Dévotion mariale en pays de Vaud

APIC-Reportage

par Bernard LITZLER pour l’Agence APIC

La Réforme de 1536 a marqué un sévère coup de frein à la foi catholique

et à la dévotion mariale dans le Pays de Vaud. Il n’empêche… Marie

demeure encore et toujours la patronne du canton et de la ville de

Lausanne. Entre le Léman et les Alpes vaudoises, entre les côteaux

viticoles et les sommets du Jura, quels sont aujourd’hui les endroits où la

dévotion à Marie se manifeste encore?

Au dessus de Chéserex/Nyon se trouve l’abbaye de Notre-Dame de Bonmont,

première abbaye cistercienne de Suisse, érigée en 1131. Supprimée en 1542,

elle résume l’histoire religieuse tourmentée du canton de Vaud. L’érection

de cette abbaye révèle aussi combien la dévotion à Marie fit florès avant

de disparaître sous les coups de boutoir de la Réforme, au XVIe siècle.

Contrairement aux cantons catholiques, les lieux de dévotion à Marie ne

sont pas nombreux en Pays de Vaud. Pourtant, la piété mariale continue de

se manifester, dans une population catholique aux origines diversifiées.

Reportage sur la prière à Marie, aujourd’hui, dans le canton de Vaud.

Lorsque nous l’avons rencontrée, Thérèse, alerte sexagénaire, nous a

fait part de son attachement à Marie qu’elle vient honorer à la basilique

Notre-Dame, au Valentin, à Lausanne: «Je suis de Pully, mais je viens

souvent prier ici. Pour confier mes demandes à Marie, j’allume un cierge et

je vais toucher la statue». Prière, geste, offrande, recueillement, la

dévotion à Marie est toute contenue dans ces gestes de piété simples et

fervents. Placée à droite du choeur, la statue gothique du XVe siècle en

bois polychrome de Marie vêtue d’un ravissant drapé bleu attire ainsi

chaque jour des dizaines de personnes. Devant la figure apaisante de

Notre-Dame de Lausanne portant son enfant, les fidèles viennent prier,

allumer un lumignon, déposer leurs soucis. Leurs difficultés et leurs joies

aussi.

«Marie est la confidente de beaucoup de souffrances, de pleurs, de

demandes», confirme le curé de la paroisse, Claude Ducarroz. L’affluence

est continue tout au long des heures d’ouverture de la basilique: preuve en

est les quelque 250 lumignons allumés chaque jour par ces «pèlerins d’un

moment».

Marie mère

«Marie, c’est ma maman». Bernadette, Zaïroise de 50 ans, vit une

relation profonde avec la Mère de Dieu. Ancienne «légionnaire de Marie»

dans son pays, elle prie le chapelet fréquemment, participant aux

récitations du rosaire organisées deux fois par semaine dans l’enceinte de

la basilique. «Marie, c’est ma confidente, une reine, celle qui me

soutient. C’est la mère de Jésus. S’il n’y avait eu Marie, il n’y aurait

pas eu Jésus». Belle théologie de la Mère de Dieu…

Qu’est ce qui attire tant de personnes dans le sillage de la mère du

Christ? Les cheminements sont variés. Notre-Dame de Lausanne reçoit chaque

jour la prière de visiteurs aussi différents que des grands-parents venus

allumer un lumignon avec leurs petits-enfants, d’une jeune femme

équatorienne enceinte, d’un jeune homme atteint de cécité, de Tamouls en

nombre,… Les priants sont réguliers ou occasionnels, viennent

individuellement ou en groupe, de près ou de loin.

Ainsi Marie-Héléna, 27 ans, étudiante, qui met son désir de dire le

chapelet en lien avec un besoin de rites auquel son éducation religieuse

l’a peu préparée. «Marie, c’est ma vraie mère, confie-t-elle. C’est

l’autorité féminine la plus haute, l’âme soeur de Jésus». Convertie de

fraîche date, elle ressent la nécessité d’être catéchisée et a engagé un

chemin en ce sens. Elle ne cache pas avoir eu des visions de Marie.

Visions appellent supervision

La multiplication des révélations d’ordre privé met la vigilance de

l’Eglise à rude épreuve. Il n’est pas rare, ainsi, d’entendre des pèlerins

échanger autour de la statue de Marie sur un voyage passé à San Damiano,

lieu de pèlerinage italien non reconnu par l’Eglise, où la Vierge serait

apparue. Vérité ou fiction? «Nous avons à être vigilants et à exercer notre

discernement, confesse le curé Ducarroz. Nous assistons actuellement à une

recrudescence de nouvelles révélations. Ce n’est pas parce que nous sommes

une église Notre-Dame qu’il faut accepter n’importe quoi».

Extrême prudence pastorale, donc, pour éviter des formes de prière et de

dévotion incompatibles avec la foi chrétienne.

L’Eglise n’est pas à l’abri de dérapages d’une «mariolâtrie» (dévotion

extrême, presque idolâtre mettant Marie au centre de la foi) que certains

lieux de pèlerinage ont difficilement contenue. N’y a-t-il pas concurrence

entre la prière à Marie et la prière à Dieu ou à Jésus? «Je ne leur demande

pas la même chose, précise Bernadette l’Africaine. Marie est un chemin vers

Jésus».

Le tapis de lumignons aux pieds de Marie est agrémenté d’un petit

écriteau indiquant que «toutes les dévotions ne valent pas la messe».

Courte catéchèse et recentrage sur l’essentiel: l’Eucharistie. Mais les

dévotions ne sont pas empêchées: il existe des moments consacrés à

l’adoration devant le Saint-Sacrement comme il existe des moments consacrés

au chapelet.

Claude Ducarroz tient à éviter les dérapages: «Nous essayons de garder

au lieu une certaine sobriété, même s’il y a beaucoup de fleurs. Pour

retrouver la statue originelle, nous avons enlevé, lors de la restauration

de 1977, la couronne que portait Marie. Ce fut vraiment un problème pour

certains fidèles: on m’en parle encore maintenant!». Le Conseil pastoral de

la paroisse, lui aussi, s’est laissé interpeller par ces manifestations de

religiosité populaire, lors d’une récente rencontre: «Nous avons à nous

laisser évangéliser par ces manifestations de religiosité, vécue souvent

par des ’petites gens’, mais nous avons aussi à éduquer cette foi

populaire»: telles ont été les conclusions de cette réflexion.

Marie femme

Les visiteurs de Marie sont en fait des visiteuses en grande majorité,

tant l’élément féminin est dominant sans être exclusif. Jeune mère élevant

seule ses trois enfants, Maria, Cap-verdienne, est sensible à la féminité

de Marie: «Elle sait ce que je peux vivre comme femme et comme mère. Cet

aspect de maternité me touche beaucoup. Je lui confie mes enfants. Marie a

dû éduquer son fils, je lui demande beaucoup». Chantal, valaisanne, de

passage, vient confier à Marie ses deux grands fils: «Elevée dans la foi

catholique, j’ai longtemps délaissé la prière à Marie. Récemment j’ai

demandé une grâce et je l’ai obtenue immédiatement. Depuis je viens prier

régulièrement».

Comme beaucoup de priants, Thérèse la Pulliérane aime toucher la statue

de Marie, dans un geste d’hommage et de confiance. «Un jour j’ai même eu

envie de toucher la statue de Jésus, assis sur les genoux de Marie, mais je

suis trop petite. Alors j’ai demandé à un long monsieur de toucher Jésus

pour moi», raconte-t-elle avec humour. Et elle nous fait part, plus

sérieuse, de son regard de foi sur l’action de Marie: «Vous savez,

Notre-Dame a protégé la cité lorsque le wagon de produits chimiques s’est

renversé à la gare de Lausanne, il y a deux ans, menaçant d’incendier la

moitié de la ville». Pour Thérèse, pas de doute, Notre-Dame continue de

veiller sur la ville qui lui est dédiée.

ENCADRE

Les lieux mariaux hors Lausanne

La capitale vaudoise n’est pas le seul lieu de piété mariale de l’espace

vaudois. Aubonne, sur la Côte, constitue un lieu ancien de pèlerinage où de

nombreuses personnes viennent encore se recueillir. Pèlerins occasionnels,

visiteurs venus de l’hôpital distant d’une cinquantaine de mètres, la

tradition de la dévotion mariale se poursuit.

La chapelle de Notre-Dame des Sept-Douleurs à Etagnières, entre Lausanne

et Echallens, constitue également un lieu prisé des pèlerins. Le rosaire y

est prié chaque mardi depuis près de vingt ans, et les mois de mai et

d’octobre, le chapelet est dit deux fois par semaine. La chapelle accueille

les visiteurs avec régularité.

Autre haut-lieu de prière mariale en terre vaudoise: l’église

Notre-Dame-de-Grâce à Orbe, qui possède un tableau de la Vierge, copie

conforme de celui – déplacé à Evian à cause de la Réforme – offert au

couvent d’Orbe par la bienheureuse Loyse de Savoie, veuve et religieuse

clarisse.

Le canton possède neuf paroisses consacrées à la Mère de Dieu, depuis

Nyon, aux portes de Genève jusqu’à Vevey, le long de l’arc lémanique, sans

oublier le nord du canton représenté par Payerne, Oron, et Lucens.

ENCADRE

«Les» Notre-Dame de Lausanne

Parler de Notre-Dame à Lausanne, avant la Réforme de 1536, c’est tourner

les yeux vers la Cathédrale Notre-Dame. Sur la colline de la Cité, on

édifia au XIIIe siècle un des plus beaux édifices de la chrétienté,

consacré solennellement par le pape Grégoire X en 1275. L’impulsion

originale de la dévotion mariale y avait été donnée au XIIe siècle par

l’évêque Amédée.

Notre-Dame de Lausanne fut très fréquentée au Moyen-Age. On venait de

loin pour voir la Dame, principalement pour les deux grandes fêtes de

l’Annonciation et de la Nativité de Marie. Certains, épuisés, n’arrivaient

pas jusqu’au bout. Mais il suffisait aux malades et aux handicapés de

parvenir jusqu’au «Rocher de la Dame», au-dessus du village d’Epesses, pour

que le pèlerinage soit considéré comme accompli.

La statue de Notre-Dame de Lausanne, taillée dans la pierre vers 1230,

accueillait les pèlerins au-dessus de la seconde porte d’entrée de «sa»

cathédrale. Elle est toujours visible aujourd’hui, étêtée sans doute comme l’Enfant-Jésus – par certains réformateurs zélés. La ressemblance

avec la statue de bois du XVe siècle vénérée à la basilique du Valentin est

troublante. Le modèle de la Vierge de Lausanne était, semble-t-il, répandu

jusqu’en Franche-Comté et en Italie.

Haut lieu de dévotion mariale, la cathédrale recèle de multiples traces

de ce culte rendu à la Mère de Dieu. Stalles, entrée du portail sud avec la

dormition de Marie et son Assomption, les scènes évoquant Marie ne manquent

pas. Et le coeur des Lausannois ne reste-t-il pas attaché à leur Dame,

puisque en 1932 encore, les étudiants protestants de Belles-Lettres ont

offert un vitrail à la gloire de la Bienheureuse Marie de Lausanne, «Beata

Maria Lausanensis»?

Edifiée en 1835, la basilique Notre-Dame du Valentin abrite «l’autre»

statue de Notre-Dame, statue de bois polychrome, qui connut des heures

aventureuses. Emportée dans le district d’Echallens au moment de la Réforme, elle fut cachée dans le foin par les paysans du Gros-de-Vaud. Elle

revint à Lausanne au XIXe siècle, dans la chapelle des Soeurs de l’Ecole du

Valentin avant de réintégrer l’église paroissiale en 1946.

ENCADRE

Chapelet et rosaire

Les deux mots ont la même origine: le chapelet est le «petit chapeau» de

roses – d’où «rosaire» – couronnant les statues de la Vierge, selon une

coutume du Moyen-Age. Chaque rose symbolisait une prière. De là vient

l’idée de se servir d’un collier de grains pour prier Marie. Saint Bernard

(1091-1153), qui a rédigé le fameux «Souvenez-vous», et saint Dominique

(1170-1221) furent les hérauts de la dévotion à Marie.

La récitation du chapelet comporte cinq dizaines d’Ave Maria, chaque

dizaine étant introduite par un ’Notre Père’ et conclue par la formule

’Gloire au Père…’. Le rosaire, récitation de trois chapelets, se veut une

méditation sur le rôle de Marie dans le mystère du salut, en parcourant

successivement les mystères joyeux, douloureux et glorieux. Ces 150 ’Je

vous salue Marie’ ou ’Psautier de Marie’ correspondent aux 150 psaumes.

La pratique du chapelet individuel et collectif est une forme de

spiritualité à la portée de tous, associant l’usage d’une formule courante

de prière à une méditation personnelle sur le salut. Pratiquée par les

humbles comme par les grands de ce monde, par les pauvres et les riches, la

récitation du chapelet ne connaît ni frontières, ni barrières sociales.

Les musulmans connaissent le chapelet à 99 grains permettant au priant

d’égrener les différents noms ou attributs donnés à Dieu par le Coran. Les

religions brahmanique et bouddhiste connaissent de longue date l’usage

d’une prière analogue au chapelet pour la méditation. (apic/théo/bl)

Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’Agence CIRIC à

Lausanne (Tél 021/617 76 13)

16 septembre 1996 | 00:00
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Donner une famille à un enfant handicapé

APIC – Reportage

«L’amour qui sauve»

Maurice Page, Agence APIC

Choëx, 7février(APIC) L’adoption ne consiste pas à donner un enfant à une

famille mais à donner une famille à un enfant. Charles et Mireille Udriot

ont largement mis en pratique cette maxime. Outre leurs trois enfants biologiques ils accueillent dans leur chalet de Choëx, sur les hauteurs de

Monthey, pas moins de neuf autres enfants tous handicapés physiques ou mentaux. Portrait d’une famille vraiment pas comme les autres, placée sous

l’enseigne de «l’amour qui sauve».

Elyssa, fillette trisomique de trois ans s’agite vigoureusement sur sa

chaise, impatiente d’avoir sa portion de lasagnes que «papa» Charles

distribue souverainement à chaque enfant à tour de rôle. Un bon verre de

jus de carotte remplace avantageusement l’huile de foie de morue de nos

grands-parents. Tout le monde, hormis trois des enfants (deux sont à Lausanne et un à St-Maurice), est réuni pour le repas de midi autour de la

grande table de bois brut placée dans la véranda construite en 1992. «Nous

avons été bienheureux d’avoir un peu plus d’espace pour nos douze enfants»,

commente Mireille, la maman. Le chalet construit par le couple en 1979 devait uniquement servir à abriter les quatre enfants que Mireille souhaitait

avoir. Dieu leur a désigné un autre chemin.

Après le repas, en un instant la table est rangée. Gabrielle ramasse les

assiettes, Romain les met dans la machine à laver la vaisselle, Aurore est

à la plonge. Joseph se chicane avec Mathieu pour ranger les pots dans le

vaisselier. Chez les Udriot pas de hiérarchie, mais une bonne organisation,

chacun participe à la mesure de son handicap. On vit concrètement la complémentarité du paralytique et de l’aveugle… et tout le monde obéit.

Après leur mariage en 1977, Charles et Mireille qui travaillent tous les

deux à l’hôpital de Monthey rêvent de partir en pays de mission. Le couple

met cependant un premier enfant en route, Fabien, puis une seconde, Gabrielle, et se lance dans la construction d’un chalet sur les pentes de

Choëx. A la lecture d’un livre, Mireille s’enthousiasme à l’idée d’une

adoption. Charles est contre, on en parle plus. Les enfants eux insistent

pour avoir un petit frère ou une petite soeur. Un an plus tard, le couple

s’adresse à une assistante sociale de la région qui les décourage… cela

couteraît 15 à 20’000 francs.

Mireille est alors à nouveau enceinte, mais fait une fausse couche après

trois mois. Cette fois plus de doute, c’est un signe, d’autant qu’il coïncide avec le passage en Valais de Jean et Lucette Alingrin, fondateurs de

«L’Emmanuel», en France, oeuvre pour l’adoption d’enfants handicapés physiques et mentaux. «Ils furent nos prophètes», témoigne, aujourd’hui Charles.

En 1983 un nouvel enfant arrive dans le foyer, c’est Romain, un garçon de

13 mois, handicapé d’un bras, en provenance du Liban. «La religieuse directrice de l’orphelinat hésitait à nous le confier. Elle ne comprenait pas

quelle était la motivation d’un couple qui n’était pas stérile.» En 1984

avec la naissance de Mathieu, le troisième enfant «fait-maison», la famille

semble désormais ’complète’. Mireille et Charles acceptent de particper à

la constitution de l’oeuvre «Emmanuel» en Suisse sous forme d’une association dont ils sont le «couple pilier».

Quelques mois plus tard: un SOS arrive à l’oeuvre Emmanuel. Il faut

trouver à placer Joseph, un enfant trisomique de cinq ans, de Beyrouth. Sinon c’est pour lui l’asile psychiatrique, probablement à vie. Après un

pèlerinage, décision est prise d’adopter Joseph. Malgré l’opposition de

l’Office cantonal des mineurs. «Une expérience ’d’amour-décapage’», explique Mireille. «Ce n’est qu’après six mois dans notre famille que Joseph

nous donna sa première larme.»

Puis tout s’enchaîne. Arrivent sucessivement Adrienne 12 ans, qui mourra

deux ans plus tard en 1988 d’un problème cardiaque, Jenny, Aurore et Florine, Jean-Pascal, Elyssa et Marielle. Avec chaque fois pour tous de nouvelles remises en cause, de nouveaux départs. Aujourd’hui la famille regroupe

12 enfants: 3 biologiques, 6 adoptés et 3 en placement, venus du Liban,

d’Inde, de Colombie, du Chili et de Suisse. En 1988 Charles abandonne son

travail à l’hôpital pour se consacrer à plein temps à sa famille…la caisse de l’association Emmanuel contient alors juste de quoi payer un mois et

demi de salaire au couple. On tire des sonnettes dans la région. La solidarité s’organise. Le salaire d’une femme de ménage est assuré par un groupe

de couples de la paroisse, et Christelle, une jeune fille, est engagée en

1991 pour donner le coup de main nécesaire durant la semaine. Quant à

Véronique, elle s’occupe à mi-temps du secrétariat et seconde Mireille pour

le travail de bureau. Charles a abandonné le jardin mais a gardé les moutons qui tondent le pré planté d’abres fruitiers derrière la maison. L’Association gère l’ensemble des finances et salarie le couple Udriot.

Dans le coin jeu, Jenny, affairé à un puzzle – «il a 200 pièces!»chasse d’une voix ferme la chienne Loti en mal de caresses. Mathieu

m’entraîne au sous-sol faire la connaissance des lapins, cobayes, perruches

et autres volatiles dont il s’occupe surtout avec Fabien. Puis vient

l’heure de l’école, tout le monde s’embarque, à pied, en bus ou en taxi

selon les horaires et les destinations.

Les regards extérieurs sont parfois cruels. Une personne dit un jour devant Jenny, dont le visage a été ravagé par de graves brûlures: «Il faudrait piquer cette enfant, ne pas la laisser vivre. Ce n’est pas juste». Ou

encore «Vous ne devez pas la sortir! Quand on a une telle enfant on l’a

tient cachée!» La pitié n’est pas forcément plus constructive. La même Jenny, privée physiquement d’une partie de son identité, sait faire preuve

d’un sacré caractère, elle s’impose dans les jeux, fait la loi sur son passage. Tous les enfants, sauf Jean-Pascal (sourd) et Florine (aveugle) qui

fréquentent des institus spécialisés, vont à l’école à Choëx ou à Monthey.

«L’accueil et l’intégration se passent plutôt bien si on soigne l’information», note Charles. «Nous avons suscité des réunions de parents pour leur

expliquer la situation.» Chaque enfant qui en a besoin bénéficie aussi de

l’assistance d’un médecin, d’un psychologue ou d’un pédo-psychiatre. L’AI

et les assurances sociales assument les frais particuliers.

Pour Mireille, le handicap affectif causé parfois par des années de

souffrance et d’abandon est de loin le plus lourd. «Nous savons que nous ne

pourrons pas le combler tout à fait.» La vie familiale qui enracine la relation dans la durée reste encore le meilleur remède. La famille a été actrice et témoin de vrais miracles en permettant à chacun de libérer son potentiel.

Pour les Udriot, il s’agit bien de miracles au sens propre du terme,

c’est-à-dire de signes de la présence de Dieu dans leurs vies. «Notre oui

pour nos enfants handicapés a d’abord été et restera toujours un oui à la

volonté de Dieu, à son plan d’amour qu’il a sur chacun et chacune d’entre

nous.» Face à la révolte devant l’injustice du handicap mental ou physique

«Dieu est là à côté du berceau, présence toute humble, patiente, compatissante». «Mais il veut respecter notre liberté, qui nous permet d’ouvrir ou

de fermer nos coeurs», témoignent-ils. Sans ostentation inutile, la prière

a sa place en couple et en famille devant le coin prière «où nous puisons

notre force en Dieu». «Anawim», le nom du chalet signifie en hébreu ’Les

pauvres de Yavhé’.

Encadré

L’oeuvre Emmanuel, l’amour qui sauve

Fondée par Jean et Lucette Alingrin, l’oeuvre Emmanuel est reconnue en

France depuis 1975. Elle a très rapidement dépassé les frontières puisqu’elle existe actuellement également en Belgique, au Canada au Luxembourg, en Hollande, en Argentine et en Suisse depuis 1984. Emmanuel a renversé le sens de l’adoption: il ne s’agit pas de donner un enfant à un couple, mais une famille se donne à un enfant et l’accepte tel qu’il est, même

atteint dans son corps ou son intelligence.

En France plus de 1’000 enfants handicapés dont 200 trisomiques ont

trouvé la chaleur d’une famille. En Suisse, on compte à ce jour une trentaine d’enfants adoptés venus de Suisse ou de pays lointains comme le Liban, l’Inde ou la Colombie. Depuis 1992, l’oeuvre Emmanuel, structurée sous

la forme d’une association en 1984, est reconnue au niveau fédéral comme

organe officiel d’adoption. Elle ne reçoit cependant aucun subside officiel

et ne vit que des dons. L’oeuvre est surtout implantée en Valais où 14 des

20 familles d’adoption ont leur domicile, mais elle cherche à étendre son

rayon d’action à toute la Suisse. D’autant qu’une trentaine d’enfants sont

en attente d’adoption.

Les familles Emmanuel sont des foyers comme les autres, sans plus de

moyens et qui souvent ont déjà plusieurs enfants. Elles ne sont pas spécialisées dans l’adoption. La plupart basent leur engagement sur leur foi

chrétienne, mais ce n’est pas une condition.

L’oeuvre assure le suivi logisitique, en préparant notamment les dossiers médicaux et juridiques. Elle acompagne les familles d’adoption au

plan psychologique, matériel et juridique, et leur donne une formation particulière en fonction de chaque enfant. Un bulletin donne régulièrement les

nouvelles de l’oeuvre. Sur le plan national et international, l’Association

collabore avec tous les services et oeuvres d’adoption.

La collecte de l’Association doit servir cette année à financer l’agrandissement du chalet «Anawim» dont les Udriot s’apprêtent à faire donation à

l’oeuvre. Le projet devisé à 450’000 francs doit permettre d’aménager un

bureau (actuellement installé dans un ’conteneur’ derrière la maison), une

salle polyvalente pour l’accueil, deux chambres pour les grands enfants et

un atelier-garage. (apic/mp)

Encadré

Les difficultés ne sont pas toujours celles que l’on imagine

L’arrivée d’un enfant dans une famille, a fortiori handicapé, provoque toujours un grand bouleversement. Marielle, la septième enfant adoptée par les

Udriot en juillet 1992 à l’âge de 6 ans, a montré une fois de plus que

l’adoption est un chemin unique.

Marielle est née en Colombie avec un grave handicap congénital lui paralysant les membres inférieurs et perturbant ses fonctions urinaires et intestinales. La décision de l’adoption fut très difficile à prendre et nécessita plusieurs mois de réflexions et de discussions. Placée en Colombie

dans un foyer pour handicapés soutenu par des Suisses, Marielle fut encadrée avec beaucoup d’amour mais avec une sur-protection de tout le personnel. Tout était fait pour éviter tout effort à la «pauvre petite», pour

s’habiller, pour manger, pour l’hygiène. Une vie subie dans une dépendance

totale.

Ce qui ne manqua pas, à la longue, de générer un sur-handicap par manque

de stimulation physique. A quoi s’ajoutait encore un comportement difficile

et capricieux. Lui apprendre les gestes quotidiens, dans lesquels son handicap ne joue aucun rôle, comme ceux de manger, ou de s’habiller fut un

problème déconcertant et une rude bataille, explique Mireille. Avec d’inlassables recommencements. Combat couronné d’une grande émotion lorsque Marielle quitte la chaise roulante qui fut sa carapace de protection durant

six ans. Aujourd’hui Marielle, devenue actrice de sa propre vie, se déplace

debout. «Même si ce n’est pas notre enfant de sang, un cordon ombilical

très fort s’est créé entre nous. Les difficultés nous ont fait grandir»,

conclut Mireille. (apic/mp)

Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’agence APIC

Pour un geste de soutien Association «Emmanuel», 1950 Sion, CCP 19-12780-7

9 février 1994 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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