La "verve" allemande ne passerait pas toujours bien à Rome (ici le cardinal Reinhard Marx) | © Maurice Page
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«Etonnante» procession de délégués allemands au Vatican

Dernièrement, de nombreux représentants de l’Eglise en Allemagne se sont rendus au Vatican. Le processus synodal en cours dans ce premier pays semble inquiéter Rome. Certains vont jusqu’à parler d’une menace de «schisme».

Roland Juchem, CIC/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Mgr Georg Bätzing, Mgr Bertram Meier, Armin Laschet, Mgr Reinhard Marx, Mgr Heiner Wilmer, Mgr Heinz-Josef Algermissen, Christian Wulff, Nikola Eterovic. Telle est la liste remarquablement longue des représentants de l’Eglise allemande que le pape François a rencontrés ces dernières semaines. Ce chiffre étonne d’autant plus que les voyages, en cette période de pandémie, sont dans la mesure du possible évités. Pour les représentants d’autres pays, les visites à Rome ont ainsi été clairement réduites.

Echanges virulents

Cela fait apparaître un besoin pressant de discussions entre le Vatican et les évêques d’Allemagne. Déjà en 2019, il y avait eu des échanges parfois virulents, non seulement entre Rome et l’Allemagne, mais aussi à l’intérieur de l’Eglise dans ce pays. Les principaux sujets de débats concernaient la possibilité de distribuer la communion aux conjoints protestants de fidèles catholiques, les projets de réformes en lien avec le «processus synodal» et la lettre du pape François au Peuple de Dieu en marche en Allemagne.

En juillet 2020, avec l’instruction Sur la conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Eglise, Rome a fixé des limites claires pour les fusions des paroisses et la participation des laïcs dans leur direction. En septembre, a suivi une lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi, envoyée par le nonce Nikola Eterovic, dans laquelle le Vatican rejette les invitations mutuelles à la communion (ou sainte cène) pour les catholiques et les protestants.

La menace d’un «schisme»?

Même si les invités allemands ne sont certainement pas venus uniquement pour parler de ces points avec le pape, ces derniers ont sans doute joué un rôle important. «Il s’agissait de discussions entre quatre yeux», ont prudemment précisé ces visiteurs. A Rome, certains s’inquiéteraient toutefois de ce va-et-vient. Le journal italien de gauche La Republica a même brandi, dans son édition du 18 octobre 2020, la menace d’un «schisme» avec l’Eglise en Allemagne.

Mgr Bertram Meier, évêque d’Augsbourg, a rendu sa visite inaugurale au pape le 10 septembre. Ayant travaillé dix ans à la Secrétairerie d’État du Vatican, il connaît bien la mentalité curiale romaine. Peu après sa nomination, fin janvier, il avait révélé que l’une de ses tâches était de servir de médiateur entre l’Église en Allemagne et le Vatican.

Mgr Heiner Wilmer, évêque de Hildesheim, était probablement venu voir François le 13 octobre pour le même motif. A l’instar de Mgr Meier, l’ancien supérieur général des prêtres du Sacré-Cœur de Saint-Quentin (dehoniens) parle bien l’italien, pour avoir vécu longtemps à Rome, et a une bonne expérience de l’Eglise universelle. Il se dit en tout cas que Mgr Wilmer a été spécifiquement sollicité pour une médiation.

Le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et Freising, était à Rome au début et au milieu du mois d’octobre en tant que coordinateur du Conseil économique et membre du Conseil des cardinaux. Bien que François et le cardinal Marx aient des personnalités assez différentes, le pape apprécie le Westphalien, qui selon les normes italiennes est très direct. Il l’a ainsi confirmé dans ses deux postes.

L’ancien évêque de Fulda, Mgr Heinz-Josef Algermissen, a également brièvement rencontré le pape début octobre, en marge d’une audience générale. Il est parvenu à conclure de cela que le pape était inquiet.

Le pape en danseur de cha-cha-cha

Le 16 octobre, l’ancien président allemand Christian Wulff a rendu visite au pape de manière quelque peu surprenante. Il est venu en tant que président de la «Fondation allemande pour l’intégration» et s’est entretenu avec le pontife à ce sujet. Christian Wulff en a profité pour déclarer qu’en tant que catholique, il voulait «donner au pape une image de l’état d’esprit de l’Église catholique en Allemagne et promouvoir la voie synodale».

En réponse, François s’est référé une fois de plus à sa lettre aux catholiques allemands et a encouragé au maintien du dialogue. Cependant, cette lettre de 19 pages, écrite personnellement en espagnol par le pape au cours de l’été 2019, n’a pas été bien reçue en Allemagne. Officiellement, tous les groupes concernés se sont sentis soutenus. Mais plus tard, de nombreux évêques et fidèles ont exprimé leur agacement et leur sentiment d’être incompris.

En Allemagne, certains perçoivent parfois le pontife argentin comme une sorte de danseur de cha-cha-cha – faisant un pas en avant, puis un en arrière. Contrairement à François et à beaucoup d’autres membres de la Curie, les Allemands sont souvent considérés comme trop vifs, trop centrés sur eux-mêmes et trop «doctoraux».

Problème de mentalité?

Le fait est que François, en bon jésuite, n’analyse pas seulement les propositions de réforme en elles-mêmes. Il est aussi sensible à l’esprit avec lequel elles sont présentées, au langage dans lequel elles sont formulées. Et il n’apprécie pas du tout quand quelqu’un – qu’il soit considéré comme conservateur ou progressiste – tente de forcer les décisions. Ce sentiment l’emporte probablement, chez lui, sur l’intérêt qu’il peut porter à de nombreuses initiatives de l’Allemagne.

Le fait que, pour un Latino-Américain, tout ne doive pas être pratiqué partout de la même manière ou officiellement réglementé, ou encore que des choses (en apparence) incompatibles puissent se côtoyer, est fondamentalement difficile à comprendre pour des mentalités «prussiennes». Au-delà des différences d’opinion théologiques, c’est probablement précisément cette différence de mentalité et de culture qui est au coeur de cette médiation poussée entre «François et les Allemands». (cath.ch/rj/cic/kath/rz)

La «verve» allemande ne passerait pas toujours bien à Rome (ici le cardinal Reinhard Marx) | © Maurice Page
19 octobre 2020 | 16:43
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
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