’un pays à l’autre pour tenter de fonder leur institut en jouant la carte de la multiplicité des diocèses et de leur incapacité à retracer l’historique d’une demande.
Il n’est pas aisé pour un évêque d’avoir les bons critères et le centralisme romain doit aider les évêques à mieux discerner s’il faut ériger ou non un institut.
Cette mesure ne va-t-elle pas accroître la bureaucratie vaticane et les risques de lenteur dans les processus de décision?
À partir du moment où vous ajoutez une demande d’autorisation dans une procédure, vous alimentez ce risque, évidemment. Mais les moyens modernes permettent aujourd’hui à Rome d’être plus proche des évêques.
Cette mesure est-elle rétroactive?
Non. Le canon 9 du droit canonique stipule que les «lois concernent l’avenir, non le passé, à moins qu’elles ne disposent nommément pour le passé» – ce qui n’est pas le cas ici. La mesure entrera donc en vigueur le 10 novembre 2020.
Néanmoins, le canon 8 explique que les lois universelles de l’Église entrent généralement en vigueur trois mois après leur annonce. Or, pour ce motu proprio, le pape a raccourci ce délai puisqu’il entrera en vigueur la semaine prochaine. On en déduit que le Saint-Père lui donne un caractère urgent, peut-être pour éviter que des instituts soient érigés précipitamment avant l’entrée en vigueur de la mesure. (cath.ch/imedia/hl/rz)
*Le site www.droitcanonique.fr permet notamment de lire avec une grande lisibilité les modifications du Droit canon.