problèmes actuels du mariage chrétien

Louvain-la-Neuve : rencontre sur les (030688)

Louvain-la-Neuve, 3juin(APIC/CIP) Un profond changement des mentalités et

des comportements affecte aujourd’hui le mariage comme institution et comme

sacrement. L’Abbé Gaston Candelier, spécialiste en droit canonique et official de l’évêché de Tournai, a évoqué quelques-uns des problèmes posés en

la matière, lors d’une rencontre organisée par la Faculté de Théologie, le

28 mai, à Louvain-la-Neuve.

Ce n’est pas d’abord le mariage qui a changé, mais la société et la

culture occidentales qui ont évolué. Jadis, le mariage était censé garantir

à la fois la sécurité des époux, le rôle économique de l’unité familiale,

la transmission du patrimoine, sans oublier la régulation de la sexualité.

L’amour des époux n’apparaissait pas comme la fin première du mariage, mais

plutôt comme un moyen. Et il a paru normal à la Curie romaine de préciser,

dans les documents préparatoires du Concile Vatican II, que «la fin

primaire du mariage est uniquement la procréation» et l’éducation d’une

descendance.

Vatican II a introduit, à cet égard, une véritable «révolution» dans

l’Eglise, souligne l’Abbé Candelier. A la suite du Concile, en effet,

l’Eglise parle avant tout de «la communauté profonde de vie et d’amour que

forme le couple». Elle insiste d’abord, non pas sur la procréation, mais

sur l’engagement mutuel des époux, sur «l’union intime de leurs personnes

et de leurs activités».

Amour et institution

Cette «révolution» est désormais inscrite dans la législation ecclésiale. Selon le Code de Droit canonique de 1927, le mariage était essentiellement un contrat. Dans un contrat, précise Gaston Candelier, c’est l’objet

du contrat et non la personnalité des contractants qui est déterminant. En

l’occurence, l’objet du contrat matrimonial n’était autre que la cession et

l’acceptation mutuelles entre les conjoints d’un droit personnel et exclusif sur le corps en vue des actes «aptes par eux-mêmes à la génération». Le

contrat ne portait donc pas sur l’amour conjugal. Dans la jurisprudence

ecclésiastique, le terme «amour» était d’ailleurs plutôt employé pour

désigner la relation charnelle et érotique entre un homme et une femme.

D’après le nouveau Code de Droit canonique, ce n’est plus l’objet d’un

contrat entre conjoints qui définit le mariage, mais l’alliance entre des

personnes comme telles. Le terme «contrat» ne figure d’ailleurs pas dans

les textes conciliaires, dont les rédacteurs ont voulu respecter les conceptions de l’Eglise d’Orient. Dès le premier schéma de révision du Code de

Droit canonique, le mariage était défini comme une «conjonction intime de

toute la vie entre un homme et une femme», étant entendu que cette union

est de soi ordonnée à la procréation. En échangeant leur consentement,

c’est donc un «oui» à la personne de l’autre comme tel qu’expriment les

nouveaux conjoints. C’est envers un partenaire que chaque conjoint s’engage, et non envers une institution. Le geste premier est l’engagement

réciproque par alliance entre des personnes. L’institution matrimoniale est

seconde : elle dérive de l’engagement, et non l’inverse.

Si tel est l’essentiel dans le mariage, il convient cependant de ne pas

réduire le mariage à une conception culturelle unique. Les Africains, par

exemple, ont une conception globalisante des rapports humains. Pour eux,

acte personnel et engagement communautaire s’imbriquent fortement. En Afrique, le mariage commence par une alliance entre les familles respectives

des futurs conjoints et l’engagement dans le mariage passe nécessairement

par différentes étapes, sans qu’on puisse parler pour autant de «mariage à

l’essai».

Et le sacrement ?

En élevant le mariage «à la dignité de sacrement», l’Eglise catholique,

à la différence de ce qui se passe pour les autres sacrements, n’a pas créé

une institution nouvelle : le mariage existe avant et en dehors de l’Eglise, même si le sacrement renforce les exigences et la richesse d’un

engagement qui a déjà sa propre valeur.

Or, selon le Code de Droit canonique de 1917, c’est le contrat matrimonial, à savoir l’échange des consentements entre baptisés – même si l’un

d’eux n’est pas catholique – qui instaure le sacrement, et ceci indépendamment de la présence du prêtre. Tout mariage entre baptisés, s’il est valide, est donc sacramentel.

Le nouveau Code de Droit canonique a repris à son compte cette doctrine

«communément admise», sans toutefois préciser davantage les conditions

théologiquement requises. Or, des problèmes se posent, du fait que, «de

ceux qui sont baptisés, il est requis, sous peine d’invalidité, que le mariage soit un sacrement». Si la célébration religieuse n’équivaut pas à un

mariage dans le chef d’un des conjoints, ou si, à ses yeux, le «oui» qu’il

a prononcé devant l’Eglise n’est qu’un consentement de pure formalité, on

considère aujourd’hui, jusque dans la jurisprudence romaine, que le mariage

n’est pas valide. Et comme un mariage non valide ne saurait être sacramentel, une dispense est possible pour le «cconjoint» qui, après dissolution

de l’engagement prononcée en justice, voudrait contracter un mariage sacramentel avec un nouveau partenaire.

Ces précisions sur la nature sacramentelle du mariage importent beaucoup

aux canonistes, car une fois reconnue la valeur sacramentelle d’un lien

conjugal, l’Eglise affirme bien entendu que le mariage est indissoluble. Il

existe cependant encore des cas d’espèce, ou la rupture d’un premier lien

peut donner lieu à une dispense ecclésiastique en vue d’un mariage qui soit

cette fois sacramentel. Même un mariage consommé pourrait donner lieu à une

telle dispense, s’il s’avérait que la consommation de l’union conjugale n’a

été qu’un pur viol, ou si l’un des conjoints s’opposait réellement à l’expression de la foi de son partenaire chrétien.

Enfin, il convient de noter que nombre de juges ecclésiastiques, sur la

base de leurs rencontres avec des couples en difficulté, réclament aujourd’hui de nouveaux approfondissements théologiques de la réalité sacramentelle du mariage.

La situation des divorcés remariés

Dernier problème abordé par Gaston Candelier : le malaise des divorcés

remariés et le malaise des pasteurs toujours interpellés par des situations

«personnalisées»! Alors que le divorce «survient rapidement et dans tous

les milieux», constate l’official de Tournai, les divorcés remariés demeurent attachés au principe de l’indissolubilité du mariage. En outre, le

nouveau couple qu’ils forment est souvent sans commune mesure avec le

précédent. Nons seulement celui-ci a échoué, mais on doit souvent constater

la «mort d’une relation, et d’une relation normalement structurante». En

pareil cas, continuer à tenir le premier lien, même s’il est creux, pour un

symbole de fidélité, n’est-ce pas «préférer une fiction juridique à une

réalité nouvelle», surtout si celle-ci est «pleine de vie» ?

En posant cette question, Gaston Candelier n’entend pas faire fi de

l’exigence radicale de fidélité réaffirmée par le Christ lui-même. Il se

demande seulement si cette exigence doit être uniquement comprise dans un

sens juridique et si, lorqu’une communauté conjugale est irrémédiablement

détruite, une dispense en vue d’un remariage doit rester impensable dans

l’Eglise catholique. «Faut-il cacher la miséricorde de Dieu aux divorcés

remariés», demande encore l’Abbé Candelier. Et la tolérance de l’Eglise orthodoxe à cet égard équivaut-elle à «une foi et une sainteté moins grandes»? L’official de Tournai ne prétend pas résoudre ces questions délicates. Il suggère surtout en conclusion «que la pastorale ne fasse pas fi de

la doctrine, mais que la doctrine ne soit pas insensible aux appels de la

pastorale». (apic/cip/bd)

3 juin 1988 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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